En Géorgie, les manifestants pro-européens sont de nouveau descendus dans la rue pour protester contre le régime du parti Rêve géorgien (KO, attrape-tout) après l’annonce, le 28 novembre 2024, de la suspension des négociations en vue d’une adhésion du pays à l’UE par le Premier ministre Irakli Kobakhidze. Celui-ci a prévenu que ce gel des discussions durerait au moins jusqu'à la fin de son mandat actuel, en 2028.
Depuis l'annonce de Kobakhidze, des dizaines de milliers de personnes manifestent dans la capitale, Tbilissi, ainsi que dans d'autres villes du pays, les partis d’opposition appelant à la poursuite des négociations avec Bruxelles. Les manifestations ont donné lieu à des heurts avec la police, qui a arrêté plusieurs dizaines de personnes au cours d'affrontements parfois violents.
S’agit-il d’un “nouveau Maïdan” ?
Les gens ne veulent pas d'un Maïdan. Ils veulent que les autorités respectent la Constitution et leurs droits. La crise prendra fin lorsque Rêve géorgien fonctionnera à nouveau dans un cadre constitutionnel. Ce n'est pas une stratégie politique légitime que de menacer son peuple d'annihilation s'il ne se soumet pas.
La Géorgie est-elle “polarisée” ?
La polarisation est un terme que Rêve géorgien aime utiliser pour se justifier. Bien que repris par certains diplomates et commentateurs, il s'agit d'un terme trompeur, car il implique une sorte d'affrontement horizontal, comme une rixe. Il s'agit plutôt d'une attaque du haut vers le bas contre l'ordre constitutionnel. En substance, la Géorgie ne connaît pas le type de clivage profond que l'on trouve dans certains pays occidentaux sur des questions essentielles telles que l'avortement, l'immigration ou le contrôle des armes à feu.
Quels sont les points de vue au sein de Rêve géorgien ?
Si l'on parle souvent de Rêve géorgien comme d'une entité politique, il s'agit en réalité d'un outil politique créé et détenu par un seul homme. Il ne s'agit pas d'un parti au sens classique du terme, avec un processus d'articulation des points de vue et des positions. Contrairement au parti communiste, il n'y a pas de politburo ou de secrétariat. De même, les forces de sécurité sont de facto subordonnées directement à Bidzina Ivanichvili et ne reçoivent pas d’ordres du Premier ministre. Elles sont dirigées par des personnes qui faisaient partie de sa garde rapprochée.
Rêve géorgien bénéficie-t-il d’un réel soutien ?
Rêve géorgien bénéficie d'un réel soutien en Géorgie. En dehors de Tbilissi, les principaux partisans sont généralement des réseaux de personnes (et souvent de familles) qui occupent des postes au sein de l'Etat ou qui travaillent dans des entreprises bénéficiant de financements municipaux. Ces dernières années, la principale promesse de Rêve géorgien a été la stabilité. Or, à l'heure actuelle, le parti s'écarte radicalement de la trajectoire initiale de la Géorgie, ce qui contribue grandement à démoraliser ses troupes.
Y a-t-il d’autres moyens par lesquels Rêve géorgien s’est emparé du pays ?
Rêve géorgien contrôle entièrement la fonction publique, surveille l'activité des fonctionnaires sur Facebook et réprime systématiquement toute dissidence. Il a affecté des agents du SUS (la sécurité d'Etat géorgienne) dans la plupart des institutions publiques, y compris les universités. Il se sert librement des ressources de l'Etat, y compris des bases de données gouvernementales, pour surveiller les citoyens. En outre, il instrumentalise la couverture sociale, qu’il a d'abord élargie afin de forcer les citoyens à se soumettre aujourd'hui.
Qu’en est-il de l’opposition ?
Il n'y a pas une seule opposition. “L'opposition” est un terme qui a souvent contribué à faire des déclarations à l'emporte-pièce et à empêcher une analyse nuancée. Il convient plutôt de parler de “partis d'opposition”, qui représentent un éventail de points de vue. Ces partis ont tenté de coordonner certaines de leurs positions. Cette coordination, à son tour, a pris du temps, notamment pour s'adapter à des circonstances radicalement différentes.
La Russie pourrait-elle intervenir militairement pour soutenir Rêve géorgien ?
Le Kremlin soutenant ouvertement la démarche de Rêve géorgien, certains se demandent si l'armée russe ne pourrait pas en venir à soutenir directement son gouvernement. De nombreux experts ne considèrent pas ce scénario comme plausible à l'heure actuelle. La Russie a dû recruter des soldats nord-coréens pour tenter de répondre à l'incursion limitée de l'Ukraine dans l’oblast de Koursk. Bien que d’importants éléments de l'appareil répressif semblent être pro-russes, une intervention directe en Géorgie entraînerait des défections massives au sein des forces de sécurité et probablement une insurrection à l'échelle du pays. Une telle intervention menacerait une voie de réapprovisionnement stratégique sur laquelle la Russie compte. Le Kremlin affaiblirait considérablement sa position stratégique en ouvrant un second front en terrain montagneux.
