Un bref coup d’œil à la carte des élections fédérales d’Allemagne du 23 février suffit pour se rendre compte d’une réalité frappante : la répartition des votes entre les partis et la division du pays lors de la Guerre froide avant sa réunification en 1990 se superposent. L’ancienne Allemagne de l’Ouest se colore des traditionnels noir et bleu foncé de la formation conservatrice de Friedrich Merz (CDU/CSU), tandis que les états fédéraux qui constituaient la République démocratique d’Allemagne se couvrent de bleu clair, couleur du parti d’extrême droite d’Alice Weidel, Alternative pour l'Allemagne (AfD).
“Pourquoi l'Est et l'Ouest votent-ils différemment ?”, s'interroge Mona Trebing sur la ZDF. En s’appuyant sur les observations d'Oliver Lembcke, politologue à l'université de la Ruhr à Bochum, elle voit dans la loyauté des votants à l’égard des partis, moins marquée à l'Est, et l’existence d’une société civile moins robuste deux facteurs clés qui influent sur la vulnérabilité de l’ex-RDA face aux mouvements populistes. Trebing met également en avant l'impressionnant taux de participation dans les Länder orientaux : 77,7 % en Saxe-Anhalt et 81,5 % dans le Brandebourg. Ces scores ont joué un rôle déterminant dans le triomphe de l'AfD, le parti ayant réussi à capter nombre d’électeurs votant pour la première fois.
Là où l’immigration est la plus nécessaire, elle est aussi le plus rejetée
Markus Wehner, du Frankfurter Allgemeine Zeitung, constate que le succès de l'AfD repose sur les éléments suivants : sa capacité à mobiliser les abstentionnistes ; le soutien d’un noyau dur d'électeurs ; sa normalisation croissante dans les médias, qui a permis aux électeurs de plus aisément affirmer publiquement leur soutien au parti. Wehner souligne que la question de la politique à adopter en matière d'immigration a joué un rôle majeur lors du scrutin en ébranlant les partis traditionnels. Pour les électeurs mécontents de la position actuelle du gouvernement sur ce sujet, l'AfD s'est présentée comme un évident vote de protestation.
Dans le New York Times, Amanda Taub reconnaît dans l’histoire de l'Allemagne un schéma commun aux nations confrontées aux défis de la migration. Après la réunification de 1990, l'Allemagne de l'Est a subi un exode important de sa population jeune et éduquée (en particulier les femmes) vers l'Ouest à la recherche d’un meilleur avenir. Selon Taub, cette émigration a eu un effet insidieux : les régions concernées se sont retrouvées avec une population majoritairement âgée et une démographie plus sensible à l'idéologie d'extrême droite, entraînant une détérioration des services publics et une stagnation de l’économie.
Le mécontentement local, le plus souvent dirigé contre le gouvernement et les partis traditionnels, tenus pour responsables du déclin régional, a renforcé le soutien à la ligne anti-immigration de l'AfD. Enfin, Taub pointe du doigt un paradoxe frappant : ces régions ont désespérément besoin de l'immigration pour maintenir les services et s'occuper de leur population vieillissante. Le fait que les partis traditionnels n’ont pas fait campagne dans ces localités n'a fait que renforcer l'image des “régions abandonnées”. Selon l'auteur, ce schéma illustre la menace universelle à laquelle sont confrontés les pays développés caractérisés par d'importantes disparités économiques régionales.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes
Avec un taux de fécondité en chute libre à 1,35 enfant par femme en 2023 – la poussant dans ce que le Financial Times appelle la catégorie des territoires à fécondité “ultra-basse” – l'Allemagne fait face à un douloureux constat : elle a désespérément besoin d'immigrés. Pourtant, comme l'expliquent les économistes Marcel Fratzscher et Sabine Zinn dans le journal Die Zeit, les principaux responsables politiques du pays prennent la direction opposée. Alors que le dirigeant chrétien-démocrate Friedrich Merz promettait de renforcer les exigences en matière de naturalisation, Alice Weidel de l'AfD appelait à la “remigration”, c'est-à-dire au retour des personnes issues de l'immigration dans leur pays d'origine.
