Amorim housing tian an men

Face à la crise de l’habitat en Europe, la lutte pour reconquérir le droit au logement

Rome, Barcelone, Edimbourg : face à l'augmentation généralisée des loyers et à la conversion de bâtiments des centres-villes européens à des fins touristiques, des syndicats de locataires se créent.

Publié le 25 août 2025

Les grands événements aggravent souvent la situation des personnes vivant dans des conditions précaires. Le Jubilé 2025, qui a débuté le 24 décembre 2024 et s’achèvera le 6 janvier 2026, n’y fait pas exception. À l’approche de la célébration, la municipalité de Rome a décidé de “s'occuper” de la question des personnes sans-abri présentes près de la gare centrale Rome-Termini. 

La solution ? Une tente pouvant accueillir 70 personnes, qui devait être installée sur la Piazza dei Cinquecento, avant de déclencher les protestations de certaines forces politiques. Finalement, la structure a été déplacée dans le quartier plus isolé de San Lorenzo et sa capacité maximale réduite.

Cette affaire montre que la question du logement est encore traitée comme un problème d'ordre public et que les personnes sans-abri sont davantage considérées comme des obstacles à éliminer que comme des personnes  en situation de précarité. Que se passe-t-il si l'on change de perspective ? Si l'on part des vies et des besoins, et non du décorum ?

À Rome, comme dans de nombreuses villes européennes, des formes collectives de lutte et de solidarité ont vu le jour pour combattre la hausse des loyers, le tourisme incontrôlé et les inégalités sociales croissantes. Cet article relate trois expérimentations – à Rome, Barcelone et Edimbourg – qui, par des moyens différents, tentent de répondre concrètement à la crise du logement.

Rome, repartir des besoins

Née en 2017, Nonna Roma figure parmi les organisations engagées en première ligne. “L'association a commencé comme une banque d'entraide”, explique Sara Fiordaliso, qui y travaille comme bénévole. “L'aide alimentaire est un premier contact, puis tout un réseau de services se construit autour des personnes dans le but de faire en sorte que tout le monde fasse partie d'une seule et même communauté.” 

Parmi les quelque 200 bénévoles de l'association, on trouve des personnes qui se sont initialement tournées vers Nonna Roma par nécessité. Ce besoin s'est ensuite transformé en prise de conscience, en engagement et en lutte politique. 

Au fil des ans, l'association s’est également penchée sur l'urgence du logement, passant de l'assistance à la phase d'étude et de proposition politique. “Environ 18 500 familles sont inscrites sur la liste d'attente pour un logement social, et le temps d’attente pour en obtenir un est de plusieurs décennies”, explique Fiordaliso, citant l'une des nombreuses données illustrant l'ampleur de la crise structurelle en cours. 

Nonna Roma
Les locaux de l'association Nonna Roma, à Rome. | ©NR

En 2024, l'enquête Di casa a Roma (“Chez soi à Rome”) a été publiée. Ce travail collectif sur la crise du logement a servi de base à une campagne visant à lutter contre deux problèmes majeurs : le recours aux locations de courte durée et la difficulté d'accès à des loyers abordables. Un an plus tard, avec le Jubilé en toile de fond, la situation semble critique.

Une sorte d'effet bulle s'est créé avant même le Jubilé”, explique Fiordaliso, “en raison de l'attente de l'événement, les prix ont explosé, les logements à louer à Rome sont introuvables”. 

Dans les quartiers périphériques comme le Pigneto, par exemple, on ne trouve qu'une dizaine d’annonces sur les portails immobiliers, face à des milliers de locations de courte durée. “Nous avons vu des annonces pour des deux-pièces à 2 500 euros”, précise la militante.

