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De l’Amérique de Trump à l’Europe, la criminalisation de la migration et de la solidarité fait système

Poussée par des discours de plus en plus sécuritaires, la criminalisation des personnes migrantes et des défenseurs des droits humains s’est intensifiée ces dernières années, aux Etats-Unis comme en Europe.

Publié le 16 juillet 2025

Les images spectaculaires de la campagne de lutte contre la migration irrégulière en cours aux Etats-Unis ont été vues et partagées dans le monde entier. Initiée par le président Donald Trump dès son retour au pouvoir, la répression actuelle ne témoigne pas seulement de la dérive de l’autoritarisme du pays de l’Oncle Sam : elle révèle, en miroir, la nature des politiques migratoires européennes, qui ne sont pas si différentes.

“Une attaque autoritaire contre une démocratie constitutionnelle”

Dès sa reprise de la présidence en janvier 2025, Donald Trump a lancé une vaste campagne visant à lutter contre l’immigration irrégulière. Les arrestations et les incarcérations par l’United States Immigration and Customs Enforcement (ICE) – l’agence de police douanière chargée du contrôle des frontières – se sont multipliées dans tout le pays. 

Selon la Maison-Blanche, l’ICE aurait arrêté 100 000 immigrants sans papiers depuis le début du mandat de Donald Trump. 59 000 personnes seraient actuellement en détention dans les centres de l’ICE, et plusieurs dizaines de milliers de détenus ont déjà été expulsés du pays. Le président américain espère à terme pouvoir expulser 3000 personnes par jour. 


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Le nombre d’arrestations et de mises en détention sont cependant à recontextualiser, selon le politologue Cas Mudde. “Je pense que de nombreux Européens ont une vision biaisée des Etats-Unis, qu'ils voient trop positivement lorsque les Démocrates sont à la présidence et trop négativement lorsque les Républicains sont au pouvoir. Le fait est que les raids d'immigration et surtout les déportations ont été très élevés sous les présidents Obama et Biden également.

La principale différence est que l'Etat se concentre presque exclusivement sur les étrangers sans papiers ayant un casier judiciaire sous les Démocrates, et qu'il adopte une approche plus indifférenciée sous les Républicains”, explique Mudde. 

L’administration démocrate sous Joe Biden a bien été en mesure de naturaliser près de 3,5 millions de personnes (un record, tous mandats présidentiels confondus), en plus d’étendre les voies légales d’accès à la migration, selon un document du Migration Policy Institute (MPI). 

Mais elle a également procédé à un nombre record de déportations. Un document de l’ICE en recense plus de 271 000 dans la dernière année fiscale du mandat de Joe Biden, le plus grand nombre en une décennie – dépassant donc le premier bilan de Donald Trump.

Trump s'appuie sur les dispositifs anti-immigration mis en place par les administrations précédentes, qu'elles soient démocrates ou républicaines”, précise Mudde. Pour lui, la rhétorique employée par le locataire de la Maison-Blanche fait également écho à des discours tenus par des politiciens extérieurs à son parti. “Ses attaques contre les universités reposent sur des arguments largement utilisés par les libéraux (de l'administration Biden au New York Times), par exemple en ce qui concerne les allégations d'’antisémitisme’ [parmi les mouvements étudiants pro-palestiniens] sur les campus universitaires. Cela montre simplement, une fois de plus, qu'il n'y a pas de ligne de démarcation nette entre le ‘courant dominant’ et l'extrême droite.

Cette nouvelle vague de répression, très médiatisée, est en cela inédite qu’elle déplace dans le quotidien de millions d’Américains une violence habituellement réservées à des espaces lointains : les frontières. Depuis plusieurs mois, les réseaux sociaux et les médias américains pullulent d’images montrant des personnes arrêtées en pleine rue, à leur travail ou même dans les couloirs des tribunaux de l’immigration. Le profil des personnes visées frappe également : près de la moitié des personnes actuellement en détention n’auraient pas de casiers judiciaires, contrairement à la rhétorique de l’administration trumpienne, qui prétend s’attaquer aux criminels en priorité. 

