Actualité Manifestations en Roumanie
Bucarest, 10 août 2018

Ce qui pousse les Roumains dans la rue

Le 10 août dernier, plus de 100 000 citoyens se sont rassemblés à Bucarest pour protester contre la corruption institutionnalisée qui paralyse le gouvernement dirigé par le Parti social-démocrate et pousse des milliers de jeunes diplômés à fuir le pays à la recherche de meilleures opportunités.

Publié le 19 septembre 2018 à 15:09
Cristian Ştefănescu  | Bucarest, 10 août 2018

Les manifestations anti-gouvernementales des Roumains ont été l’un des sujets de l’actualité internationale à plusieurs reprises cette année, mais aucune n’a été aussi terrible que celle  le 10 août. La “Diaspora Meeting” a réuni plus de 100 000 personnes de tout le pays et au-delà des frontières dans un objectif commun : contester les agissements  de la caste corrompue en place et la remplacer par une véritable démocratie.

L’événement a fait des centaines de victimes mais n’a conduit à aucun changement effectif dans la sphère politique. Ce n’est pas une surprise puisque les manifestations précédentes n’ont également eu aucun effet. On est donc en droit de se demander pourquoi tant d’hostilités ? Un retour sur l’évolution de la protestation et du profil des participants peut nous fournir des réponses.

Tout a commencé sur Facebook

Les premières rumeurs concernant la manifestation ont vu le jour deux mois plus tôt. Un événement sur Facebook et les leaders spirituels de la population dissidente de Roumanie ont contribué à faire passer le message.

“J’ai vécu aux États-Unis pendant 12 ans et j’ai eu l’opportunité de suivre des cours aux Universités de Stanford et de Harvard. [...] Pendant tout ce temps, j’avais envie de rentrer chez moi. Il y a deux ans, j’ai rassemblé mes esprits et je suis retourné chez moi avec ma famille. [...] Les gens me demandent maintenant si je suis rentré chez moi pour participer à la dernière marche du pays. Je leur dis que non, je suis revenu pour éclairer le chemin dans la direction opposée. Rejoignez-moi le 10 août pour éclairer le chemin de notre pays.”

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Ces mots, qui ont été prononcé par Sebastian Burduja en direct sur Facebook, ont amené des dizaines de milliers de Roumains à Bucarest à la date prévue. Mais plus l’événement devenait populaire, plus les dignitaires corrompus critiquaient les migrants roumains dans les médias.

Le Parti social-démocrate au pouvoir vs. la diaspora

La formation au pouvoir, le Parti social-démocrate (PSD), a travaillé dur pour ternir la réputation de ceux qui ont participé à la manifestation et les a traités de tous les noms. Après tout, il est dans l’intérêt du PSD de les calomnier parce que de nombreux expatriés attribuent les carences du système au gouvernement dirigé par le PSD. D’ailleurs, ce n’est certainement pas la première fois que la diaspora influence le sort de la Roumanie. Elle a également eu un impact décisif sur les élections présidentielles de 2014, lorsque l’opposant du PSD, l’allié de la droite Klaus Iohannis, a remporté une victoire écrasante avec 54,43% des voix.

Le PSD a bien d’autres raisons de vouloir étouffer l’influence de la diaspora. La première est sa taille. Pas moins de 7 millions de citoyens nés en Roumanie vivent hors des frontières du pays. La moitié d’entre eux (3,4 millions) ont quitté le pays après 2007, date à laquelle la Roumanie a rejoint l’Union européenne, et constituent la population migrante de Roumanie. Ils représentent 17% de la population totale de la Roumanie. Ce sont en général des personnes jeunes, indépendantes et travailleuses.

La deuxième raison est l’origine et l’éducation de ces personnes. Alors que ceux qui ont quitté le pays avant 2007 étaient généralement des travailleurs non qualifiés, aujourd’hui, au contraire, beaucoup d’étudiants, de travailleurs expérimentés, de professionnels qualifiés et même de médecins quittent le pays à la recherche de meilleures opportunités à l’étranger. Mais la carrière n’est pas le principal moteur de l’émigration.

C’est la famille. Les faibles salaires, les impôts élevés et le niveau de vie insuffisant poussent de nombreux parents à chercher une vie meilleure pour leurs enfants à l’étranger. Certains d’entre eux préfèrent laisser leurs jeunes enfants aux soins de leurs grands-parents. D’autres parviennent à s’établir à l’étranger avec leur famille. Dans tous les cas : les enfants roumains doivent souffrir parce que le gouvernement ne parvient pas à apporter des changements significatifs au système et ce problème les affecte particulièrement. Par conséquent, la Roumanie a connu un nombre inhabituel de manifestations au cours des dernières années. Sa population est en quête perpétuelle de changement. Mais parfois, il faut prendre du recul pour aller de l’avant.

La gendarmerie, une arme contre le peuple

En apparence, les seules choses que les manifestants ont obtenu suite à la manifestation du 10 août ont été du harcèlement, de la rage injustifiée et de la violence physique. De nombreux témoignages et enregistrements vidéos ont montré que la gendarmerie a fait preuve d’une violence sans précédent après qu’un groupe de hooligans a tenté de détourner la manifestation. Les affrontements ont fait de nombreuses victimes innocentes, la grande majorité des participants - comprenant des familles, des étudiants et même des personnes âgées - n’avaient aucun lien avec les groupes violents, et pourtant ils ont été traités avec beaucoup d’hostilité par la police. Il s’est avéré plus tard que les gendarmes avaient reçu l’ordredu ministère de la Défense, dirigé par le PSD, d’agir de telle sorte.

La manifestation du 10 août et le scandale lié à la conduite de la Gendarmerie n’a pas entraîné de changement du jour au lendemain, mais a divisé le pays et exacerbé les tensions à l’intérieur et à l’extérieur des frontières du pays.

A-t-elle au moins rapproché les manifestants de leur objectif ? Il est peu probable que l’influence du PSD sur la population reste indéfectible puisque certains membres du parti pourraient être responsables de centaines de victimes innocentes. Et bien qu’elle ait renforcé la rupture entre les habitants du pays, la manifestation a mobilisé plus de 100 000 personnes autour d’un objectif commun. La réponse est oui. Alors qu’à un moment donné leur objectif semblait plus éloigné que jamais et que le gouvernement semblait incontrôlable, le 10 août a montré un autre visage du PSD. Les élections présidentielles de l’année prochaine pourraient mettre encore davantage en lumière l’effet précis qu’elle a eu.

Cet article est publié en partenariat avec the European Data Journalism Network

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