Même si Rome est une ville grande et complexe, elle s'inscrit dans le contexte italien : la plupart des familles sont propriétaires de leur logement ou en disposent gratuitement ou en usufruit. Selon l'enquête de l'association, environ 80 % des Italiens sont propriétaires de leur logement, selon l'Istat, un chiffre bien supérieur à la moyenne européenne. Les locataires constituent donc une classe très réduite et transversale d'individus, en concurrence dans les grandes villes pour les rares loyers abordables, et soumis à des dynamiques favorisant la discrimination envers les personnes qui n'ont pas de contrat à durée déterminée ou le racisme

Dans la capitale italienne, les choses ont toutefois évolué au fil du temps, grâce notamment au réseau d'associations réunies au sein du Social Forum Abitare, dont fait également partie Nonna Roma. Un guichet pour le logement a été mis en place dans le troisième arrondissement, que l'association aide à gérer. “Nous sommes actuellement en train de mettre en place le mécanisme qui nous permettra d'offrir un service d'intermédiation”, explique Sara Fiordaliso. 

Le prochain défi sera la mise en œuvre du Plan Logement approuvé par la municipalité, qui pourrait conduire à la création d'une agence pour le logement. Ainsi, les personnes peinant à accéder au marché locatif pourraient bénéficier d'une garantie publique de la part de l'administration. Une mesure qui, après avoir été expérimentée dans certaines municipalités, pourrait améliorer la situation sur l'ensemble du territoire.

Pédagogie de la collectivisation en Espagne : le Sindicat de Llogateres 

Parmi les villes européennes qui se sont engagées en faveur du droit au logement, on trouve Barcelone. En Espagne, les loyers ont doublé au cours des dix dernières années. La part du logement social dans le parc immobilier espagnol est l’une des plus faibles d’Europe, 2,5 %.

Parmi les organisations qui défendent l’accès au logement, on trouve le Sindicat de Llogateres (“Syndicat des locataires”), qui promeut les pratiques syndicales dans les relations entre les locataires et les grandes sociétés immobilières. Présent dans toute la Catalogne, le syndicat compte environ 8 000 membres, selon sa porte-parole Carme Arcarazo. 

Environ la moitié des revenus d'une personne est consacrée au loyer”, explique Arcarazo quand on l’interroge sur les raisons qui ont conduit à la création du syndicat en 2017. “En général, la relation entre les locataires et les propriétaires est tellement inégale qu'une négociation est pratiquement impossible. Se regrouper avec d'autres locataires permet de rééquilibrer les rapports et ainsi de vraiment négocier.”

Intégrer dans une dimension collective les problèmes individuels auxquels un locataire peut être confronté est la stratégie clé des activités du Sindicat de Llogateres. Arcarazo compare à “une extorsion” une situation très courante : les locataires qui, à l'expiration de leur contrat, se voient confrontés à des demandes du type “soit tu me paies le double de ce que tu payais auparavant, soit tu pars”. 

Lorsque quelqu'un contacte le syndicat pour ce type de problèmes, “la première étape consiste à vérifier au cadastre à qui appartient la maison et combien d'autres biens immobiliers le propriétaire possède. Ensuite, nous frappons à la porte de ces autres maisons pour parler aux locataires et voir s'ils ont le même problème”. 

En mobilisant des personnes confrontées à des problèmes similaires, l’organisation tente de parvenir à une négociation collective. Lorsque cela ne suffit pas, d'autres voies sont explorées. C'est le cas de la grève des loyers lancée fin 2024, dans le sillage de la grève historique de 1931. “Je pense que la grève bénéficie d'un large soutien. C'est absurde qu'il y ait si peu de logements sociaux, et que le peu qui existe soit privatisé. De plus, nous nous opposons à la plus grande entreprise du secteur.

Mais la tâche est également éducative : “Il y a beaucoup de pédagogie à faire, mais c'est normal, non ? Les gens ont peur. Il n'y a pas de culture liée à la grève des loyers, mais je pense que tout le monde est conscient du droit de grève dans le monde du travail, et cela parce que quelqu'un a commencé à le faire quand ce n'était pas légal”, explique Arcarazo. 

Au-delà de la lutte pour de meilleures conditions et pour changer les lois, un paradigme culturel reste à révolutionner, à commencer par le droit au logement. “Nous ne voulons pas être un syndicat d'activistes, de personnes hyperpolitisées”, explique Arcarazo. L'idée de base est de dépasser la division fictive entre les citoyens ordinaires d'un côté et les “activistes” engagés de l'autre : les problèmes de classe et la crise du logement touchent autant les uns que les autres.

