Comme une nostalgie du dirigisme

Devenus les hérauts du libéralisme en politique et en économie après la chute du communisme, les pays d’Europe centrale tournent à présent le dos à l’idéologie qui avait accompagné le retour de la démocratie.

Publié le 16 septembre 2013 à 10:44

Est-ce oui ou non la fin de la crise ? L’évolution des économies d’Europe centrale doit-elle nous inviter à l’optimisme ou à la prudence ? Ni les économistes, ni les responsables politiques, et encore moins les entrepreneurs n’ont su répondre clairement à ces questions lors du dernier Forum économique annuel qui s’est tenu du 3 au 5 septembre à Krynica, au sud de la Pologne.
Mais ce qui est nouveau, ce qui n’a sans doute jamais été aussi frappant, c’est le degré de soumission toujours plus grand des économies d’Europe centrale aux décisions, humeurs et prises de position des responsables politiques. Après plus de vingt ans de construction d’un marché libre et capitaliste, on attendrait du monde économique qu’il fasse preuve d’indépendance vis-à-vis de la sphère politique et de ses responsables.

Rapport épidermique

Du point de vue des rapports entre la politique et l’économie, la Pologne est un cas assez paradoxal. Les dures réformes du début des années 1990 ont permis de créer un environnement de marché beaucoup plus concurrentiel que celui mis en place en République tchèque par le "socialisme bancaire" de [l'ancien ministre des Finances et ex-président Václav] Klaus.

Mais cela n’a pas empêché l’Etat polonais de conserver encore aujourd’hui une très forte influence dans des centaines d’entreprises. S’il est vrai que beaucoup d’entre elles sont cotées à la Bourse de Varsovie, le gouvernement reste l’actionnaire majoritaire, ce qui génère de multiples combinaisons intéressantes où se mêlent pouvoirs d’influence et flux d’argent, une réalité dont les Tchèques ne sont véritablement familiers qu’à travers l’entreprise énergétique ČEZ.

Il existe en Pologne des dizaines d’entreprises comme ČEZ. A travers elles, le gouvernement influe sur l’économie. Il maintient notamment un taux d’emploi élevé (dans les mines et les usines d’armements) et alimente son budget en les ponctionnant selon ses besoins.

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[[Un destin semblable au libéralisme politique, qui depuis ces dernières années bat en retraite en Europe centrale, attend son alter ego économique]]. A Krynica, les hommes d’affaires ont assuré que c’était bien eux qui orientaient le développement économique. Mais le rôle que joue la régulation et les interventions toujours plus importantes et répétées de l’Etat est beaucoup plus prégnant qu’il y a dix ans.

L’imprévisible politique économique du gouvernement de Viktor Orbán en Hongrie, d’augmentation des impôts et de transfert de nombreuses charges vers les entreprises, s’accompagne du rachat de quelques grandes sociétés par l’Etat. Le plan initial de privatisations élaboré par [le Premier ministre polonais Donald] Tusk s’est arrêté. Les nouvelles régulations mises en place en Slovaquie ont pratiquement stoppé depuis le début de l’année les créations d’emplois dans le secteur privé.

Réponses inappropriées

On entend souvent dire dans les débats tchèques que les électeurs se sont fait “voler” l’Etat. En Pologne, en Slovaquie et en Hongrie, au contraire, l’Etat et son pouvoir d’influence se renforcent. Et les responsables politiques pour qui un Etat fort représente une prémisse majeure dans la poursuite de leurs objectifs, et sans doute aussi la concrétisation de leurs rêves, sont ceux qui ont le plus de pouvoir et d’influence. Le président de la République tchèque, Miloš Zeman, tente aujourd’hui de faire un peu la même chose dans son pays. Mais heureusement il ne dispose pas de la même énergie que Viktor Orbán.

Heureusement aussi, les Tchèques n’entretiennent pas le même rapport épidermique à l’histoire que les Polonais, sur lequel pourrait être construit un programme négatif semblable à celui imaginé par [le conservateur] Jaroslaw Kaczynski en Pologne. Heureusement enfin, il n’existe pas en République tchèque une base partisane et entrepreneuriale aussi importante qu’en Slovaquie, où le parti Směr de [l’ancien Premier ministre] Robert Fico est, de facto, une société anonyme constituée de plusieurs groupes d’intérêts.

La crise a très sérieusement nui à la démocratie libérale européenne, parce que les dirigeants politiques ont été incapables d’apporter des réponses appropriées. Et les non-libéraux réussissent à occuper très largement l’espace abandonné par les libéraux. Comme si les électeurs, excédés par la politique politicienne et par la corruption, en avaient assez de ces 23 années d’expérimentation libérale et aspiraient au retour d’un Etat fort, prenant en charge quasiment tous les aspects de leur vie.

Il semble à long terme que la démocratie libérale soit devenue, en Europe centrale, la plus grande victime de la crise. Reste à savoir si le même destin n’attend pas l’économie libéralisée.

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