Opinion Migration, murs et rapatriement

Les murs et les retours forcés, seules réponses de l'Europe à la migration

Murs, rapatriements, technologies de contrôle : l'Europe poursuit sa politique de fermeture, expulse de son territoire et militarise davantage ses frontières. Au cours du seul troisième trimestre 2022, l'UE a rapatrié 31 825 personnes, dans une zone qui compte déjà plus de 2000 km de murs. Dans un article publié dans le magazine italien Internazionale, Francesca Spinelli fait le point sur cette obsession européenne de longue date.

Publié le 15 mars 2023 à 10:19

Chaque forteresse et chaque droite frontière de pierre / fut dressée par un empereur zélé / pour tenir les barbares à distance". Ces vers du poète britannique Daljit Nagra auraient leur place en tête des nombreux articles qui commentent aujourd’hui le retour en grâce de l’Europe des murs. Un thème récurrent, bien servi par l’actualité depuis 2015 et sa crise migratoire.

À l’époque, plusieurs Etats de l'UE, au lieu de renforcer leurs systèmes d'accueil pour faire face à l'augmentation des demandeurs d'asile, avaient ainsi pensé résoudre le problème à grand renfort de clôtures. Les exemples à émuler ne manquaient déjà pas, comme l'Espagne et ses enclaves de Ceuta et Melilla au Maroc (depuis 1993) ou encore la Grèce et la Bulgarie, deux nations ayant consolidé leur frontière avec la Turquie en 2012 et 2014, respectivement.

Après huit ans et mille cinq cents kilomètres de nouvelles clôtures, voici que l'on reparle de murs et de l'opportunité qui se présente de les construire avec des fonds européens. Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán avait été le premier à en faire la demande, en 2017. Quatre ans plus tard, la Hongrie revenait à la charge dans une lettre adressée à la Commission et signée par onze autres gouvernements européens. Pour justifier leur demande, les douze avaient alors agité l’épouvantail d'une "attaque hybride et artificielle instrumentalisant un afflux massif de migrants irréguliers" en provenance d'Etats tiers.


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Le 9 février 2023, la demande réapparaît sur la table du Conseil européen, soutenue par un nombre croissant d'Etats membres, dont l'Italie. Les conclusions du Conseil ne font pas explicitement références à des murs, mais comme l'a écrit le Transnational Institute dans son rapport de 2019 intitulé The business of building walls, "les véritables barrières contre la migration contemporaine ne sont pas tant les clôtures que le large spectre de technologies associées, des systèmes radar aux drones, des caméras de surveillance aux systèmes d’identification biométrique" – des technologies déjà développées avec de l'argent européen.

La Commission européenne pourra tenter de retarder aussi longtemps que possible le moment où un Etat membre apposera le logo de l'UE sur un tout nouveau "mur anti-migrants", mais le changement restera cosmétique : la forteresse Europe repose sur les fonds européens depuis un certain temps déjà.

Le troisième modèle

Les véritables protagonistes des conclusions du Conseil européen sur la "migration" ne sont pas les murs, mais les rapatriements : avec quinze occurrences, ils sont confirmés comme la priorité absolue des Etats membres (à l’inverse, le document ne contient même pas de référence aux demandeurs d'asile et ne mentionne les droits fondamentaux qu'une seule fois).


Ceux qui connaissent la réalité des centres de rapatriement savent que derrière ces chiffres se cachent des vies brisées, des couples et des familles séparés, des personnes en détention terrifiées à l'idée de retrouver un cauchemar auquel elles avaient pourtant réussi à échapper.


La Commission avait donné le coup d'envoi le 24 janvier 2023 en présentant un document intitulé Towards an operational strategy for more effective returns. Deux jours plus tard, lors du premier Conseil des ministres de l'Intérieur de l'UE sous la présidence suédoise, le représentant italien Matteo Piantedosi avait proposé de "développer un troisième modèle de retour que nous pourrions appeler ‘retour forcé accompagné’, quelque part entre le ‘retour forcé’ et le ‘retour volontaire assisté’.” 

Alors que nous attendons des éclaircissements sur ce concept vague, la machine européenne de rapatriement continue de tourner. Dans le rapport "Access denied: Secrecy and the externalisation of EU migration control", l'ONG Statewatch et la Fondation Heinrich Böll dénoncent, parmi les plans les plus récents d'externalisation des politiques migratoires, un "ambitieux programme de rapatriements depuis les Balkans" promu par l'Union européenne dans le plus grand secret.

Quand on lit des articles sur les rapatriements, on est généralement submergé par les chiffres. Par exempl…

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