Muammer Olcay - voxeurop

Une journée pour réfléchir à l’importance de la presse libre et indépendante

Lancée par une poignée d’acteurs de la liberté de la presse, la Journée mondiale de l’information (World News Day), qui a lieu le 28 septembre, est l’occasion de se pencher sur l’importance du journalisme libre et indépendant pour la démocratie et la société en général.

Publié le 25 septembre 2024

Les temps sont durs pour les journalistes : marginalisés par l’explosion des réseaux sociaux, assimilés aux élites honnies par les populistes, parfois liquidés en tant que témoins gênants – au moins 42 (les sources varient) ont été tués en 2024 – et imités par des bots, ils peinent de plus en plus de à voir reconnu le rôle pourtant essentiel dans nos sociétés qui est le leur.

C’est entre autres pour remettre ce rôle au centre du débat public et réfléchir à son importance que la Fondation pour le Journalisme canadien (CJF) et un groupe de journalistes, menés par Maria Ressa, journaliste philippino-américaine, co-prix Nobel de la paix et directrice du média d’investigation Rappler et l’ancien rédacteur en chef du journal d’investigation sud-africain Daily Maverick, Branko Brkic, ont lancé la Journée Mondiale de l’information (World News Day), le 28 septembre. 

Ils partagent leurs réflexions, dont nous proposons ici les extraits les plus marquants.

Il s’agit d’“une initiative mondiale visant à attirer l'attention sur le rôle que jouent les journalistes dans la diffusion d'informations fiables au service des citoyens et de la démocratie”, explique la présidente de la CJF, Kathy English, dans un article écrit pour l’occasion. “Les faits sont complexes et la vérité n'est pas toujours évidente. Le journalisme n'est pas infaillible. Dans un monde polarisé, trop de gens ne parviennent même pas à se mettre d'accord sur ce qu'est un fait et affirment que la vérité est morte”, note-t-elle. “Il est donc d'autant plus important que les journalistes responsables et les citoyens comprennent ce qu'est une information digne de confiance et fondée sur des preuves. Il ne s'agit pas simplement de diffuser et de consommer des informations, mais de donner aux gens les moyens de connaître les faits dont ils ont besoin pour s'orienter dans leur monde”.

Ce message ne pourrait être plus crucial ni plus opportun. Dans un monde où nous voyons de plus en plus la fiction devenir réalité et la désinformation se généraliser, le choix de la vérité n'a peut-être jamais été aussi important – ni aussi difficile”, écrit encore Kathy English. “Pour les citoyens, cela signifie qu'ils doivent faire la distinction entre les vraies informations, les rumeurs et les contre-vérités déguisées en faits, un défi encore plus difficile à relever à l'ère des contenus numériques générés par l'IA et des agents malveillants qui cherchent à semer la discorde dans l'opinion publique en diffusant des informations mensongères. Pour les journalistes, cela signifie qu'il faut redoubler d'efforts pour respecter notre principe fondamental, qui est de servir les citoyens en leur apportant la vérité, fondée sur des faits vérifiés. […] Comme l'indique le 2024 Digital News Report du Reuters Institute for the Study of Journalism de l'Université d'Oxford, ‘dans le monde entier, la plus grande partie des citoyens n'a pas confiance dans la plupart des informations, la plupart du temps’”.


Le meilleur du journalisme européen dans votre boîte mail chaque jeudi

Dans sa contribution, Marcelo Rech, président de l’Association des journaux brésiliens, estime pour sa part que  “la presse n'est pas la solution à tous les dilemmes de notre époque, mais essayez d'imaginer un monde sans elle”. Avant de poursuivre : “Qui ferait la différence entre les faits et les rumeurs ? Comment faire confiance à quelque chose ou à une institution s'il n'y a pas une garantie de crédibilité assurée par une couverture journalistique sérieuse et indépendante ? Qui dénoncerait l'émergence d'une nouvelle cyber-escroquerie dans laquelle les gens perdent leurs économies ? Qui enquêterait sur la corruption et d'autres crimes lorsque les services gouvernementaux sont lents ou négligents ? Qui s'attaquerait aux maux de la Big Tech et aux risques que les réseaux sociaux font peser sur la stabilité émotionnelle, politique et économique ? Enfin, qui dénoncerait le pouvoir des autocrates corrompus et la menace qu'ils font peser sur les démocraties ?” 

