Maia Sandu at Batumi International Conference, on 19 July 2021

Maia Sandu : “Nous ferons tout pour empêcher la Russie de contrôler la Moldavie”

Dans cet entretien avec deux journalistes du réseau PULSE, la présidente moldave réaffirme la volonté de son pays d'adhérer à l'UE d'ici 2030, met en garde contre l'ingérence russe dans les élections et souligne la coopération avec l'Ukraine, en mettant l'accent sur la sécurité, l'énergie et la résilience face aux menaces hybrides à l'approche du scrutin crucial du 28 septembre.

Publié le 15 septembre 2025

Début juillet, Fabian Sommavilla, journaliste à Der Standard, et András Németh, journaliste à HVG, se sont entretenus avec la présidente moldave Maia Sandu à Chisinau au nom du réseau médiatique PULSE. Fervent défenseur de l'adhésion de son pays à l'Union européenne, Sandu, 53 ans, a été réélue le 3 novembre 2024 et a remporté de justesse un référendum sur l'adhésion de la Moldavie à l'UE organisé deux semaines plus tôt.

Le 28 septembre, ce pays, qui partage des frontières avec la Roumanie et l'Ukraine, tiendra des élections générales marquées par des soupçons d'ingérence massive de la Russie visant à déstabiliser le pays et à soutenir les partis pro-russes. Sandu et les partis pro-UE craignent que Moscou ne tente de s'emparer de la Moldavie pour l'utiliser contre l'Ukraine et s’en servir comme tremplin pour lancer des attaques hybrides dans l'UE.


Dans quelle mesure êtes-vous satisfaite des progrès réalisés jusqu'à présent dans cette voie et quels sont les principaux obstacles à l'adhésion pleine et entière à l'UE ?

Maia Sandu : Comme vous le savez, nous avons fixé un calendrier pour l'intégration à l'UE, à savoir 2030, et depuis le jour où nous avons soumis notre candidature à l'UE, nous avons travaillé très intensivement, avec la pleine coopération des institutions européennes et le soutien des Etats membres. Nous pensons pouvoir achever le processus d'examen détaillé d'ici septembre. Nous estimons que la Moldavie et l'Ukraine ont toutes deux rempli leurs engagements. Nous sommes prêts et nous espérons que la Commission européenne et les Etats membres prendront bientôt une décision afin que nous puissions entamer les négociations par domaines.

Cela signifie donc que vous pensez qu'il est toujours réaliste d'adhérer à l'UE en 2030 ?

Absolument. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir. Nous avons prouvé ces trois dernières années que nous possédions les capacités techniques et la volonté politique nécessaires, et nous espérons que cette forte volonté politique se maintiendra après les élections législatives.

Nous pensons sincèrement qu'il est dans l'intérêt de tous les citoyens du continent, de l'UE, que la Moldavie et l'Ukraine rejoignent l'UE, car la paix et la sécurité sont en jeu. Le fait d'avoir une Moldavie démocratique et une Ukraine démocratique et résiliente contribue en effet à consolider la paix et la sécurité sur le continent européen.

L'adhésion à l'UE va souvent de pair avec l'adhésion à l'OTAN, comme nous l'avons constaté. La Moldavie est neutre : considérez-vous toujours la neutralité comme une option judicieuse ?

La neutralité est inscrite dans notre Constitution et la plupart des Moldaves, voire la majorité, estiment que la Moldavie doit rester neutre. Nous respectons la volonté du peuple. Bien sûr, nous sommes préoccupés par les questions de sécurité et nous faisons beaucoup pour renforcer la résilience de notre pays.

À l'heure actuelle, la sécurité de la Moldavie est défendue par l'Ukraine. Nous lui en sommes très reconnaissants. Et nous ferons tout pour empêcher la Russie de contrôler la Moldavie et de l'utiliser à la fois contre l'Ukraine et contre les Etats membres de l'UE. Si la Russie parvenait à contrôler le pouvoir politique en Moldavie, elle pourrait transformer le pays en rampe de lancement pour ses opérations hybrides contre l'UE.

Pourriez-vous donner d'autres exemples de collaboration entre l'Ukraine et la Moldavie ?

Nous essayons d'aider l'Ukraine autant que possible. Outre l'accueil des réfugiés, nous coopérons désormais dans le domaine de l'énergie. Nous réduisons actuellement les tarifs de transit pour le gaz ukrainien et, parallèlement, nous achetons de l'énergie en Ukraine lorsque celle-ci est disponible. Nous travaillons sur les corridors de transit, le contrôle douanier conjoint, l'échange d'informations, les menaces à la frontière, mais aussi sur la cybersécurité et les enjeux économiques.


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Dans la perspective des élections générales du 28 septembre, vous avez mis en garde contre les tentatives de déstabilisation de la Russie. Que craignez-vous exactement ?

La Russie utilise un large éventail d'instruments pour s’immiscer dans nos processus politiques et électoraux. Nous l'avons vécu l'année dernière et nous le vivrons probablement encore davantage cette année, car l'enjeu de ces élections est considérable.

