Entretien Après les élections européennes Abonné(e)s

Alain Caillé : “Nos sociétés deviennent des régimes totalitaires à l’envers”

Confirmée lors des dernières élections européennes, la montée de l’extrême droite est le symptôme d’“une triple panique, écologique, économique et identitaire” des citoyens qui menace la survie même du projet européen, estime le sociologue français Alain Caillé.

Publié le 19 juin 2024 à 21:00
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Alain Caillé est professeur émérite à l’université Paris Ouest-Nanterre.  Fondateur de la revue du MAUSS et animateur de l’International Convivialist association, il a récemment publié Extrême droite et autoritarisme partout, pourquoi (Le Bord de l’eau, 2023). 

Voxeurop : On assiste dans quatre pays, qui représentent, agrégés, un tiers de la population européenne, à une poussée des droites extrêmes. Y a-t-il une augmentation de l'intolérance, des idées xénophobes, nationalistes en Europe ? 

Alain Caillé : Qu’il y ait en Europe une augmentation de l'intolérance, des idées xénophobes et nationalistes en Europe peut sembler peu douteux à en juger par la montée des droites extrêmes qui prospèrent justement sur la bouc-émissarisation des étrangers, et plus particulièrement des immigrés et de l’islam. Il conviendrait néanmoins d’y regarder d’un peu plus près. 

Les enquêtes d’opinion témoignent au contraire, en effet, d’une acceptation toujours plus élevée des étrangers, en France par exemple, où la victoire de l’extrême droite aux élections européennes a pourtant été particulièrement spectaculaire. C’est donc qu’elle procède aussi de nombreuses autres raisons. Reste en tout cas, assurément, une réticence de plus en plus marquée vis-à-vis de l’immigration.

Comment en est-on arrivé là ? 

Les causes sont multiples et complexes. Retenons-en trois, largement interdépendantes. La première est l’opposition systémique aux gouvernements en place, quels qu’ils soient. Aucun ne parvenant à incarner un avenir heureux crédible, on ne vote pas pour, mais contre. Le vote d’extrême droite traduit un grand rejet des partis de gouvernement, mais quand l’extrême droite accède au pouvoir ou s’en rapproche, on commence à voter contre elle (quand c’est encore possible) comme on l’a vu en Pologne il y a peu ou lors des dernières élections européennes en Suède ou en Hongrie

Mais, en amont de ces fluctuations conjoncturelles, il nous faut bien prendre acte du fait que la montée en puissance de l’extrême droite est désormais mondiale. Son ascension en Europe n’est jamais que l’effet, encore mesuré, d’une lame de fond planétaire qui reste à expliquer. Enfin, troisième raison, l’extrême droite se révèle beaucoup plus habile et efficace que les partis traditionnels dans le maniement des réseaux sociaux et sait dire à chacun ce qu’il veut entendre. Reste à savoir pourquoi.

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