Idées Pour une République européenne

De quelle Europe le monde a-t-il besoin ?

Pour le sociologue Alain Caillé, l’ingénieur Thierry Salomon et le philosophe Patrick Viveret, la construction d’une méta-nation sous la forme d’une République européenne, est à même de relever le triple défi actuel du dérèglement climatique, de la lutte contre les inégalités et de l’enjeu démocratique.

Publié le 19 avril 2019 à 15:32

L’humanité est désormais confrontée au triple défi du dérèglement climatique, de l’explosion des inégalités et de l’érosion des valeurs humanistes et démocratiques engendrant un processus de dé-civilisation. C’est dans ce contexte qu’il faut réfléchir à l’avenir de l’Europe en se demandant comment affronter ces défis, mais aussi de quelle Europe le monde a besoin. Or le projet européen ne fait plus rêver.  

En dépassant les frontières des Etats-nations, il devait garantir une paix perpétuelle. En créant un grand marché il devait assurer la prospérité économique. En réalité l’Europe est divisée entre six ou sept blocs, aux contours instables, aux intérêts divergents et la règle de l’unanimité au sein de l’UE interdit toute avancée significative. Affaiblie face aux marchés financiers et aux paradis fiscaux, face aux Etats-Unis, à la Russie, à la Chine et aux puissances émergentes, l’Europe ne parle plus au monde et ne se parle même plus à elle-même.

Urgences européennes

Bien sûr, l’Europe a toujours avancé lentement. Mais nous n’avons plus le temps, pour au moins trois raisons. Tout d’abord, si les peuples restent attachés à l’euro, partout la colère gronde en Europe contre la dégradation des conditions d’existence. Contre le vide de sens et l’absence d’un projet mobilisateur. Ensuite, c’est dès aujourd’hui qu’il faut impulser une transition écologique et énergétique.

Si l’Europe ne s’y engage pas avec une ferme résolution, elle perdra toute autonomie géopolitique. Enfin, même au sein de l’Europe, le respect du pluralisme, de la dignité humaine et de la liberté de penser est en régression constante. Si elle n’est plus en mesure de porter et d’incarner ces valeurs démocratiques, qui donc le fera à sa place ? Et puisque cet idéal n’est pas suffisamment fort par lui-même, il faut que l’Europe qui l’a vu naître et s’en réclame assume d’incarner un projet de (re)civilisation face aux barbaries qui montent.

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Contours d’une République Européenne

L’Europe a cru pouvoir dépasser la forme de l’Ėtat-nation. Or, partout dans le monde ce sont les nations qui s’affirment et s’affrontent, y compris à nouveau à l’intérieur même de l’Europe. Le cadre national est en effet le seul à ce jour où, dans les sociétés modernes, les citoyens se sentent solidaires les uns des autres, protégés et rassurés par cette solidarité. Pour autant, il serait dangereux de vouloir en revenir aux formes traditionnelles de la nation qui reposaient sur l’identité imaginaire entre unpeuple, unterritoire, unelangue, uneculture et unereligion. Comment dès lors concilier cette double exigence de solidarité et de diversité, comment refonder une Europe en dépassant la nation et la force, toutes deux pourtant nécessaires à la réalisation de l’idéal démocratique ?

Il existe une voie : bâtir une méta-nation, une nation de nations, sous la forme d’une République Européenne.

Cette République serait à la fois unie par le principe républicain et décentralisée par sa dimension confédérale, offrant ainsi un champ très large au principe de subsidiarité. Dotée d’une Assemblée souveraine et d’un Sénat représentant à la fois les régions et les organismes de la société civile (syndicats, ONGs, associations, etc.), cette République serait dirigée par un gouvernement de taille restreinte, ayant à charge de mettre en œuvre, une fois adoptée par son parlement, une politique commune sociale, économique et financière, énergétique et scientifique, diplomatique et militaire. Une Assemblée de Citoyens tirés au sort (sorte de conférence de consensus permanente) aurait un rôle consultatif mais aurait le pouvoir de soumettre à référendum celles de ses propositions qui n’auraient pas été prises en compte.

Un tel projet pour l’Europe peut sembler aujourd’hui utopique. Faut-il rappeler, pourtant, qu’il était celui de ses pères fondateurs ?

