Une image tirée du documentaire Classe libre, de Clara Elalouf. Classe libre Clara Elalouf

Combattre la violence sexiste passe par l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle

Plusieurs pays de l'UE ont intégré l'éducation sexuelle et/ou affective et relationnelle dans les écoles : les résistances sont encore nombreuses, renforcées par la vague conservatrice qui traverse le continent. Le consentement, les relations hommes-femmes et la domination, ainsi que les violences sexuelles peuvent (et doivent) être discutés avec les jeunes.

Publié le 17 novembre 2025
Classe libre Clara Elalouf Une image tirée du documentaire Classe libre, de Clara Elalouf.

Depuis 2018, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) affirme qu'une éducation sexuelle “complète” joue un rôle central dans la préparation des jeunes à une vie “sûre, productive et épanouissante dans un monde où le VIH et le sida, les infections sexuellement transmissibles, les grossesses non désirées, la violence sexiste et les inégalités entre les sexes continuent de représenter de graves risques pour leur bien-être”.

Cela semble être une évidence. Mais paradoxalement, l'éducation sexuelle et affective ne fait toujours pas partie du programme scolaire dans toute l'Europe.

Plusieurs pays ont intégré l'éducation sexuelle et/ou affective et relationnelle dans les écoles, mais les résistances sont encore nombreuses. Et la vague de conservatisme qui traverse le continent, parallèlement à celle qui vient des Etats-Unis, a des conséquences sur la capacité des gouvernements à mettre en œuvre les programmes, ainsi que sur la santé publique en général.

Le cas français : éduquer à la sexualité et à l’affectivité, à l’école et au-delà

Depuis 2001 (loi 2001-588), l'éducation sexuelle est obligatoire en France et doit théoriquementêtre dispensée dans les écoles primaires, collèges et lycées à raison d'au moins trois cours par an, sur tout le territoire, tant dans les établissements publics que dans les établissements privés sous contrat.

Mais les choses se passent autrement en réalité. Le quotidien Le Monde écrit en effet que “selon un rapport officiel de 2021, ‘moins de 15 % des élèves bénéficient de trois sessions [d'éducation sexuelle] pendant l'année scolaire à l’école primaire ou au lycée (respectivement moins de 20 % au collège)’”. Cette non-application a valu, en 2023, une plainte de trois associations (Planning familial, SOS homophobie et Sidaction) contre l'Etat .

Depuis l'année scolaire en cours (2025-26), l'éducation à la vie affective et relationnelle et à la sexualité (Evars) fait partie intégrante du programme scolaire français.

La période comprise entre 2001 et 2025, malgré ses lacunes, a permis la création d'espaces de parole et de bonnes pratiques. Un cas intéressant à cet égard est celui de Didier Valentin/Drkpote, qui travaille depuis une vingtaine d'années comme animateur en éducation affective et sexuelle dans les collèges, lycées et écoles professionnelles.

Valentin classe libre Clara Elalouf
Didier Valentin, alias Drkpote. Image tirée du documentaire Classe libre, par Clara Elalouf.

Valentin, dont le parcours a commencé par la prévention du VIH, explique que si son travail était initialement basé sur une prévention “hygiéniste” (prévention pratique contre les maladies sexuellement transmissibles), il se concentre aujourd'hui principalement sur “les questions de genre, les violences sexistes et sexuelles, le consentement et la relation à l'autre...”.

Valentin aborde les thèmes de “l'identité de genre, des rôles genrés et de la manière dont s'installent les rapports de domination” ; son travail fait l'objet d'un documentaire de Clara Elalouf (Classe libre) et il est l'auteur de deux livres, Génération Q : Chroniques (Ed. La Ville brûle, 2018, qui rassemble ses articles pour le journal féministe Causette) et Pubère la vie : À l'école des genres (Ed. du Détour, 2023).

Les “cours” de Valentin ont également un côté très pratique : en plus de distribuer des préservatifs, il montre l'anatomie, fait passer une vulve en silicone parmi les élèves, parle de contraception, y compris masculine.

classe libre Clara Elalouf
Image tirée du documentaire Classe libre, par Clara Elalouf.

Le mouvement #MeToo, raconte-t-il, “a été une révolution dans le domaine de l'éducation, mais pas pour les adolescents” : les jeunes sont restés à l'écart de Twitter (aujourd'hui X) et de cet événement. Ce sont les adultes qui ont changé : “Si auparavant le consentement et les violences sexuelles faisaient partie de nos formations, après #MeToo, ils sont devenus le thème central”.

Selon Valentin, il est important de montrer à ses jeunes interlocuteurs et interlocutrices que “les rôles genrés commencent très, très tôt” et qu'il est “facile” que des relations de domination s'enracinent ensuite dans la vie affective, puis sexuelle et enfin conjugale.

Le métier de Didier Valentin reste essentiellement féminin : “Nous ne sommes pas nombreux, nous les hommes cis-hétéros, à exercer ce métier”, qui est, ajoute-t-il, “un métier de soins à la personne”.

Ann-Laure Bourgeois, enseignante et journaliste, fondatrice des “Ateliers badass” et autrice du guide pour parents Parents informés, enfants protégés, est également formatrice et consultante en santé sexuelle infantile. Bourgeois explique à quel point le rôle des parents est important. “L'éducation à l'intimité commence à la maison : les parents doivent eux aussi apprendre qu'un enfant peut dire ‘non’”, par exemple lorsqu'on le touche, ou commencer à demander la permission avant de prendre une photo. “La culture du consentement commence à la maison”, ajoute-t-elle.