Droits et communautés en Ecosse

En 2024, l'OCDE a attribué au Royaume-Uni un triste record : parmi les pays à revenu élevé, c'est celui qui compte le plus grand nombre de personnes sans-abri. L'Ecosse est l'une des régions les plus touchées par la crise du logement. Dans la région d'Edimbourg, les loyers pour un appartement avec une chambre ont augmenté de 94 % en moyenne au cours de la dernière décennie.

C'est dans ce contexte qu'opère Living Rent, qui combine l'activité syndicale de défense des locataires et la construction de communautés, selon une logique “grassroots” en prenant pour modèle de la plateforme ACORN, qui repose sur des organisations locales, démocratiques et basées sur leurs membres, fonctionnant comme un syndicat. 

Cameron Scally est président de la section Leith (un quartier portuaire) de Living Rent Edinburgh. Il s'est rapproché du syndicat en 2020 pendant la pandémie, après une période de chômage et de difficultés à payer son loyer. “Edimbourg est avant tout une ville universitaire, donc une grande partie du développement récent a concerné les logements étudiants”, détaille-t-il. 

Living Rent demonstration
Manifestation de l'association "Living Rent" en Ecosse. | ©LR

Ici aussi, le tourisme est un autre facteur qui influe sur la politique du logement, en particulier en été, lorsque des événements tels que le festival Fringe font tourner l’industrie à plein régime. “Nous sommes confrontés à un énorme développement hôtelier et, en particulier, à la conversion de logements existants en locations à court terme pour les sites de location en ligne bien connus”. Une situation courante qui a récemment conduit Edimbourg à introduire une taxe de séjour, grâce à une loi nationale votée par le Parlement écossais.

Nous avons réussi à faire quelques progrès dans ce sens grâce à des campagnes menées au niveau municipal et à une organisation au niveau national”, explique Scally. “Il ne s'agit pas seulement d'empêcher l'arrivée des touristes, mais de faire en sorte que l'argent du tourisme reste dans la ville.”

Grâce aux consultations qui ont précédé l'adoption de la taxe, Living Rent a obtenu que les recettes de celle-ci soient utilisées pour soutenir le logement social, les loyers modérés et les espaces publics. L'une des contradictions de la conjoncture économique et immobilière est en effet que dans les villes qui vivent du tourisme comme Edimbourg, les travailleurs du secteur ne peuvent pas se permettre les loyers de plus en plus élevés.

Selon Scally, c'est précisément la capacité à rendre les consultations accessibles, qu'elles soient locales ou nationales, qui constitue l'un des points forts de Living Rent. “Lorsque le [Parti national écossais] et les Verts étaient au pouvoir, ils ont organisé une consultation pour définir l'avenir de leur politique du logement pour les deux années à venir”, raconte-t-il. 

Ces consultations sont directement communiquées aux associations du secteur ou aux agences immobilières, mais certainement pas aux locataires individuels. “C'est pourquoi”, poursuit Scally, “Living Rent s'est réuni et nous avons rédigé notre réponse, puis nous sommes descendus dans la rue et avons demandé aux gens de la soutenir. En pratique, nous en avons fait une occasion publique de recueillir des signatures et d'impliquer la communauté”. L'effet a donc été de rendre une procédure technique et complexe “beaucoup plus accessible aux gens”.

👉 Cet article sur Valigia Blu
En partenariat avec Display Europe, cofinancé par l'Union européenne. Les points de vue et opinions exprimés n'engagent cependant que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement ceux de l'Union européenne ou de la Direction générale des réseaux de communication, du contenu et de la technologie. Ni l'Union européenne ni l'autorité subventionnaire ne peuvent en être tenues pour responsables.
Display Europe, European Cultural Foundation, European Union
Voir plus de commentaires Je deviens membre pour traduire les commentaires et participer

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

Soutenez un journalisme qui ne s’arrête pas aux frontières

Faites un don pour renforcer notre indépendance

sur le même sujet