Trois raisons constitutives

Seule une République Européenne serait en capacité de répondre aux trois défis majeurs de notre temps.

1 – Le dérèglement climatique.

Le projet européen s’est concrétisé en 1952 sous la forme d’une Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Or les politiques énergétiques françaises et allemandes, par exemple, sont aujourd'hui dramatiquement opposées et concurrentielles, alors qu'elles pourraient être remarquablement complémentaires et coopératives.

Il faut, au sein d’une République Européenne, une politique énergétique commune, cohérente et coordonnée. Face aux enjeux et aux risques climatiques et énergétiques, le seul objectif sensé à moyen terme (2040 -2050) est  de parvenir à un objectif « triple zéro” :

  • zéro émissions nettes de gaz à effet de serre ("neutralité carbone") ;
  • zéro énergies fossiles (sortie du charbon, du pétrole et du gaz fossile) ;
  • zéro déchets toxiques (impliquant une sortie du nucléaire).

2 – La lutte contre les inégalités

Aucun peuple ne supporte plus que les 0,1 % d’ultra-riches ou les multinationales amassent des fortunes vertigineuses en se dispensant massivement de payer tout ou partie de leurs impôts grâce à une « optimisation fiscale », en réalité une évasion rendue possible par l’existence de paradis fiscaux. Seule une République européenne suffisamment forte en matière économique, politique, juridique et de défense sera en mesure de faire respecter l’équité fiscale et de garantir que la concurrence ne soit pas faussée par le dumping fiscal et la course au moins-disant économique, social et écologique. Les droits sociaux les plus avancés ne pourront alors être remis en cause.

3 – Revivifier l’idéal démocratique

Pour beaucoup, pour de nombreux jeunes notamment, les idéaux démocratiques sonnent creux. Les peuples ont de moins en moins confiance dans leurs représentants élus mais aussi dans leurs administrations et la technocratie bruxelloise. Cette double rupture de confiance est alimentée par un large sentiment d’impuissance face aux Marchés et par le vide de sens du projet européen actuel. Seule une République Européenne, capable d’affronter les défis climatiques, économiques et sociaux (mais aussi les problèmes de Défense et d’accueil des migrants) peut redonner sens et espoir.

Qui pourrait faire naître la République Européenne ?

L’Europe est clairement à la merci d’un pari. Renouer avec ce qu’elle a inventé, et l’actualiser, ou disparaître de la scène du monde. Contribuer à l’invention de normes universalisables ou s’évanouir dans le chaos qui s’annonce.S’unir, une fois pour toutes, ou bien sortir de l’Histoire et ne plus exister que dans le renoncement à tout ce à quoi les peuples d’Europe ont cru. Sauront-ils dépasser leur chauvinisme pour construire une méta-nation, ou rentreront-ils en régression ? Il faut, au moins, que la question leur soit posée.

Elle ne pourra l’être ni par les représentants des entreprises, trop dépendantes des marchés, ni par les partis politiques actuels, cantonnés aux espaces nationaux. C’est donc à la société civique européenne de prendre le relais, à cette nébuleuse si vivante et protéiforme d’associations, d’ONGs, de coopératives de l’économie sociale et solidaire. C’est maintenant qu’il faut faire naître un débat qui puisse redonner espoir aux peuples d’Europe. N’ont-ils pas en commun un passé, trop souvent meurtrier mais résonnant de splendeurs artistiques, techniques, scientifiques et politiques ? Il leur reste à inventer leur avenir.

Qui serait partie prenante et constitutive de la République européenne ? Tous les États ou les peuples d’Europe qui le souhaitent et qui adhérent à la triple exigence de lutter contre le réchauffement climatique, l’évasion fiscale et l’érosion des valeurs démocratiques. Mais il est clair que cette République ne pourra pas voir le jour et atteindre une taille critique sans, au départ, la participation de deux ou trois des grands pays européens.

À cette condition l’Europe pourra reconquérir une part de la puissance qu’elle perd un peu plus chaque jour. Mais avec la conviction que cette puissance n’est pas une fin en soi car on en a vu les limites, voire les crimes, avec l’impérialisme ou le colonialisme : ce n’est pas d’une Europe puissance dominatrice dont le monde a besoin mais bien d’une Europe puissance créatrice.

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