Si les adultes, explique-t-elle, respectent les limites corporelles d'un enfant, celui-ci “se sentira autorisé à l'école ou dans les lieux de socialisation à poser les siennes”. De cette manière, Bourgeois espère voir grandir des adultes “plus tolérants, plus heureux, mieux informés" et les violences d'autant plus réduites.

Quelle est la situation en Europe ?

L'éducation sexuelle n'est pas une compétence européenne – l'article 6 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) stipule que l'UE a des compétences de soutien en matière d'éducation et de politique de santé, qui demeurent du ressort des Etats membres – mais l'UE s'aligne sur les recommandations internationales.

Il existe des différences, parfois radicales, entre les Etats membres, ce qui conduit à des situations comme celles de la Hongrie, de la Pologne et de la Bulgarie, où les discussions sur l'identité de genre et les droits des personnes LGBT+ deviennent taboues ou illégales, s'alignant ainsi sur les positions réactionnaires de la Russie.


“Si auparavant le consentement et les violences sexuelles faisaient partie de nos formations, après #MeToo, ils sont devenus le thème central” – Didier Valentin


Dans certains pays, comme la Suède et la Finlande, l'éducation sexuelle fait partie de l'enseignement obligatoire, et est intégrée dans des matières telles que l'éducation à la santé et la biologie ; l'Allemagne propose une éducation sexuelle complète dès l'école primaire et jusqu'au secondaire : elle traite de la biologie, mais aussi du consentement, des relations, de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre.

En Belgique, elle est également obligatoire, mais les modalités de mise en œuvre varient entre la Flandre et la Wallonie. L'Autriche propose une éducation sexuelle dans les écoles, qui fait partie du programme dès l'école primaire : “L'éducation sexuelle est aujourd'hui considérée comme une forme d'enseignement scolaire qui commence dès la petite enfance, adaptée à l'âge des enfants, et se poursuit à l'âge adulte”, et la sexualité est considérée comme “un potentiel positif propre aux êtres humains”, note à ce sujet Der Standard.

Le mirage italien

En Italie, l'éducation sexuelle reste un mirage : “Dans le sillage de l'affaire Cecchettin [un féminicide très médiatisé], le ministre de l'Education Giuseppe Valditara a présenté un plan pour les écoles intitulé ‘Eduquer aux relations’. Il s'agit d'un parcours facultatif, extrascolaire, jugé insuffisant par les organisations qui s'occupent de cette question depuis des années. Les 500 000 euros initialement alloués à l'éducation sexuelle et affective dans les écoles ont finalement été destinés à la formation des enseignants à la prévention de l'infertilité”, écrit Claudia Torrisi dans Internazionale. “Depuis la première tentative, en 1975, seize propositions visant à instaurer l'éducation sexuelle dans les écoles ont été rejetées”, explique-t-elle.

La situation de l'éducation sexuelle dans les écoles lituaniennes est très hétérogène et souvent fragmentaire, explique le média Delfi. Bien qu'elles fassent partie du programme scolaire dans de nombreuses écoles, les cours d'éducation sexuelle sont rarement dispensés, parfois seulement de manière formelle.

En Roumanie, l'éducation sexuelle reste un tabou, explique HotNews ; il a été décidé d'introduire une matière appelée “éducation sanitaire”, qui peut être enseignée pendant les cours de biologie. Bien que la loi sur l'éducation stipule que l'éducation sanitaire est une matière obligatoire dans l'enseignement préscolaire, le Parlement a introduit en 2022 l'obligation du consentement parental pour les élèves de quatrième et des classes supérieures pour l'enseignement de l'éducation sexuelle, après des décennies de débats animés sur le terme même d'“éducation sexuelle”.

De même, en Bulgarie, l'éducation sexuelle n'est pas une matière distincte. Elle est plutôt intégrée dans l'enseignement de la “biologie et de l'éducation sanitaire” de la troisième à la cinquième année du secondaire.

En Grèce, l'éducation sexuelle est enseignée dans le cadre de la matière “Bien-être”, qui comprend également “Environnement”, “Conscience et responsabilité sociale” et “Créativité et innovation”. Cependant, comme les enseignants sont libres de choisir les thèmes à aborder et le temps à y consacrer, l'éducation sexuelle est souvent mise de côté et remplacée par des thèmes moins “sensibles”, explique le quotidien grec Efsyn.

En Pologne, pendant longtemps, la seule matière enseignée était “l'éducation à la vie familiale”. À la rentrée scolaire 2025-2026, une nouvelle matière non obligatoire intitulée “Education à la santé” a été introduite. Cette matière devrait également couvrir la santé sexuelle, ce qui est une source d'irritation pour le parti Droit et Justice (PiS, populiste nationaliste).

Les détracteurs du PiS ont affirmé que le programme “[contenait] des éléments préjudiciables, notamment la séparation de la sexualité de l'amour, du mariage et de la famille, la promotion de l'avortement en tant que service de santé et la diffusion de l'idéologie du genre”. Même l'Eglise catholique, qui joue un rôle particulièrement influent en Pologne, a dénoncé ces cours comme “anti-familiaux” et “déstabilisants du point de vue du genre”, affirmant qu'ils “corrompraient moralement les enfants”.

🤝 Cet article a été réalisé dans le cadre du projet PULSE, une initiative européenne visant à soutenir la collaboration journalistique transfrontalière. Ont contribué à sa réalisation Lisa Nimmervoll (Der Standard, Autriche), Ieva Kniukštienė (Delfi, Lituanie), Ștefania Gheorghe (HotNews, Roumanie), Marina Kelava (H-alter, Croatie), Desislava Koleva (Mediapool, Bulgarie) et Giota Tessi (Efsyn, Grèce).

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