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Migration en Europe : Penser les crises de demain

Alors que la migration a été sur toutes les lèvres en 2024, tout laisse à penser que le sujet restera inévitable en 2025. Nous vivons un moment décisif ; quelle sera la politique migratoire de demain ?

Publié le 4 décembre 2024

Je n’aime pas parler de “crise” migratoire. À mon sens, l’expression rejoint l’hystérisation du débat autour des mouvements de population – tactique chérie de l’extrême droite – et empêche toute réflexion approfondie et apaisée sur un sujet ô combien essentiel. On ne discute pas lors d’une crise civilisationnelle, après tout.

Mais force est de constater que nous vivons un moment décisif. Non pas tant parce que la civilisation occidentale ferait face à un péril mortel venu du Sud, comme le prétendent certains, mais parce que la multiplication des conflits, la crise climatique et la flambée des inégalités appellent à de nouvelles politiques migratoires. Alors que l’année 2024 s’achève, je vous propose de nous tourner vers l’avenir. Que devons-nous attendre de 2025 en matière de migration ?

Plus de conflits, plus de mouvements

59 conflits étatiques dans 34 pays : 2023 a été une des années les plus violentes, selon une étude de l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo. Guerre en Ukraine, à Gaza, au Soudan : plus les conflits se multiplient et s’enlisent, plus les chances de nouveaux départs vers l’Europe augmentent. Et c’est sans compter sur le réchauffement climatique, qui va continuer à engendrer des mouvements de population internes comme externes.

Dans The Conversation, Barah Mikaïl évoque les mouvements migratoires en partance du Liban. Si l’article a été rédigé avant qu’un cessez-le-feu ait été signé entre Israël et le Hezbollah, ses conclusions restent pertinentes. Pour Mikaïl, l’accueil des exilés venus du Moyen-Orient semble bien plus difficile aujourd’hui par rapport à 2015, notamment à cause de la montée en puissance des discours et des partis anti-immigrations.

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La question de savoir si l'UE pourrait accueillir tous les réfugiés du Liban et d'autres conflits au Moyen-Orient est donc complexe”, résume-t-il. “Si, sur le papier, cela serait économiquement faisable – et sans aucun doute bénéfique à long terme –, une telle décision semble politiquement hors de portée. L'approche de l'UE face à cette crise sera déterminée par son unité (ou son absence d'unité) sur une politique commune.

Les personnes migrantes, elles, souffrent très concrètement des conflits et des manquements de l’accueil. Público dresse un constat accablant. “Fait inquiétant, depuis 2014, plus de la moitié des décès enregistrés dans le cadre de la migration se sont produits en Europe ou sur les routes menant au continent”, alerte-t-il. 30 000 migrants sont morts ou disparus au cours de la dernière décennie en Méditerranée. “Dans d'autres régions, comme le désert du Sahara, on estime que le nombre de victimes pourrait être encore plus élevé.”

Les conséquences sur la santé mentale sont également alarmantes”. Le quotidien espagnol précise : “De nombreux migrants souffrent d'anxiété, de dépression et de stress post-traumatique. En Europe, plus de 100 000 personnes déplacées sont détenues chaque année pour des raisons administratives. En Espagne, 70 % des migrants placés dans des centres de détention développent de graves problèmes de santé mentale, et deux sur dix tentent de s'automutiler.

Comment penser la migration de demain ? 

Comme en témoigne l’enthousiasme d’Ursula von der Leyen pour l’expulsion de migrants – ici rapporté par Eddy Wax pour Politico – et la multiplication des politiques restrictives au sein des Etats membres, il est probable que la politique migratoire de l’UE continue sur sa lancée. Dans un article qui reprend l’historique des accords migratoires passés entre le bloc et ses partenaires, le journal en ligne italien ll Post résume à merveille l’état d’esprit européen :

“D'un certain point de vue, on peut dire que ces accords ont fonctionné, si l'on adopte le point de vue de ceux qui les ont promus. Les arrivées par voie maritime en provenance de Turquie, de Libye et de Tunisie, par exemple, n'ont pas retrouvé leur niveau d'avant les accords, conclus respectivement en 2016, 2017 et 2023. Les conséquences, cependant, ont été énormes et en même temps sous-médiatisées, notamment parce qu'elles se produisent de manière banale dans des pays où le travail des journalistes et des associations de défense des droits humains est entravé par les gouvernements locaux.

Et si, pour changer, on demandait l’avis des principales personnes intéressées ? C’est ce que propose la New Europeans Initiative du think tank Migration Policy Group, qui a sondé 71 représentants d’organisations et de groupes gérés par des personnes issues de la migration sur la politique européenne à adopter en la matière. Résultat ? Les représentants mettent en évidence les politiques d’intégration, l’accès à l’emploi, la défense de la protection internationale et de la lutte contre la traite d’êtres humains – à mille lieues des clichés représentant les personnes migrantes comme davantage intéressées par les aides sociales que par l’intégration dans les sociétés d’accueil.

Dans un contexte où l’extrême droite engrange les succès électoraux en alimentant et en surfant sur une crise migratoire réelle ou supposée, comment les partis traditionnels peuvent-ils encore tirer leur épingle du jeu ? Si la réponse se résume souvent à copier l’extrême droite, ce n’est pas une fatalité. Dans une étude menée pour la Foundation for European Progressive Studies (FEPS) – un think tank associé à la famille des partis politiques progressistes au niveau européen – Stine Laurberg Myssen et Asbjørn Sonne Nørgaard évoquent quelques possibilités. Les deux chercheurs ont analysé les opinions des votants vis-à-vis de la migration et de la protection sociale en Allemagne, au Danemark et en Suède

L'intégration des immigrés est essentielle. Il ne s'agit pas seulement d'une question de communication politique et de représentation des immigrés, mais aussi d'un défi politique majeur”, résument-ils. “Les immigrés qui ont un emploi et parlent la langue locale ne posent pas de problème à la plupart des électeurs, ni même à une grande partie des électeurs des [partis populistes de droite].”

Pour les partis sociaux-démocrates, investir dans la protection sociale et l'égalité sociale est essentiel pour répondre aux préoccupations des classes moyennes et populaires. L’intégration des personnes migrantes par l’accès à l’emploi et à la langue également : “Il s'agit là d'un défi de taille, mais l'anxiété des électeurs à l'égard de l'immigration – notamment parmi les électeurs [des partis populistes de droite] – ne risque pas de s'estomper de sitôt si les [sociaux-démocrates] ne parviennent pas à relever ce défi.

Peut-être 2025 pourrait-elle être l'année où nous discuterons de l’orientation de notre politique migratoire. Nous nous sommes tellement concentrés sur la prétendue nécessité – “nous devons contrôler l'immigration à tout prix” – que nous avons perdu de vue les conséquences économiques, politiques et humanitaires réelles de nos décisions. Une crise autorise tout ; c’est peut-être de cela dont il nous faudra parler demain.

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