Amundi Investment Solutions est le leader européen dans le secteur de la gestion d'actifs et se classe parmi les dix premiers au niveau mondial, avec un portefeuille dépassant les 2 000 milliards de dollars. Entre 2024 et début 2025, l'entreprise française a alloué 1,1 milliard de dollars à des investissements dans le secteur fossile, par le biais de fonds “verts” censés respecter les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) et qui devraient donc promouvoir des activités durables et éthiques. Si l'on étend l'analyse à 2023, le total des fonds dits verts et destinés au secteur fossile s'élève à 1,7 milliard de dollars, ainsi que le révèle l'analyse des données d'investissement de la plateforme London Stock Exchange Group (LSEG).
Pour atteindre la neutralité carbone prévue par l'Accord de Paris de 2015 sur le changement climatique, l'Union européenne s'engage à “rendre les flux financiers compatibles avec un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques”, conformément aux critères ESG. Ces derniers servent à analyser les résultats des entreprises, en évaluant leurs pratiques en matière d'environnement, de société et de gouvernance, afin de déterminer leur responsabilité et leur durabilité.
C'est pourquoi, dans le règlement européen sur la publication d'informations en matière de finance durable (Sfdr), en vigueur depuis 2021, l'UE a distingué les fonds financiers en trois catégories : les fonds de l'article 6, qui ne tiennent pas compte des paramètres environnementaux ; les fonds de l'article 8, également appelés vert clair, qui n'ont pas d'objectifs ESG spécifiques, mais en promeuvent les spécificités ; et les fonds de l'article 9, vert foncé, qui promeuvent des objectifs explicitement durables.
Malgré leur étiquette, les fonds prévus à l'article 8 peuvent également inclure des investissements dans des entreprises liées aux combustibles fossiles.
Ces dernières années, avec l'introduction de règles plus strictes par l'Union européenne sur les fonds prévus à l'article 9, de nombreux gestionnaires d'actifs ont préféré, plutôt que de réviser leurs investissements, changer le nom des fonds “vert foncé” en “vert clair” afin d'éviter des sanctions. Le site web d'Amundi, sur la base des lignes directrices européennes de mai 2024, indique que onze fonds ont subi des changements de nom.
Dans six d'entre eux, Amundi a supprimé la mention “Net Zero” – zéro émission nette (qui ne contribue pas à l'augmentation des émissions de CO2) – ou “ESG”.
Suite aux lignes directrices émises par l'UE, Amundi a modifié les noms de ses fonds en supprimant les termes “durable” de leur intitulé. En réalité, elle n'a pas modifié ses investissements et continue de financer des entreprises leader dans le secteur des combustibles fossiles.
Amundi continue toutefois de promouvoir ses investissements comme “responsables” auprès de ses clients. En accédant à la page web italienne en tant qu'investisseur potentiel, la section consacrée à “Investir de manière responsable” apparaît en haut de l'écran, à côté des objectifs et des types d'investissement.
La société française dit vouloir “apporter une contribution positive pour un avenir meilleur”, étant donné que “le changement climatique est l'un des plus grands défis de notre époque”. Pour y faire face à travers des “actions urgentes”, le site propose aux investisseurs de faire la différence grâce aux solutions ESG proposées par Amundi.
Les entreprises
Nous avons recensé les 38 fonds d'Amundi qui, en mars 2025, étaient encore qualifiés de “durables” mais qui, en réalité, investissent dans les énergies fossiles. L'entreprise la plus investie par ces fonds verts est TotalEnergies, une société pétrolière française classée parmi les quatre premières au monde, pour un total de 438 millions de dollars. Amundi y a investi plus du triple que dans Shell, où elle a investi environ 145 millions. Viennent ensuite Mitsubishi Ufj Financial Group avec 108 millions, Repsol avec 98 millions et Exxon Mobil Corp avec 92 millions. Le reste est réparti entre des sociétés qui reçoivent environ 40 millions de dollars, comme Eqt AB et Equinor Asa, et d'autres, qui oscillent entre trois et huit millions, comme Inpex Corp et Bp Plc.
Notons que selon le rapport Paris Maligned de l'ONG Carbon Tracker, aucune de ces entreprises n'a d'objectifs de décarbonisation alignés sur les Accords de Paris.
TotalEnergies
TotalEnergies est la société française de production d'énergie dans laquelle Amundi a le plus investi. Sustainalytics, une société qui évalue la durabilité des entreprises, lui attribue une note ESG Rating Risk élevée, indiquant que TotalEnergies risque de rencontrer des problèmes importants liés à ses performances environnementales, sociales et de gouvernance dans les années à venir.
