Les moteurs à combustion, vainqueurs du scrutin européen

Les élections européennes n’ont pas vraiment changé la répartition du pouvoir au sein du Parlement européen. Malgré tout,l’affaiblissement des partis écologistes pourrait cependant faire des moteurs à combustion les grands vainqueurs du scrutin.

Publié le 30 juin 2024

À la suite des élections européennes, le paysage politique européen reste majoritairement le même, malgré la percée attendue de l’extrême droite. Toutefois, un déclin notable des partis écologistes, dont le score a dépassé les 10 % uniquement en Scandinavie, en Autriche, en Slovénie et aux Pays-Bas, a retenu l’attention des médias européens.

La voie est donc ouverte à un recul de certains objectifs environnementaux de l’UE fixés par le Pacte vert pour l’Europe. Comme le remarquent Karl Mathiesen, Zia Weise et Louise Guillot dans Politico : “La droite nouvellement consolidée a commencé à dénigrer l’ensemble des lois écologistes phares de l’UE quelques minutes seulement après avoir proclamé sa victoire”. Le leader du triomphant Parti populaire européen (PPE, droite) a qualifié l’interdiction des moteurs thermiques prévue pour 2035 “d’erreur” devant être réparée rapidement.

Cette décision est applaudie par Josef Urschitz, rédacteur pour le journal conservateur libéral autrichien Die Presse, qui la décrit comme un “un saut en arrière bénéfique pour l’électromobilité”. L’industrie automobile européenne, pierre angulaire de l’économie du continent, semble s’aligner sur cette nouvelle position. Volkswagen, le deuxième constructeur automobile mondial, a reconsidéré son plan consistant à arrêter le développement de nouveaux moteurs à combustion pour rediriger environ un tiers des 180 millions d’euros d’investissements prévus vers la production de véhicules à combustion.

Dans le quotidien allemand Focus, Hans-Jürgen Moritz explique s’attendre à des modifications du Pacte vert pouvant être potentiellement bénéfiques à l’industrie et à la compétitivité. L’impact négatif des élections sur la vente de voitures électriques n’augure cependant rien de bon pour le secteur automobile allemand, notamment pour Volkswagen, qui a longtemps misé sur un futur électromobile.

Alors que le réchauffement de la planète rend illogique l’abandon de politiques écologistes, Anja Krüger, du quotidien allemand de gauche Tageszeitung, attribue ce changement à une “ignorance sociale”. L’aspect central de la politique climatique, la tarification du carbone, repose sur la prise en charge des coûts par les pollueurs. Toutefois, l’absence de compensation financière pour les citoyens confrontés à des prix en hausse affaiblit le soutien à de telles initiatives.

“En République tchèque, les moteurs à combustion ont triomphé lors des élections européennes”, note Petr Honzejk,éditorialiste au quotidien Hospodářské noviny. Le parti anti-environnement et anti-immigration Automobilistes dirigé par Filip Turek — un ancien pilote de course ayant un penchant pour les symboles et les saluts nazis — s’est hissé à la troisième place avec 10 % des votes, symbole d’un succès inattendu. 

Selon Honzejk, l’accent mis en continu par les partis “mainstream” sur la préservation des moteurs thermiques comme intérêt national a trouvé écho chez les votants, qui ont finalement privilégié un candidat offrant un parfum de vapeur de pétrole et de vent de nouveauté.

En Slovaquie, pays premier constructeur automobile mondial par habitant, Igor Daniš, rédacteur pour le quotidien libéral de gauche Pravda,se réjouit du tournant dans le débat sur l’interdiction en 2035 des voitures thermiques. Dominé à l’origine par les voix des extrêmes de droite et de gauche, le sujet a désormais été récupéré par le parti conservateur allemand CDU/CSU. Daniš applaudit les conservateurs prônant un recul du dogmatisme au profil du pragmatisme, tout en avertissant que sans un tel basculement, la transition vers l’électromobilité pourrait “ressembler au désastreux Grand Bond en avant de la Chine dans les années 1950, qui a mené à une famine généralisée.”

Le quotidien économique hongrois HVG, basé dans un pays bien positionné en matière d’électromobilité – c’est le quatrième plus grand producteur de batteries au monde – a un point de vue plus mesuré quant à de potentielles révisions du Pacte vert. Celui-ci étant une idée originale de la reconduite présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, sa modification ne sera pas évidente, soulève le média hongrois. Selon les arguments de HVG, le Green deal constitue cependant une véritable menace pour beaucoup de familles aux bas revenus, qui, bien que conscientes du besoin de combattre le changement climatique, sont exclues de la transition à cause des prix trop élevés des véhicules électriques.

La plupart des experts interrogés par Angelo Romano pour Valigia Blu partagent cette évaluation mesurée des potentiels changements apportés au Pacte vert. Abroger la législation européenne regroupée dans le texte et établie au cours des cinq dernières années paraît extrêmement difficile. La transition écologique étant bien en marche, y mettre un coup d’arrêt serait contre-productif pour l’industrie européenne, et comporterait un risque de céder du terrain à la Chine et aux Etats-Unis, déjà leaders dans le secteur de l’énergie propre.

Dans son éditorial pour le quotidien économique espagnol El Economista, Simone Tagliapietra, professeur en politique climatique et énergétique de l’UE à l’université Johns-Hopkins se montre optimiste quant au futur du Pacte. Malgré la montée de l’extrême droite, le centre pro-européen conserve sa majorité au Parlement européen, souligne-t-il. Une question critique réside, selon ses dires, dans la répartition équitable des coûts de la transition. Si ceux-ci retombent majoritairement sur les citoyens, cela aggravera l’inégalité et rendra la transition socialement et politiquement insoutenable. L’UE doit dès à présent rationaliser et simplifier les mécanismes de financement existants afin de fournir un soutien solide aux groupes les plus vulnérables et à la classe moyenne, car ils auront besoin d’aide pour adopter des alternatives vertes, comme des voitures électriques ou des solutions de chauffage domestique durable.


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Indispensable à la production de biocarburant, le secteur du colza est critiqué pour son bilan environnemental, notamment à cause de l’utilisation de produits chimiques et de la pratique de la monoculture. Malgré ces problèmes, des subventions de l’UE ont conduit les travailleurs agricoles à agrandir leurs parcelles dédiées à cette plante, au détriment parfois des autres espèces habituelles.

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