Sur la place Transalpine-De l'Europe, la plaque qui marque la frontière entre l'Italie et la Slovénie (Gorizia-Nova Gorica). Photo : Brez Meja.

Deux villes soeurs qui ne s'aimaient guère

La chute du Rideau de fer aurait dû unir les deux villes. Mais Gorizia l'italienne et Nova Gorica la slovène continuent de s'ignorer superbement. Alors que la seconde est en plein boom économique, la première vit dans la nostalgie de ses beaux jours.

Publié le 4 juin 2009 à 12:58
Sur la place Transalpine-De l'Europe, la plaque qui marque la frontière entre l'Italie et la Slovénie (Gorizia-Nova Gorica). Photo : Brez Meja.

Il fut un temps où des centaines de voitures s’alignaient sur ce vaste parking. Aujourd’hui déserté, il ne compte plus qu’une poignée de véhicules égarés sous la lumière blafarde des lampadaires. A l’exception des rares clients d’une pizzeria voisine, il n’y pas âme qui vive. Un taxi ? Le serveur nous regarde comme si nous étions tombés de la lune. “A huit heures du soir, vous ne trouverez pas le moindre taxi dans tout Gorizia”, répond-il. La journée est finie. “Essayez du côté slovène, à Nova Gorica, ils travaillent 24 heures sur 24”, poursuit-il en désignant le poste-frontière que tout le monde ici appelle la Casa Rossa. “Vous voyez ? C’est là-bas derrière qu’ont sifflé les premières balles de la guerre des Balkans, en juin 1991”.

A présent, les voitures traversent ce lieu historique sans même ralentir. La frontière est peut-être devenue invisible, mais elle n’a jamais été aussi présente. Derrière la Casa Rossa, c'est un autre monde qui commence. A gauche, une grande station service (“Ouverte 24/24”) déborde d’activité tandis qu’à droite, un énorme panneau publicitaire invite les automobilistes à tenter leur chance au casino Fortuna. Ici, tout le monde va à la Perla, le plus grand casino de Nova Gorica et, prétendument, d’Europe. On y parle exclusivement italien, sauf quand deux croupiers discutent ensemble en slovène. C’est ainsi que les euros passent en un flux ininterrompu des porte-monnaie des joueurs aux caisses de la Perla, de l’Italie vers la Slovénie, 24 heures sur 24.

De l’autre côté de la frontière, la ville italienne de Gorizia s’éveille sur le coup de neuf heures. La via Rastello, charmante ruelle bordée de vieilles maisons du Moyen Age, offre un spectacle pour le moins déprimant : une enfilade de boutiques longue de 300 mètres dont les trois quarts ont baissé leur rideau. Tandis qu’un store arbore encore la promesse de “Happy days”, les carreaux sales des fenêtres montrent au visiteur que les beaux jours de cette ville sont à présent bien loin.

Marko Marini est responsable des “relations transfrontalières” pour la région de Gorizia. L’homme, membre du parti des Verts, parle d’occasions ratées et d’une ville pour qui l’ouverture de la frontière avec la Slovénie a davantage été synonyme de préjudices que d’opportunités de développement. Pendant près de mille ans, il n’y a pourtant pas eu de frontière ici. Jusqu’en 1947 et les nouvelles lignes de partage héritées de la Seconde Guerre mondiale. A l’époque, la ville italienne avait perdu tout son arrière-pays yougoslave et ne s’en était pas trouvée plus mal. Le grand parking vide derrière le poste-frontière servait aux Slovènes qui traversaient le Rideau de fer, relativement perméable, pour faire leurs emplettes. “Paradoxalement, il y avait beaucoup plus d’échanges entre les deux pays à cette époque”.

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Ensemble, Gorizia et Nova Gorica auraient pu devenir des villes véritablement européennes. Mais il n’en a rien été. L’effondrement du bloc communiste ne s’est traduit ici que par l’ouverture d’une ligne de bus entre les deux villes. Contrairement à sa voisine italienne, Nova Gorica est une ville jeune. Ici, aucun bâtiment n’a plus de soixante ans. Sous Tito, Nova Gorica a été créée à partir de rien. Ces deux villes sœurs, si différentes, pourraient aujourd’hui se jumeler, explique Miriam Bozi, la responsable de la Chambre de commerce de Nova Gorica, même si cela paraît peu probable depuis que des partisans de Berlusconi ont conquis la mairie de Gorizia, en 2007. Mais cette femme énergique continue de voir les choses en grand. Nova Gorica a enregistré une croissance annuelle de 6% ces dernières années. Un grand projet de développement est déjà tombé à l’eau, mais peu importe. Miriam Bozi en a déjà un autre sous le coude, de dimensions pharaoniques. "Nous voulons construire une pyramide, encore plus grande que celle de Chéops, avec deux façades couvertes de panneaux solaires, pour abriter un musée européen de l’aviation. Cela représenterait un investissement de 950 millions d’euros", explique-t-elle, comme si un tel projet allait de soi pour la petite ville.

Le trajet de la ligne “internationale” de bus s’arrête à la Piazza Transalpina, auparavant coupée par la frontière. C’est ici que l’on a célébré l’élargissement de l’Europe, le 1er mai 2004, avec en invité d’honneur Romano Prodi, alors président de la Commission. Même ici, Gorizia et Nova Gorica ne sont pas sur la même longueur d’onde. Côté italien, la place s’appelle toujours Piazza Transalpina, tandis que les Slovènes ont rebaptisé la leur Place de l’Europe.

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