Dans son dernier document sur la durabilité, TotalEnergies prévoit d'atteindre l'objectif de zéro émission nette en 2050 en consacrant 25 % de sa production d'énergie aux molécules à faible teneur en carbone (biogaz, hydrogène et carburants synthétiques), 50 % à l'électricité provenant de sources renouvelables et les 25 % restants aux énergies fossiles et au gaz naturel liquéfié (GNL).
En 2024, la part de la production d'énergie provenant des énergies fossiles et du GNL s'élèvera à 87 %. Pour atteindre 50 % de production électrique à partir de sources renouvelables, le géant français s'appuiera sur des investissements au Brésil, pays qualifié, dans le rapport de développement durable de l'entreprise, d'“Etat clé pour [sa] stratégie multi-énergies”.
Le Brésil est l'un des acteurs clés de l'approvisionnement énergétique. Selon une étude réalisée en 2024 par Rystad Energy, il produira sept millions de barils de pétrole brut par jour d'ici 2030. Cela représente une croissance de 56 % par rapport à 2023 et près de trois fois plus qu'en 2010.
Selon son rapport, TotalEnergies est la première entreprise au Brésil, et collabore depuis dix ans avec Petrobras et Casa dos Ventos. Petrobras est l'entreprise publique brésilienne d'extraction et de production de combustibles fossiles, tandis que Casa dos Ventos est l'une des principales entreprises de développement de projets d'énergie renouvelable au Brésil, spécialisée principalement dans la production d'énergie éolienne et solaire.
Avec Petrobras, TotalEnergies investit dans Mero Field, un projet d'extraction de pétrole dans certains gisements pré-salifères (situés dans les profondeurs océaniques sous une épaisse couche de sel) au large du bassin de Santos, à environ 100 milles au large de Rio de Janeiro. Petrobras, en collaboration avec TotalEnergies, Shell et d'autres compagnies pétrolières, a prévu la construction de quatre plateformes offshore d'extraction dans les gisements pré-salifères, réputés pour la qualité et la quantité de matière première extraite.
Le projet, divisé en quatre phases – Mero 1, Mero 2, Mero 3, Mero 4 – est celui sur lequel TotalEnergies mise le plus. Le champ Mero 3 notamment : une plate-forme offshore au large du bassin de Santos, qui a une capacité de production de 180 000 barils de pétrole par jour, contre 40 000 pour Mero 1, inauguré en 2021. Le champ Mero 4 a commencé à produire le 26 mai de cette année, avec une production équivalente à celle de Mero 3.
TotalEnergies a également signé un accord avec Petrobras pour appliquer la technologie AUSEA (Airborne Ultralight Spectrometer for Environmental Applications – une technologie de détection et de quantification) qui vise à surveiller les émissions de gaz à effet de serre, en particulier le méthane et le dioxyde de carbone.
Des doutes ont été émis quant à la durabilité environnementale de ce projet. Au fil des ans, des accidents se sont produits dans certaines usines de Petrobras, mais aucun n'a concerné le projet Mero Field.
Le dernier remonte au 21 avril de cette année, lorsqu'un incendie s'est déclaré sur la plate-forme Cherne 1 dans le bassin de Campos, d'où s'est élevée une épaisse colonne de fumée noire.
Depuis 1972, huit accidents graves se sont produits dans les installations de Petrobras, dont certains ont causé la mort de plusieurs travailleurs et d'importants dégâts environnementaux. C'est le cas de l'accident survenu en 2000 à Baia di Guanabara (dans l'Etat de Rio de Janeiro). La rupture d'un oléoduc a provoqué une fuite de 1,3 million de litres de pétrole, causant l'une des plus grandes catastrophes environnementales au Brésil.
Shell
La deuxième entreprise en termes de montant des investissements “verts” gérés par Amundi est la société britannique Shell, avec un budget atteignant 145 millions de dollars. Malgré cela, cette entreprise, active dans le secteur des combustibles fossiles, saurait difficilement être un choix évident en matière de fonds classés comme “verts” par les investisseurs.
La société britannique est actuellement impliquée dans un procès à Londres, où deux communautés Ogoni du delta du Niger l'accusent d'avoir pollué la région avec des fuites de pétrole entre 1989 et 2020. Le verdict, attendu en octobre de cette année, pourrait établir la responsabilité de la société dans l'une des zones les plus polluées au monde. Selon l'accusation, les mesures d'assainissement prises jusqu'à présent n'auraient pas été suffisantes.