En quête de nouvelles cibles, l’Etat américain souhaite également viser les personnes bénéficiant d’un statut de protection temporaire ou d’un permis de travail, en les privant de leur autorisation de résidence et en les exposant à une possible expulsion. 

Une part de l’opinion publique américaine désapprouve fortement la conduite de l’administration américaine – les manifestations qui ont éclaté dans tout le pays le prouvent. L’Etat a déjà dû reculer sur certains points, notamment concernant les arrestations dans le secteur de l’agriculture et de l’hôtellerie et restauration, qui dépendent grandement de la main-d'œuvre immigrée. 


“De nombreux Européens ont une vision biaisée des Etats-Unis, qu’ils voient trop positivement lorsque les Démocrates sont à la présidence et trop négativement lorsque les Républicains sont au pouvoir. Le fait est que les raids d’immigration et surtout les déportations ont été très élevés sous les présidents Obama et Biden également” – Cas Mudde


Initialement en difficulté financière, L’ICE a reçu une augmentation de budget colossale début juillet. Elle dispose désormais de plus de 100 milliards de dollars jusqu’en 2029 (contre un budget annuel de moins de 10 milliards de dollars par an auparavant) pour recruter du personnel, accroître ses capacités de détention et multiplier les expulsions à un degré jamais vu auparavant. Pratiquement du jour au lendemain, l’ICE est devenue l'agence fédérale de maintien de l'ordre la plus dotée de l'histoire du pays.

Si le tournant autoritaire est brutal et assez extrême, l'administration Trump a perdu presque toutes les affaires judiciaires liées à son programme autoritaire”, tempère Mudde. “On assiste donc à une attaque autoritaire contre une démocratie constitutionnelle et il est bien trop tôt pour décider qui sera le vainqueur.”

Une situation similaire pourrait-elle se produire en Europe ?

Pour Cas Mudde, se poser cette question revient à ignorer “ce qui se passe et s'est passé dans un grand nombre de pays d'Europe centrale et orientale, comme la Hongrie, la Pologne, la Serbie et la Slovaquie. Mais la démocratie libérale et l'Etat de droit ont également été mis à mal par des partis essentiellement traditionnels en Autriche et aux Pays-Bas, pour n'en citer que quelques-uns”. 

La présence de l’extrême droite à la tête de certains pays et l’intensification des discours anti-migrations en Europe ont permis la multiplication de politiques migratoires largement critiquées.

Une proposition de loi de la Commission européenne permettant la création de “centres de retour” dans des pays tiers a été attaquée par des organisations de défense des droits humains, qui y voient une mesure court-termiste en rupture avec le droit international. 

Une circulaire de la présidence polonaise du Conseil de l’UE, diffusée avant la publication de la proposition, n’a fait qu’accroître les inquiétudes de l’organisation Statewatch. “La position dominante [parmi les Etats membres] est d'avoir la base juridique encadrée d'une manière flexible qui permettrait également des applications plus personnalisées en accord avec les pays d'accueil potentiels des centres et empêcherait un contrôle judiciaire qui pourrait mettre en péril la mise en œuvre de cette solution innovante”. 

En clair : formuler la proposition de sorte que la mise en place et le fonctionnement des centres ne soient pas entravés par la justice – comme cela a été le cas pour la “solution rwandaise” au Royaume-Uni ou l’accord passé entre l’Italie et l’Albanie.

Si les contraintes légales en matière de traitement des réfugiés et des demandeurs d’asile limitent effectivement les abus, certains gouvernements opèrent déjà aux frontières de la loi. 

