Revue de presse Cap Nord-Ouest

Un “cas classique de privatisation des profits et de socialisation des pertes” : négligences nordiques en matière d’environnement

La Scandinavie n’est pas épargnée par l’irresponsabilité en matière d’écologie. Au Danemark, le traitement des déchets fait scandale et le manque de préparation aux marées noires inquiète. Plus au nord, la Norvège, en autorisant l’exploitation minière des fonds marins, pourrait potentiellement provoquer un catastrophique écocide. Notre revue de presse en collaboration avec Display Europe.

Publié le 14 février 2024 à 15:38

Miranda Bryant, dans The Guardian, parle de "l'une des pires catastrophes environnementales de l'histoire du pays" : un glissement de terrain composé de deux millions de tonnes de terre contaminée avance lentement sur le village d'Ølst, dans la région du Jutland (Danemark), menaçant de dévaster l'écosystème local, y compris la rivière Alling Å. Les habitants craignent que leur village, comme le rapporte Rasmus Karkov dans le quotidien danois Berlingske, "risque d'être enseveli sous les boues, les scories, la terre et le sable contaminés, imprégnés de la pourriture de vison mort". Le glissement de terrain provient d'une usine gérée par Nordic Waste, qui, comme l'explique The Local, traite des déchets provenant "principalement des élevages de visons du Danemark, dont la fermeture a été ordonnée pendant la pandémie de Covid-19, ainsi que des déchets importés de Norvège". 

Le problème fait déjà scandale. Mais la véritable raison pour laquelle cette affaire est connue sous le nom de "Scandale des déchets nordiques" est ailleurs. Suite aux injonctions du ministère de l'Environnement en janvier 2024, Nordic Waste s'est rapidement déclarée en faillite, laissant aux contribuables danois une première facture à payer d'environ 27 millions d'euros. Le cabinet de conseil danois COWI estime que la dépollution pourrait en fait coûter plus de deux milliards de couronnes (soit plus de 268 millions d'euros). Ce qui a conduit le géologue britannique Dave Petley à qualifier l'affaire de "cas classique de privatisation des profits mais de socialisation des pertes". La pilule est encore plus amère lorsqu'on apprend, par l'intermédiaire du Service géologique du Danemark et du Groenland (GEUS), que le glissement de terrain a commencé en 2021, mais qu'il ne s’est accéléré qu'au cours des derniers mois.

Le principal actionnaire de Nordic Waste, Torben Ostergaard-Nielsen, est le sixième homme le plus riche du Danemark, avec une fortune personnelle estimée à plus de 5,5 milliards d'euros. Comme l'écrivent Lone Andersen et Jesper Høberg dans Finans, un autre milliardaire danois, Bent Jensen, n'est pas très impressionné par Ostergaard-Nielsen : "Si vous possédez autant de milliards, est-ce important que vous dépensiez 2 milliards de couronnes (plus de 260 millions d’euros, ndlr.) pour nettoyer derrière vous ?"


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Ce sentiment est partagé par le Premier ministre social-démocrate danois, Mette Frederiksen. Interrogée sur la faillite de Nordic Waste lors d'une visite sur le site de ce qu'elle a qualifié de "désastre en cours", Frederiksen déclare à The Local Denmark : "Je n'ai rien de bon à dire à ce sujet. La facture aurait facilement pu être payée si [Nordic Waste] l'avait voulu".

Andersen et Høberg ont également contacté les neuf autres personnes les plus riches du Danemark (y compris les propriétaires de la marque Lego) et leur ont demandé si elles considéraient qu'il était de leur "responsabilité morale et sociale de contribuer au nettoyage et à la prévention". Plusieurs de ces milliardaires ont expliqué ne pas vouloir répondre à la question, tandis que les autres n'ont même pas pris la peine de donner suite à la requête d’Andersen et Høberg.

Ironiquement, le fondateur de Nordic Waste, David Peter York, se vantait dans les colonnes du média local Amtsavisen de faire de la région touchée par le glissement de terrain "le leader danois en matière d'environnement durable et d'entreprises de traitement des déchets qui se concentrent sur la recyclabilité", alors même que des rapports suggéraient déjà la menace que son installation représentait pour l'environnement local. Comme l'explique Rasmus Karkov sur Berlingske, York maîtrise tous les "mots à la mode" de la responsabilité écologique et a collaboré avec plusieurs entreprises vertes de la région. En fin de compte, une façade lissée et verdoyante a cédé la place à un torrent d'immondices. 