Et de conclure : “Ceux qui pratiquent le journalisme indépendant ne sont pas à l'abri des problèmes, à commencer par la durabilité de l'activité elle-même. À quelques exceptions près, la grande majorité des médias sérieux survivent grâce à un modèle commercial qui souffre de l'asymétrie réglementaire que représentent les plateformes numériques. Parce qu'ils sont basés sur la confiance, ces médias ne peuvent survivre en renonçant à l'éthique ou en rendant élastiques leurs concepts de véracité et de responsabilité dans la diffusion des contenus, contrairement aux Big Tech”. Voilà pourquoi Rech propose que ces derniers versent une “redevance de soutien” pour le journalisme professionnel, “afin de purger une grande partie de la pollution sociale qui menace la santé mentale et la stabilité de la planète”.

Tout le monde a les yeux rivés sur les élections, les grands événements et les changements majeurs”, note la journaliste égyptienne Fatemah Farag. Pour la fondatrice et directrice de Welad ElBalad Media, la démocratie se construit surtout au niveau local, “grâce au travail des journalistes engagés qui se rendent chaque jour à leur poste pour donner des informations à propos de et pour leurs communautés est au cœur de ce processus”. “Ce n'est pas un travail facile”, dit-elle : “Construire, gérer et soutenir un journalisme local de service public capable de jouer un rôle essentiel dans le soutien de leurs sociétés est le plus souvent une tâche ingrate. Partout dans le monde, l'argent s'est tari alors que l'activité journalistique [est] menacée par les grandes entreprises technologiques, des emplois ont été supprimés, la qualité a été compromise, les ressources sont fragmentées et la valeur du journalisme est constamment contestée. […] Il semble que les personnes que nous visons à servir soient de plus en plus désabusées par les campagnes d'information et de désinformation et que la méfiance et l'évitement du public soient des réalités quotidiennes. […] Nous avons vécu en direct les dangers que représente pour la démocratie la perte de médias indépendants, en particulier locaux. Nous savons désormais que la survie de médias diversifiés et compétents est une pierre angulaire essentielle dans cette quête d'humanité et de liberté. […] Les exemples de ceux qui ont saisi l’importance de ce moment sont nombreux : des médias appartenant à des journalistes pour certains, des imprimeries et des produits pour d'autres, l'engagement communautaire pour beaucoup – et ce n'est là qu'une partie de ce qui se fait”. 

World News Day banner FR

On n’est plus étonné que le ‘journalisme des faits’ soit stigmatisé comme le paravent d’une complicité avec l’ordre établi, ni que les entreprises qui l’ont pour métier soient parfois sommées de choisir leur camp, d’abandonner une neutralité qui, naturellement, ne peut qu’être factice”, dénonce enfin Fabrice Fries, PDG de l’agence France-Presse : “La polarisation sape la légitimité de ces entreprises, et le pire est que ce processus de délégitimation affiche d’ores et déjà des résultats indéniables”. 

La baisse de la confiance dans les médias, associée à la suppression des postes au sein des rédactions, “la transformation, via l’intelligence artificielle, des moteurs de recherche en moteurs de réponse ‘désintermédiant’ les médias”, ainsi que “la pollution de l’écosystème médiatique par les sites de ‘cheap news’ générés par l’IA”, les “campagnes de déstabilisation”, “les annonces de suppression de comptes par centaines de milliers par les plateformes” et “la désinformation devenue massive, quotidienne” n’étonnent pas davantage, affirme-t-il. “Là où l’on s’étonne, en revanche, c’est que cela ne suscite pas plus de réaction que cela”, conclut Fries : “Souvent, ce qui ressort des témoignages des journalistes qui ont traversé toutes ces épreuves, c’est combien ils se sentent seuls, démunis”.

WND map
👉 Suivez World News Day sur X, Instagram et Facebook
En partenariat avec Display Europe, cofinancé par l'Union européenne. Les points de vue et opinions exprimés n'engagent cependant que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement ceux de l'Union européenne ou de la Direction générale des réseaux de communication, du contenu et de la technologie. Ni l'Union européenne ni l'autorité subventionnaire ne peuvent en être tenues pour responsables.
Display Europe, European Cultural Foundation, European Union

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

Soutenez un journalisme qui ne s’arrête pas aux frontières

Faites un don pour renforcer notre indépendance

Articles connectes