En Grèce, 1626 réfugiés et migrants ont été placés dans des centres de détention en vue de leur départ en 2024, selon un rapport de l’ONG Refugee Support Aegean (RSA). Les Afghans et les Syriens sont les deux groupes les plus placés en détention administrative (respectivement 7012 et 5724 personnes). Pour l’organisation RSA, cet état de fait soulève “de sérieuses inquiétudes quant à la légalité et à la pertinence d'imposer une privation de liberté”, étant donné que l'écrasante majorité d'entre eux sont des réfugiés qui ne peuvent pas être expulsés vers leur pays d'origine.

Une condition nécessaire à l'imposition d'une détention avant le départ est, entre autres, la perspective d'un éloignement”, continue RSA. “Cependant, dans le cas de personnes originaires de pays tels que l'Afghanistan, la Syrie, l'Erythrée, la Palestine, le Yémen ou le Soudan, la détention avant le départ a été imposée sans aucune perspective d'expulsion vers leur pays d'origine ou vers la Turquie.

À peine 14,1 % des placements en détention ont été contestés en 2024, une faible proportion influencée par les difficultés à faire appel et le manque d’assistance légale en Grèce. Pourtant, 42,2% des objections à la détention examinées par les tribunaux de première instance l’année dernière ont été considérées comme recevables. Aucune condamnation n'a cependant été prononcée à l'encontre de la police pour des arrestations ou des expulsions illégales, ni pour des arrestations ou refoulements informels. Par le passé, les forces de sécurité ont été accusées de pratiquer une culture de l'impunité et de manquer de transparence. 

Plus de la moitié des réfugiés et migrants arrivés en Grèce en 2024 étaient syriens ou afghans (respectivement 21 500 et 15 561 personnes, sur 65 072). La majorité d’entre eux étant reconnus comme réfugiés, l’expulsion est impossible au cours du processus d’accueil et d’identification si ces derniers soumettent une demande d’asile. 

Malgré la diminution des expulsions effectivement exécutées, le nombre de décisions d'expulsion a augmenté l'année dernière, atteignant 31 629 (contre 29 869 en 2023). “Nous continuons à souligner que les autorités policières contournent le droit européen en prenant des décisions d'expulsion à l'encontre des demandeurs d'asile nouvellement arrivés, et ce sans discernement”, note l’organisation RSA.

Accusation disproportionnées

Un rapport de l’organisation pour la défense des droits humains des personnes sans papiers PICUM, paru en 2025, démontre que les migrants et les individus qui leur prêtent assistance sont de plus en plus criminalisés en Europe. En 2024, au moins 94 migrants étaient poursuivis pour avoir facilité l’immigration irrégulière, ainsi que 142 défenseurs des droits humains pour avoir apporté leur soutien à des exilés. Selon le document, le caractère disproportionné des accusations montre comment “les politiques de lutte contre le trafic d'êtres humains sont fondées sur des idées fausses concernant ce qui constitue le trafic [...] et finissent par nuire aux droits des migrants et des personnes solidaires, au lieu de les protéger.”

En 2023, la Commission européenne a proposé une révision des règles en matière de lutte contre le trafic d’êtres humains. Pour Silvia Carta, chargée de plaidoyer pour PICUM, la révision proposée de la directive sur la facilitation exposera les personnes à un risque de poursuites pénales simplement pour avoir franchi les frontières ou pour avoir aidé d'autres personnes dans le besoin. Fin 2024, plusieurs ONG – dont PICUM – ont déposé une plainte auprès du Médiateur européen pour dénoncer l'incapacité de la Commission européenne à évaluer correctement l'impact des nouvelles lois proposées pour lutter contre le trafic de migrants. Pour Carta, “la décision du Médiateur européen d'ouvrir une enquête contre la Commission est une reconnaissance importante du fait que cette proposition risque de violer les droits fondamentaux et que la Commission n'a pas pris ces risques au sérieux.

Selon Frontex, l'agence européenne chargée du contrôle et de la gestion des frontières extérieures, les entrées irrégulières en Europe ont diminué de 20 % dans les premiers mois de 2025, totalisant 63 700 occurences. Une baisse que l’agence attribue notamment aux contrôles frontaliers plus sévères et à la météo, mais qui cache une réalité plus sombre. En 2025, 752 personnes sont décédées en tentant d’effectuer la traversée de la Méditerranée, selon l’Organisation internationale pour les migrations (IOM), principalement le long de la route méditerranéenne centrale. 