Ces dernières années, Shell a de nouveau fait l'objet de critiques pour l'impact environnemental de ses activités. Au Nigéria, où la société continue de mener des projets d'assainissement, les fuites de pétrole ont augmenté de 122 % entre 2023 et 2024.
Parallèlement, les rapports de la société indiquent que des tests écotoxicologiques ont été effectués sur 20 000 spécimens de poissons en 2022. Ces tests, qui font partie des pratiques de suivi environnemental et sanitaire, sont utilisés pour évaluer les risques chimiques potentiels pour l'homme et l'écosystème. L'une de ces études, financée par Shell, rédigée par des auteurs liés à la société et révisée par ses avocats, a conclu que la consommation de fruits de mer pêchés dans la région ne présenterait pas de risques cancérigènes significatifs.
Entre-temps, en 2023, le nombre de vertébrés utilisés dans les tests a plus que doublé, atteignant 58 738.
Le rapport sur la durabilité pour 2024 reconnaît ouvertement que, sur la base de la planification opérationnelle actuelle, la société n'est pas en phase avec les objectifs climatiques fixés pour 2050. Les stratégies de l'entreprise sont définies comme reflétant l'évolution de la société dans son ensemble : si le monde parvient à atteindre la neutralité carbone, Shell sera également en mesure de s'aligner. Toutefois, si le contexte mondial s'avère moins durable que prévu, il existe un “risque substantiel” que l'entreprise ne parvienne pas à respecter ses engagements.
La question de la transparence
Les changements dans la composition et dans les critères des fonds “durables” sont rarement communiqués de manière transparente aux investisseurs. Au fil des ans, il est possible que certains investisseurs dans les fonds Amundi ne soient pas conscients du fait que des entreprises telles que TotalEnergies et Shell figurent parmi les principaux bénéficiaires des capitaux levés par l'un des principaux gestionnaires européens de fonds ESG.
La décision de s'aligner sur les nouvelles lignes directrices de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) en changeant le nom des fonds, plutôt que de revoir leur allocation aux entreprises, permet de respecter la réglementation en vigueur sans modifier les stratégies actuelles. Ce choix n'est pas contraire aux lignes directrices de l'AEMF, mais il reporte le problème, repoussant ainsi l'objectif de zéro émission nette d'ici 2050.
Le site web d'Amundi ne permet pas de comprendre immédiatement comment les fonds durables sont effectivement répartis, alors qu'ils constituent l'un des fleurons déclarés de la société. Le site reste largement axé sur le thème de la durabilité. À notre demande de commentaires sur la manière dont ils soutiennent les entreprises dans leur transition, Amundi n'a pas abordé la question des 38 fonds que nous avons recensés et qui financent des entreprises fossiles. Elle a toutefois précisé que “l'objectif collectif de neutralité carbone ne pourra être atteint simplement en excluant les entreprises du secteur énergétique. Amundi accompagne et encourage donc leur transformation, en s'assurant qu'elles mettent en œuvre une stratégie climatique conforme aux objectifs de l'Accord de Paris. [...] Cela se traduit notamment par un dialogue rigoureux et constant avec les entreprises afin de les encourager à fixer des objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de les sensibiliser aux meilleures pratiques en matière de transition environnementale”.
Aucune des entreprises dans lesquelles Amundi a investi n'est actuellement en conformité avec l’Accord de Paris. Il est donc difficile de comprendre comment la société financière française les encourage et les pousse vers la transition écologique.
👉 L’article original sur IrpiMedia
🤝 Cet article est publié en collaboration avec Voxeurop ; il fait partie d'une série d'enquêtes sur la finance verte et a été réalisé avec le soutien du Fonds européen pour les médias et l'information (EMIF). La responsabilité de tout contenu soutenu par le Fonds européen pour les médias et l'information (European Media Information Fund, EMIF) incombe exclusivement à ses auteurs et ne reflète pas nécessairement les positions de l'EMIF et des partenaires du Fonds, la Fondation Calouste Gulbenkian et l'Institut universitaire européen.
Depuis les années 1980 et la financiarisation de l’économie, les acteurs de la finance nous ont appris que toute faille dans la loi cache une opportunité de gain à court terme. Les journalistes récompensés Stefano Valentino et Giorgio Michalopoulos décortiquent pour Voxeurop les dessous de la finance verte.
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