Grandeur et misères de la démocratie

Publié le 25 février 2011 à 15:34

Ce 25 février, l’Irlande vote, et elle est en colère. Il est probable qu’elle élise au poste de Taoiseach [Premier ministre] Enda Kenny, du Fine Gael, un parti de centre-droit, qui remplacera ainsi le Fianna Fáil, une autre formation de centre-droit généralement considérée comme responsable de l’effondrement économique du pays. Kenny, comme la plupart des dirigeants politiques irlandais, compte plus ou moins appliquer les mêmes mesures que son prédécesseur : plus d’austérité budgétaire, respect des termes du renflouement de l’UE et du FMI, et toujours plus de milliards des fonds publics pour les banques en faillite du pays. Comme l’a souligné l’éditorialiste Fintan O’Toole :"Cela veut dire que toute cette colère, tout ce dégoût, toutes ces imprécations et ces manifestations de rage n’auront abouti à rien de bien sérieux."

Alors que, résignés, les Irlandais exercent leur droit démocratique, ils n’en gardent pas moins un œil sur les soulèvements en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, où des centaines de personnes meurent au nom des libertés les plus fondamentales. Beaucoup, captivés par les événements à la fois fascinants et effrayants qui se déroulent en direct sur Al Jazeera et la BBC, doivent se sentir touchés, inspirés même, parce qu’eux aussi, comme nous tous ou presque, doivent instinctivement comprendre toute la noblesse de la démocratie.

Par conséquent, ils doivent également éprouver un certain découragement à l’idée que, à un moment donné, après tous ces sacrifices, tout ce sang versé, les peuples de Tunisie, d’Egypte et de Libye se verront obligés de choisir entre des variantes locales du Fianna Fáil ou du Fine Gael, qui se disputeront pour savoir quels impôts traficoter, quels services publics dégraisser et comment obtenir de meilleurs taux d’intérêt pour les remboursements à l’UE et au FMI.

L’avènement de la démocratie doit-il inévitablement aboutir à des mégotages technocratiques ? Sous certains aspects, il est mal avisé de comparer les évènements actuels et les révolutions de 1989. Si la participation électorale, dans d’anciens pays communistes comme la Roumanie, la Bulgarie, la République tchèque et la Pologne, peut servir de baromètre de l’enthousiasme que suscite la démocratie, alors, à en juger par une moyenne de 50 à 60 % à chaque échéance, la réponse est oui. Vingt ans seulement après le changement, près de la moitié de ces électorats se sont tout simplement déconnectés.

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Le problème n’est pas qu’une question de complaisance, il tient aussi, semble-t-il, au fait que nos dirigeants sont extrêmement timorés et ne sont guère une source d’inspiration. Par exemple, comment peuvent-ils susciter le respect, quand des gens comme Catherine Ashton, la patronne des Affaires Etrangères de l’UE, et comme Barack Obama se sont montrés aussi tièdestandis que les Egyptiens, au péril de leur vie, déferlaient sur la place Tahrir ? Que feraient-ils si la tyrannie rôdait de nouveau en Europe ? Or, cela n’est pas tant lié à des manquements personnels, mais plutôt à une culture politique hostile à toute prise de risque, ce qui explique pourquoi une dame somme toute honnête comme Lady Ashton et Obama, autrefois synonyme d’euphorie, ont si peu de marge de manœuvre, et qu’ils ont l’air dépassés et non libérés par les pouvoirs formidables dont ils disposent.

Parce que nous vivons dans des sociétés qui n’osent rien, alors, immanquablement, rien ne changera, et par conséquent, le vote n’est pas aujourd’hui un geste plus stimulant que celui de choisir entre les Cornflakes et les Rice Krispies au supermarché. Mais, en dépit de décennies de dictature, les peuples d’Afrique du Nord nous montrent que ce qui paraissait être gravé dans le marbre peut brutalement tomber en poussière. En entrant dans l’isoloir, les Irlandais, comme les autres Européens, devraient se souvenir que, loin d’être un fardeau qui pèse sur leurs épaules, le monde leur appartient.

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