Ajdabiya, près de Benghazi, mars 2011. "BHL" devant des blindés kadhafistes détruits par l'aviation française.

BHL : pourquoi il fallait y aller

Pour le célèbre philosophe français, inspirateur de l’engagement de Nicolas Sarkozy en Libye, l’Occident ne devrait pas se laisser impressionner par les dictateurs car, tout comme Mouammar Kadhafi, ils ne sont que “des tigres de papier”.

Publié le 26 août 2011 à 10:24
Marc Roussel  | Ajdabiya, près de Benghazi, mars 2011. "BHL" devant des blindés kadhafistes détruits par l'aviation française.

Que n'a-t-on entendu ! La guerre s'enlisait. Les insurgés étaient désorganisés, indisciplinés, bras cassés. Le CNT était divisé, déchiré en factions rivales, tribalisé. Les tribus fidèles à Kadhafi opposeraient d'ailleurs, le moment venu, dans leurs bastions de la Tripolitaine, une résistance acharnée, de longue durée. Et, quant à Nicolas Sarkozy, il s'était embarqué dans une aventure incertaine, mal pensée et dont ses propres amis politiques ne songeaient qu'à le sauver.

La vérité c'est que s'opposaient là, une fois de plus, ces deux vastes partis, vieux comme la chose politique, que sont : d'un côté, l'éternelle famille, non pas tant des ennemis des peuples, ou des amis des despotes, que des tétanisés par le Pouvoir, des envoûtés de la Tyrannie - l'éternelle famille, oui, de ceux qui n'arrivent pas à imaginer, juste imaginer, que l'ordre des dictatures soit transitoire, éphémère comme sont les ordres humains, peut-être davantage.

Et, de l'autre, le grand parti de ceux dont cette étrange passion, cette paralysie de l'âme par la Gorgone ou par le monstre froid, n'a pas obscurci le jugement et qui sont capables de concevoir, juste de concevoir, que les dictatures ne tiennent que par le crédit qui leur est fait, c'est-à-dire par la peur qu'elles suscitent chez leurs sujets ainsi que par la révérence qu'elles inspirent au reste du monde - et que, lorsque ce crédit s'en va, lorsqu'il s'évente tel un mauvais charme ou un mirage, elles s'effondrent comme des châteaux de sable ou deviennent des tigres de papier. Je dirai, le moment venu, le détail de ce dont j'ai été le témoin, en Libye et hors de Libye, pendant ces six mois qui ont peut-être changé le visage de ce début de siècle.

Le CNT a gagné en maturité

Mais, pour l'heure, je veux rendre hommage à ceux qui, là-bas et ici, n'ont pas désespéré de ce pari, si naturel, mais qui semblait insensé à beaucoup, sur la simple liberté des hommes. Je veux rendre justice à ces combattants libyens que l'on a osé décrire détalant comme des lapins face aux légions d'un diable de théâtre mais que j'ai eu le privilège de côtoyer sur les fronts de Brega, Ajdabiya, Goualich, Misrata, et qui, une fois de plus, illustraient cette invincible force que j'ai toujours trouvée, tout au long de ma vie, chez ceux qui font la guerre sans l'aimer.

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Je veux dire la probité de ce CNT que j'ai vu naître, puis gagner en maturité, et qui, avec ses hommes et femmes d'origines diverses, démocrates de toujours ou transfuges du kadhafisme, rentrés d'un long exil ou opposants de l'intérieur, n'avait, lui non plus, guère d'expérience de la démocratie, pas davantage de la chose militaire, mais a su, en dépit de tout, ajouter une page magnifique à l'histoire mondiale des résistances.

Je veux saluer ces aviateurs européens et, en particulier, français qui livraient une guerre qui n'était pas tout à fait la leur, mais dont la mission fut de prendre le temps nécessaire à ce secours aux populations civiles dont les Nations unies leur avaient donné le mandat ; d'encourir, s'il le fallait, les foudres des impatients qui n'avaient pas trouvé le temps long pendant les quarante-deux ans de la dictature mais le trouvaient interminable, passé cent jours, dès lors qu'il s'agissait de sauver des innocents ; et de se mettre, parfois, en péril plutôt que de prendre le risque de toucher une cible civile.

Les rebelles ont écrit une nouvelle page de l'histoire de leur pays

Et quant à Nicolas Sarkozy, enfin, on peut n'être pas de son bord, on peut, et c'est mon cas, s'opposer au reste de sa politique : mais comment ne pas reconnaître que c'est la France qui, sous sa présidence, a pris l'initiative d'accompagner cette naissance de la Libye libre ? comment ne pas saluer la ténacité inédite dont il aura fait montre à chacun des stades de cette guerre ? et comment ne pas constater qu'il aura fait, pour la Libye, ce qu'un François Mitterrand s'était refusé à faire, jusqu'au bout, pour la Bosnie dépecée ?

Les rebelles, appuyés par la France et par leurs autres alliés, ont écrit une nouvelle page de l'histoire de leur pays. Ils ont, par-delà leur pays, inauguré une ère dont il est difficile de penser qu'elle sera sans effet dans l'ensemble de la région et, notamment, en Syrie. Et cette anti-guerre d'Irak, cette intervention militaire venant, non parachuter la démocratie sur la tête d'un peuple silencieux, mais appuyer une insurrection qui la réclamait déjà et s'était dotée, pour cela, d'une représentation transitoire mais légitime, restera, elle aussi, dans les annales.

Ce qui meurt : une conception ancienne de la souveraineté où tous les crimes sont permis pourvu qu'ils se déroulent à l'intérieur des frontières d'un Etat. Ce qui naît : l'idée d'une universalité des droits qui ne serait plus simple voeu pieux mais ardente obligation pour quiconque croit vraiment en l'unité de l'espèce humaine et en la vertu du droit d'ingérence qui en est le corollaire.

Viendra, naturellement, le temps des questions, des doutes, peut-être des faux pas, des règlements de comptes ou des premiers revers : mais bien médiocres seraient ceux qui, pour l'instant, bouderaient la pure joie que doit inspirer cet événement en tous points saisissant.

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