Max Schrems lors d'une conférence de presse le 7 janvier 2012, à Vienne (Autriche).

Max Schrems ne “like” pas Facebook

Un étudiant en droit autrichien accuse le réseau social de non-respect de la législation sur la protection des données. Mais Mark Zuckerberg, qui ne veut pas rater l’entrée en bourse de sa société et l’Irlande, qui abrite son siège européen, ont décidé de contre-attaquer.

Publié le 27 avril 2012 à 11:43
Max Schrems lors d'une conférence de presse le 7 janvier 2012, à Vienne (Autriche).

Un beau jour, Max Schrems a voulu en avoir le cœur net. Il a demandé à Facebook de lui donner accès à l’intégralité des données sauvegardées à son sujet. La réponse qu’il a reçue du réseau social a dépassé toutes ses craintes : toutes les données qu’il avait effacées étaient encore là. Ses modifications de statut, ses demandes d’ajout de nouveaux amis et ses messages privés. Facebook avait conservé l’intégralité des renseignements personnels de l’Autrichien. Contre sa volonté et à l’encontre des règles du droit européen en matière de protection des données, qui interdit la conservation illimitée des données d’utilisateurs.

C’était il y a un an. Au fond, le jeune homme de 24 ans avait simplement voulu faire valoir ses droits. Tout Européen peut exiger d’avoir accès à ses données personnelles, et cet étudiant en droit le savait. En revanche, ce qu’il ignorait à l’époque, c’est qu’il allait ainsi déclencher la plus vaste procédure de l’histoire de Facebook en matière de protection des données. Il ne savait pas non plus qu’il allait non seulement entrer en guerre ouverte avec Facebook, mais aussi avec une autorité européenne. C’est en effet l’instance irlandaise de protection des données qui bloque aujourd’hui toute nouvelle procédure visant Facebook.

Plus de 1 000 pages de données personnelles

Au début, Max Schrems voulait seulement s’amuser. Mais il a fallu à Facebook six semaines et 23 mails pour communiquer à l’étudiant autrichien l’ensemble des données le concernant. Au total, 1 222 pages au format PDF. Sur Max Schrems, qui n’est pourtant qu’un utilisateur du réseau social parmi 854 millions d’autres. Dans un premier temps, l’étudiant s’est frotté les yeux. Puis il y a vu un défi juridique assez sportif [sportliche juristische Herausforderung] et s’est servi de ces éléments comme pièces à conviction.

A l’époque, Facebook a sans doute sous-estimé l’étudiant autrichien. Lequel dépose alors 22 plaintes dénonçant la conservation des données effacées, des conditions générales d’utilisation trompeuses et le caractère automatique de la reconnaissance faciale. Les critiques visant la politique de confidentialité du réseau social ne datent pas d’hier. Mais Max Schrems est le premier à avoir frappé "à la bonne porte" – à savoir celle de l’autorité irlandaise de protection des données. C’est en effet en Irlande que Facebook a son siège social européen, soumis au droit européen. Suite aux plaintes de Max Schrems, l’instance a rapidement commandité deux audits de la filiale irlandaise du groupe.

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Du jour au lendemain, l’étudiant autrichien a été érigé en héros de la protection des données en Europe. Les médias ont fait de lui un David qui canarde le vilain Goliath-Facebook à coups de fronde. Avec peu de moyens, il est parvenu à susciter beaucoup d’intérêt autour de son cas. Le tout en marge de ses études, sans avocats. Lorsqu’il n’étudie pas le droit constitutionnel à la bibliothèque, il donne des interviews, alimente son portail "Europe versus Facebook" ou correspond avec l’autorité irlandaise de protection des données. Le tout pour la somme de 9,90 € par mois – le prix de location du serveur qui héberge son site Web. Facebook, en revanche, perd des millions lorsqu’il se voit privé du droit de collecter les données sans discernement en Europe.

Le groupe s’en inquiète, à l’approche de son introduction en bourse. Max Schrems a reçu de la visite à Vienne : Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, lui a envoyé Richard Allan, son lobbyiste en chef pour l’Europe, accompagné d’une collaboratrice de la Global Policy Team du groupe. Par ailleurs, le réseau social a monté une équipe spécialement chargée de répondre aux demandes de communication de données. Car Max Schrems n’est plus le seul à les réclamer, loin de là. 44 000 personnes ont répondu à son appel lancé sur "Europe versus Facebook". Mais le groupe est devenu prudent et envoie de moins en moins de données. Suscitant la protestation des internautes agacés.

En Irlande, les autorités jouent la montre

Il semblerait que tout le monde soit du côté de l’étudiant. Tout le monde, à l’exception de la commission irlandaise de protection des données, qui a refusé de statuer officiellement sur la légalité des pratiques de conservation des données de Facebook. A la suite des audits du groupe, elle s’est contentée d’émettre des recommandations en des termes prudents. Mais même celles-là, Facebook n’a pas suivies.

Les Irlandais n’ont pas envie de voir partir de leur pays le réseau social, ni d’autres groupes comme Google ou IBM, suppute Max Schrems. Qui plus est à une heure où l’Irlande a tant besoin d’emplois et d’argent. Depuis fin 2010, le budget irlandais ne tient que grâce à l’aide financière des autres pays de la zone euro.

En l’absence de décision officielle de la commission, Max Schrems ne peut pas engager de nouvelles poursuites judiciaires. C’est pourquoi il souhaite aujourd’hui réclamer qu’une décision soit prise ; la loi irlandaise le lui autorise, affirme-t-il. Mais le commissaire irlandais à la protection des données ne l’entend pas de cette oreille : l’étudiant doit d’abord attendre la fin du mois pour savoir si Facebook refuse toujours d’appliquer ses recommandations, lui ont-ils notifié. Or, aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect de ce délai.

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