Un supporter du Parti pirate allemand.

Les Pirates vont-ils démocratiser l’Europe ?

Bien plus qu’une horde d’internautes protestaires, il apparaît soudain comme la troisième force politique d’Allemagne : pour Die Welt, le Parti pirate allemand pourrait bien être l’initiateur d’une nouvelle démocratie de l’ère post-industrielle, et ce, dans l’ensemble de l’Europe.

Publié le 12 avril 2012 à 14:58
Un supporter du Parti pirate allemand.

Il est encore trop tôt pour dire si les Pirates seront jamais autre chose qu’un détail dans l’histoire de la démocratie européenne. Néanmoins, s’ils ne succombent pas à leurs erreurs de jeunesse, ils ont de bonnes chances de transformer la démocratie du XXIe siècle sur la forme, de digérer la fin de l’ère de croissance sur le fond, de parvenir à la péréquation entre les générations sur le plan démographique, et de devenir en prime le premier parti véritablement européen.

L’idée de représenter le peuple au travers d’organisations dites "de masse" est aussi vieille et obsolète que l’ère industrielle. Face à la dislocation de leur organisation autrefois très "carrée", l’industrie musicale et le secteur du tourisme sont dans la tourmente, et le système politique va connaître le même sort.

Les logiciels en ligne [de participation citoyenne] comme le "Liquid Feedback" du Parti pirate sont capables de dissoudre très efficacement une organisation politique apparue à l’époque reculée de la "démocratie minimale" (Paul Nolte).

La meilleure chance contre le cataclysme économique

L’abolition de la séparation stricte entre les producteurs et les consommateurs s’étendra à la sphère politique. Beaucoup de ceux qui étaient jusqu’alors considérés comme des spécialistes politiques ne voient dans ce phénomène qu’un nivellement par le bas et une amateurisation de la politique. C’est pourtant là, peut-être, notre meilleure chance de surmonter le cataclysme économique qui nous attend, par le biais d’une démocratie véritablement effective.

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Car, s’il est vrai que les régimes politiques occidentaux en place savent assez bien structurer la société en temps de croissance économique, ils rencontrent vite des turbulences dès qu’il s’agit de remédier à un tassement durable du PIB. Les troubles qui ont agité la Grèce ou les grèves qui ont eu lieu en Espagne offrent un aperçu de ce qui se produit lorsque, après des années d’austérité et de coupes budgétaires, on ne voit toujours aucune lumière au bout du tunnel.

Dans cette "ère du moins" ("Age of Less" deDavid Bosshart) qui commence, nous ne reviendrons pas au vieux modèle économique de croissance, et il nous faudra donc mettre en place un nouveau modèle politique. S'il reste démocratique, un tel modèle doit être assorti d’une plus grande transparence et d’une plus forte participation citoyenne que ce que les partis établis – non seulement en Allemagne, mais dans l’ensemble de l’Europe – ne veulent bien concéder.

La transparence et la participation citoyenne sont le meilleur moyen de sortir la monnaie commune et l’Union européenne de l’ornière dont elles sont prisonnières. Il s’agit pour la démocratie de trouver un moyen de surmonter l’échec prévisible des technocrates. La solution ne viendra pas des Pirates eux-mêmes. Mais ils nous montreront la voie à suivre.

La jeunesse – cette frange de la population qui est aujourd’hui de facto exclue – pourrait ainsi être intégrée à la société et associée à ses prises de décision à l’échelle européenne. Partout, ou presque, la crise économique s’est soldée par une recrudescence particulièrement marquée du chômage des jeunes – avec des pics à plus de 50% en Grèce et en Espagne.

L'émergence d'un nouveau parti européen

Issus de la génération du baby-boom, les parents se cramponnent à leur emploi et à leurs privilèges, ne laissant à leurs enfants que la rue. Ce sont eux, les jeunes, qui forment le cœur de cible du Parti pirate.

Cette "génération perdue" a déjà tenté une première rébellion en 2011. Celle-ci a commencé en mai avec les sit-ins des indignés en Espagne avant de s’étendre à l’ensemble du continent sous la forme du mouvement Occupy. Les disciples de ce mouvement étaient unis par un sentiment contestataire commun, duquel n’est toutefois sorti aucun objectif clair.

Sans la possibilité de trouver un écho dans le processus politique, ce sentiment est appelé à se renforcer et finira par exploser par le biais d’actions contre-productives. Pour intégrer ce mouvement dans le système politique, il faudrait inventer quelque chose comme le Parti pirate. S’il n’existait pas déjà.

Les Pirates ont deux ans – jusqu’aux élections européennes du printemps 2014 – pour percer à l’échelle européenne. Cela leur laisse le temps de se doter d’une structure internationale suffisamment prépondérante.

Ces élections sont à la fois assez importantes pour que leur entrée en scène soit fracassante et assez insignifiantes pour que de nombreux électeurs soient tentés de voter ailleurs, pour changer.

Jusqu’à présent, les élections européennes tenaient lieu de galop d’essai pour les nouveaux partis souhaitant percer au plan national. En 2014, pour la première fois, il se pourrait bien qu’elles voient l’émergence d’un nouveau parti européen.

Contrepoint

Le nouveau parti des petits bourgeois

Dansune chronique de laFrankfurter Rundschau le futurologue allemand Matthias Horx se montre sceptique sur la question des Pirates et l’avenir d’Internet comme plateforme d’une nouvelle démocratie participative. Le mot “participation” lui évoque notamment des souvenirs de sa vie étudiante dans les années 70 :

Parfois, cette idéé me met mal à l’aise : que l’Internet ne soit pas le glorieux et bienfaisant outil de communication aidant au partage du savoir et à la réunion digitale de l’humanité, mais qu'il soit simplement un média amplifiant toutes les prises de paroles immatures. L’avenir ne sera peut-être pas aux pirates mais aux trolls, ceux qui attaquent chaque discussion jusqu’à ce que rien n'aille plus. Chaque débat sera le leur, celui de la "Shitstorm-Brigade" ou de la "Nörgel-Armee" [L’armée des râleurs]. [...]

Je me souviens de ma collocation dans les années 1970 quand tout le monde pouvait participer à tout, mais personne ne voulait faire la vaisselle. Le changement n’avance pas sans émancipation. C’est l’un des points de vue les plus intelligents que je garde de ma turbulente jeunesse.

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