Le scandale des déchets nordiques n'est pas la seule catastrophe écologique imminente dont le Danemark doit se préoccuper. Mads Lorenzen et Kresten Andersen, dans Finans, évoquent quant à eux la "bombe environnementale à retardement qui navigue chaque jour dans les eaux danoises" : la "flotte fantôme" de navires russes et grecs transportant du pétrole sanctionné à travers les détroits danois. Si beaucoup s'inquiètent, selon Newsweek, du fait que la Russie recourt à toute une série d'astuces impliquant des sociétés écrans et des paradis fiscaux pour dissimuler le lien entre le pétrole et Moscou (et contourner ainsi les sanctions), pour d'autres, l'inquiétude est avant tout d'ordre écologique.

Outre le flou qui entoure leur origine et leur propriété, les pétroliers en question sont souvent vieux et mal assurés, et leurs équipages ont souvent peu d'expérience des eaux turbulentes et agitées du Danemark. Cette situation a conduit l'Office national d'audit (Rigsrevisionen) du Danemark à publier un rapport dénonçant le manque de préparation du ministère de la Défense en cas de marée noire ou de déversement de produits chimiques.

À l'aide d'un exemple sombrement amusant, Lorenzen et Andersen expliquent à quel point une opération de nettoyage peut être lente : "Il y a trois ans, il a fallu 27 heures à un navire d'intervention pour atteindre le lieu d'un accident. Heureusement, il ne s'agissait que d'un capitaine ivre à bord d'un navire relativement intact rempli d'engrais". Moins amusant, la flotte de navires d'intervention du ministère de la Défense était déjà obsolète en 1996 (le Rigsrevisionen avait déjà émis de telles mises en garde en 2016). Michelle Bockmann, de Lloyd's List Intelligence, qualifie la situation de "catastrophe en attente".

La provenance obscure et le douteux régime d’assurance de ces navires constituent également un handicap financier. En cas de catastrophe, les Danois pourraient bien finir par payer (une fois de plus) la facture. Parmi d'autres solutions à court et à long terme, Christian Friis Bach, auteur danois et homme politique de centre-gauche, souhaite que le Danemark abolisse sa clause de non-participation à la coopération européenne en matière de justice. Ainsi, la législation de l'Union européenne pourrait être utilisée pour lutter contre la criminalité environnementale avec des sanctions plus sévères et aider le pays à poursuivre les criminels au-delà de ses frontières, rapporte The Local Denmark. "Cela n'aide pas beaucoup contre les Russes qui ne font pas partie de l'UE, mais c'est un bon début", tempère Bach à Finans.   
Plus au nord, la Norvège risque de commettre ce que les écologistes (et un nombre croissant d'institutions nationales et internationales) appellent aujourd’hui un écocide. Les membres des organisations Seas at Risk et Ecocide Alliance, entre autres, avertissent dans EUObserver que la décision du pays scandinave d'autoriser l'exploitation minière en eaux profondes dans l'Arctique causera "des perturbations durables pour la stabilité du climat et la santé marine". La décision de la Norvège répond selon eux à la définition juridique de l'écocide : "actes illégaux ou gratuits, commis en sachant qu'il existe une forte probabilité que ces actes causent des dommages graves, étendus ou à long terme à l'environnement". Sur cette base, les auteurs estiment que l'Union européenne et la communauté internationale devraient exiger de la Norvège qu'elle revienne sur sa décision.

Comme le rapporte Reporterre, le Parlement européen a adopté le 7 février 2024 une résolution demandant à la Norvège de protéger les écosystèmes arctiques et de décréter un moratoire sur l'exploitation minière en eaux profondes – une résolution qualifiée de victoire par Greenpeace France. Reste à voir si la Norvège cède à la pression internationale. Après tout, elle a déjà ignoré les préoccupations des scientifiques, de la société civile, de l'Agence norvégienne de l'environnement et d'une pétition signée par plus de 500 000 personnes.

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