Pour certains spécialistes cependant, l’économie européenne nécessite un afflux annuel de 400 000 personnes pour rester stable, en comptant les 1,7 million d'emplois actuellement vacants et les cinq millions de travailleurs qui devraient partir à la retraite au cours de la prochaine décennie. Les chercheurs notent que les travailleurs étrangers représentaient déjà 80 % de la croissance de l'emploi au cours des cinq dernières années, mais que les barrières bureaucratiques entravent la poursuite de l'immigration. Dans leur article, Fratzscher et Zinn proposent d'intégrer 1,6 million de travailleurs étrangers d'ici à 2029, de rationaliser la reconnaissance des qualifications et de renforcer les programmes d'intégration, avertissant que sans ces réformes, l'Allemagne risque de perdre à la fois sa compétitivité et sa prospérité économique.
La renaissance économique de l'Espagne, dont nous avons déjà parlé en janvier, a été largement alimentée par l'immigration de masse, écrivent Antonio Maqueda et Yolanda Clemente dans El País. Si on en croit leur analyse, près d'un million d'Espagnols en âge de travailler ont disparu de la population active au cours des six dernières années, mais plus de deux millions d'étrangers sont venus combler ce vide. Les immigrés ont occupé 88 % des nouveaux emplois créés en 2024, apportant une contribution estimée à 60 milliards d'euros à l'économie.
La part des résidents nés à l'étranger est passée de 14,6 % à 20,9 % en huit ans, soulignent-ils. Ces nouveaux arrivants (principalement des Latino-Américains hispanophones) sont devenus la colonne vertébrale de secteurs clés. Pour Maqueda et Clemente, ce changement démographique est doublement bénéfique : il stimule la croissance économique tout en soutenant le système de retraite à mesure que la population native vieillit.
Cependant, l’essor économique alimenté par l’immigration n’est pas pour plaire à tout le monde. Les jeunes Espagnols, en particulier ceux qui adhèrent au parti d'extrême droite Vox, voient cet afflux d'un autre œil, explique Estefanía Molina dans le même journal. Mais leur opposition ne serait pas purement xénophobe. Ils craignent que la tentation des migrants d'accepter des salaires plus bas n'érode davantage leurs perspectives d'emploi déjà précaires. Nombreux sont ceux qui ne voient dans l'immigration qu’une solution de facilité pour le système de retraite, qui profite à la génération de leurs parents à leurs dépens.
Quand l’écart naissances-décès rappelle celui de la Grande Guerre
Les problèmes de faibles taux de natalité et de dépendance à l'immigration ne se confinent plus à l'Europe occidentale. En effet, les pays du centre et de l'est du continent, qui étaient autrefois principalement des sources d'émigration, deviennent maintenant des destinations. La République tchèque a vu ses naissances chuter à des niveaux jamais atteints depuis le début des recensements au milieu du XVIIIe siècle : environ 85 000 nouveau-nés en 2024, un quart de moins qu'en 2021, indique Jan Beránek dans Hospodářské noviny.
Cependant, ce pays de dix millions d'habitants devient rapidement un pôle d'attraction pour les migrants, avec plus d'un million d'étrangers qui s'y sentent chez eux, écrit Přemysl Spěvák dans Deník. Les Ukrainiens en constituent la part la plus importante, avec près de 580 000 personnes, suivis par les Slovaques et les Vietnamiens. Le pays accueille la plus forte proportion de réfugiés ukrainiens de l'UE par rapport à sa population (environ 35 pour 1 000 habitants). L'immigration a donc ajouté 15 000 personnes à sa population au cours des seuls neuf premiers mois de 2024, reflétant une tendance européenne plus large : l'UE accueille désormais 27 millions d'étrangers, soit 6 % de sa population.
Fico survit à la crise gouvernementale en Slovaquie
Hospodárske noviny | 19 février | SK
En dépit des manifestations massives qui secouent la Slovaquie et l'effritement de la majorité parlementaire, Robert Fico, le chef du parti SMER-SD, arrive à s'accrocher au pouvoir. “Fico a résolu la crise [en imposant] son pouvoir”, observe la politologue Darina Malová dans Hospodárske noviny. Le remaniement ministériel du Premier ministre, qui se rapproche de plus en plus du Kremlin, a permis au SMER-SD de prendre le contrôle de deux ministères supplémentaires, faisant passer son portefeuille de sept à neuf, aux dépens de ses partenaires de coalition – le parti plus modéré HLAS-SD (lui-même une émanation du SMER) et le parti d'extrême droite SNS d'Andrej Danko. Cette manœuvre semble destinée à contenir les députés rebelles des deux partis qui avaient menacé la stabilité de la coalition.
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