La Russie finance illégalement des partis politiques et des campagnes électorales dans notre pays. Elle instrumentalise notamment la région de Transnistrie ainsi que la question de l’autonomie gagaouze dans ses efforts de déstabilisation. Nous avons vu comment elle a puni les habitants de la région de Transnistrie cet hiver en coupant leur approvisionnement en gaz, et elle peut bien sûr essayer de nouveau. Elle recourt à la désinformation et aux cyberattaques, comme nous le constatons entre les élections. Dans le passé, on a assisté à des systèmes d'achat de votes, dans le cadre desquels la Russie a réussi à acheter certaines voix en approchant des personnes à faibles revenus. Nous possédons des preuves pour 140 000 électeurs, ce qui représente un nombre important par rapport au nombre total d'électeurs en Moldavie.


“Si la Russie parvenait à contrôler le pouvoir politique en Moldavie, elle pourrait transformer le pays en rampe de lancement pour ses opérations hybrides contre l’UE”


Lors des dernières élections, les représentants du Kremlin ont tenté d'interférer dans le processus électoral au sein de la diaspora, en lançant de fausses alertes à la bombe dans différents bureaux de vote à travers l'Europe, dans le seul but d'arrêter ou de retarder le processus électoral et de faire baisser le nombre d’électeurs potentiels. Ils ont par ailleurs payé des jeunes de la région autonome de Gagaouzie ou d'autres régions du pays pour incendier le bâtiment de la Commission électorale centrale ainsi que des voitures de police afin de créer une impression de chaos, de submerger les institutions gouvernementales et d'effrayer les gens afin qu'ils votent sous l'emprise de la peur.

Nous avons été surpris par les résultats du référendum et de l'élection présidentielle de 2024, car le soutien global à l'adhésion à l'UE est supérieur à 60 %, mais le “oui” au référendum sur l'adhésion à l'UE n'a obtenu que 50,4 % des voix.

Vous avez raison. Et les sondages qui ont précédé le référendum et qui ont suivi ont montré un soutien beaucoup plus élevé à l'intégration européenne. Deux facteurs ont influencé les résultats. Le premier est l'achat de votes, qui a concerné entre 8 % et 10 % des bulletins. Le second est la campagne de désinformation menée par la Russie au cours des quelques mois précédant le référendum. Le Kremlin a soutenu une campagne de désinformation massive sur l'UE et beaucoup de gens ont tout simplement pris peur. Cette campagne portait bien sûr sur les personnes LGBT+, ou sur le fait que l'UE allait supposément confisquer leurs terres, etc. D'une manière ou d'une autre, ces discours ont réussi à toucher de nombreuses personnes ; même l'Eglise a été largement utilisée pour les diffuser. Mais aujourd'hui, la plupart des gens comprennent qu'il s'agissait de fausses informations.

Les élections générales du 28 septembre seront une date très importante. Comment vous préparez-vous à repousser les tentatives d'ingérence très probables de la Russie ?

Nous avons travaillé dur ces dernières années pour renforcer la résilience de nos institutions, mais aussi celle de la société. Les institutions doivent lutter contre les cyberattaques, afin d'être en mesure d'identifier les canaux par lesquels l'argent illégal russe pénètre dans le pays et est ensuite utilisé, en violation de notre législation, pour financer des campagnes et des partis politiques et corrompre les électeurs. Nos médias doivent être forts, car nous avons besoin de davantage d'informations provenant des médias libres. Nous devons également mieux faire connaître les projets soutenus par l'UE et la vie des citoyens dans l'Union. De ce point de vue, la diaspora est utile, car la plupart des Moldaves vivent désormais dans les pays de l'UE et peuvent donc parler à leurs proches restés dans le pays et leur expliquer la situation réelle, et mettre en garde contre les propos sur l’UE divulgués par la  Russie.

En Roumanie, de nombreuses personnes soutiennent l'unification de leur pays et de la Moldavie. Que pensez-vous de ce projet à long terme ?

L'unification est une décision importante qui doit être prise par la majorité de la population. Si l'on regarde les sondages actuels, elle est soutenue par 30 à 40 % de la population. Tant qu'il n'y aura pas de majorité, ce sujet ne pourra pas être abordé. Et ce n'est pas un problème. Nous avons de très bonnes relations avec la Roumanie, qui est notre plus proche amie et notre plus fervent soutien pour l'intégration à l'UE. La Roumanie nous a aidés à maintes reprises dans toutes les situations de crise. Nous travaillons d'arrache-pied à la mise en œuvre de projets d'infrastructure et d'intégration économique dans la perspective de l'adhésion à l'UE.

🤝 Cet article a été produit dans le cadre du projet PULSE, une initiative européenne soutenant les coopérations journalistiques transfrontalières. Lorenzo Ferrari (OBCTranseuropa) et Gian-Paolo Accardo (Voxeurop) y ont contribué

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