Loin de s’émouvoir du sort des personnes en mouvement, certains politiciens voient dans la violence des politiques migratoires un objectif à atteindre. Le 28 juin 2025, le gouvernement grec a nommé Thános Plévris, un politicien issu de l’extrême droite islamophobe et antisémite, au poste de ministre de la Migration et de l’Asile. En 2011, alors membre du parlement grec, Plévris détaillait déjà sa vision de la défense des frontières. “La surveillance des frontières ne peut se faire sans pertes, et pour être clair, sans morts. Garder les frontières signifie des morts”, expliquait-il à l’occasion d’un rassemblement organisé par le magazine d’extrême droite Patria. Il précisait également son interprétation des politiques d’accueil. “S'ils ne sont pas plus mal lotis [ici], ils viendront. Ils doivent être dans une situation pire [que dans leur pays d’origine]. Leur vie, leur enfer, doit ressembler à un paradis comparé à ce qu'ils vivront ici.” 


“Les descentes de police [visant les personnes migrantes] ne sont pas l’apanage des Etats-Unis. Nous les avons observés dans toute l’Europe” – Garyfallia Mylona


La société civile est également affectée par les politiques migratoires. Dans un rapport publié fin 2024, l’ONG Amnesty International dénonce un retour en arrière en matière de respect des droits humains dans les politiques migratoires en Espagne. L’ONG précise notamment que le pays, aux côtés de l'Allemagne et de la Suède, est l’Etat employant le plus le profilage ethnique dans l’UE, révélant le “racisme structurel qui [y] existe”. En 2024, 3 031 ressortissants étrangers ont été expulsés d'Espagne pour diverses raisons de sécurité nationale, selon le ministre espagnol de l'Intérieur. Ces chiffres représentent une augmentation de près de 50 % par rapport au nombre d'expulsions traitées trois ans plus tôt : en 2021, 2 025 cas avaient été enregistrés.

Les descentes de police [visant les personnes migrantes] ne sont pas l'apanage des Etats-Unis”, précise Garyfallia Mylona, chargée de plaidoyer pour PICUM. “Nous les avons observés dans toute l'Europe, dans les camps de migrants de Calais, en France, dans les parcs, les gares et les restaurants de Belgique, dans les bars à ongles et les stations de lavage de voitures au Royaume-Uni. Trop souvent, les personnes sans papiers risquent également la détention et l'expulsion si elles tentent d'accéder aux services publics, par exemple en Allemagne, où la plupart des autorités publiques sont tenues de les signaler aux services d'immigration”. 

Pour Mylona, les arrestations et les obligations de signalement, en plus de nuire aux personnes et de séparer les familles, répandent la peur et la méfiance à l'égard des institutions parmi les communautés de migrants. “Les dirigeants politiques des deux côtés de l'Atlantique doivent promouvoir l'inclusion et des systèmes de protection sociale solides, au lieu de semer la division et la violence.

La violence vue aujourd’hui dans les rues américaines trouve son écho dans celle qui se déploie en Méditerranée, à la frontière polono-biélorusse ou le long de la route des Balkans

Dans un contexte international marqué par une criminalisation de la migration toujours plus importante, l’Amérique de Donald Trump ne fait pas exception. 

Les Etats européens, qu’ils soient d’extrême droite ou non, traditionnellement considérés comme autoritaires ou libéraux, ont depuis longtemps posé le pied sur la pente glissante dans laquelle se sont engagés les Etats-Unis.

🤝 Cet article a été produit dans le cadre du projet PULSE, une initiative européenne soutenant les coopérations journalistiques transfrontalières. Lola García-Ajofrín (El Confidencial) et Dimitris Angelidis (Efsyn) ont contribué à sa rédaction.

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