Le scénario d'une intervention russe résulte généralement d'un prisme réducteur opposant la Russie à l'Occident. La situation régionale est géopolitiquement plus favorable pour la Géorgie : le pays est un couloir de transit stratégique pour la Turquie, l'Azerbaïdjan et les pays d'Asie centrale. Ces pays ont tout intérêt à ce que la Géorgie ne soit pas totalement soumise aux exigences du Kremlin. Il ne faut pas en déduire que la géopolitique de la Géorgie est simple ou que le Kremlin n'a pas d'influence. Cependant, la suggestion qu'il n'y a pas d'autre option sensée que la capitulation est le récit du Kremlin, et non une évaluation réaliste.
Les Géorgiens ne savent-ils pas que l’Occident et l’UE ne sont pas parfaits ?
La plupart des Géorgiens comprennent parfaitement que l'UE a de nombreuses limites – et en ont fait l'expérience, notamment la gestion souvent bancale de la situation dans la région par Bruxelles. Dans le même temps, les Géorgiens comprennent mieux que de nombreux citoyens de l'UE les enjeux actuels et le fait que la liberté ne peut être considérée comme acquise (un essai de Nino Haratichvili, pour l'instant uniquement en allemand, résume ce point de vue ici). Les bouleversements provoqués par les régimes autoritaires sont gravés dans le vécu de la plupart des familles. Pour beaucoup, le drapeau européen est le symbole de la reconquête de leur propre avenir.
Quelle peut être la motivation de Bidzina Ivanichvili pour ce choix à haut risque ?
Deux explications plausibles circulent actuellement. Selon la première, Bidzina Ivanichvili doit satisfaire une liste d'exigences du Kremlin qui ont été accompagnées de menaces à son égard et à l’égard de sa famille. Ces demandes comprennent une reconnaissance plus formelle de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud en tant qu'entités et la suppression de l'article 78 (obligation de promouvoir l'intégration dans les structures euro-atlantiques) de la Constitution, et peuvent également couvrir d'autres points. Pour créer l'espace politique nécessaire à ces demandes, il s'efforce d'éliminer toutes les potentielles sources d'opposition. Le Kremlin pourrait chercher à accélérer l'assujettissement de la Géorgie dans la perspective d'une éventuelle résolution en Ukraine, en plaçant l'ensemble du Caucase sous sa propre sphère d'influence, selon le modèle de Yalta.
Selon une autre explication, également largement débattue, Bidzina Ivanichvili (“l'homme le plus seul du Caucase”) pourrait être sujet à une paranoïa croissante, avec peu d'interlocuteurs susceptibles de le dissuader d'adopter des points de vue extrêmes. Dans ce contexte, des forces internes et externes contribuent à voler le pays, car elles en tirent un profit financier et politique. Ces explications ne s'excluent pas mutuellement.
N’est-il pas plus plausible de qualifier cette appropriation de l’avenir de vol ?
Etant donné que l'assaut contre le peuple géorgien est maintenant mené à l’aide d’un usage impitoyable de la force, le vol pourrait être la caractérisation la plus appropriée. Dans d'autres domaines, tels que la prise de contrôle des institutions, la plupart des changements se sont produits progressivement et furtivement et sont passés inaperçus.
Y a-t-il des propositions de solution crédibles ?
L'un des plans les plus complets a été présenté par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Cette déclaration, soutenue par le groupe des socialistes, démocrates et verts (SOC), le Parti populaire européen (PPE, droite) et l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (ALDE-PACE), stipule que :
“Afin de pouvoir suivre la voie d'une Géorgie libre et démocratique et non celle de la violence et de la répression, des conditions-cadres claires sont nécessaires dans le pays et requises par la communauté internationale. Ces conditions sont les suivantes :
- de nouvelles élections qui se dérouleront sans pression et dans des conditions libres et équitables,
- l'arrêt immédiat de la violence et de la détention arbitraire des manifestants.
- l'introduction systématique de sanctions par les Etats européens à l'encontre des représentants de “Rêve géorgien”, y compris des interdictions d'entrée et des gels d'avoirs financiers
- la libération immédiate des manifestants détenus
- le respect du mandat de la présidente en exercice jusqu'à ce que de nouvelles élections justes et libres aient eu lieu”.d
👉 Lire l'article original sur Civil Georgia
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