Normalisation de l’extrême droite, en France comme ailleurs en Europe, jusqu’où ?

Les dernières semaines politiques ont été (très) intenses en France avec une série inédite d’élections et de rebondissements. Les résultats reflètent une polarisation du débat politique partout en Europe, à laquelle la situation en Géorgie fait également écho.

Publié le 15 juillet 2024

En France, “l’Assemblée nationale est plus fragmentée que jamais”, nous écrivait Cas Mudde au soir du deuxième tour. “Il faudra réunir entre sept et dix partis pour atteindre une majorité si on veut exclure le Rassemblement national [RN, extrême droite]”. Pour l’expert néerlandais de l’extrême droite, “ceux qui affirment que le pari de Macron a réussi se trompent. Du point de vue de Macron, la France est encore moins gouvernable, car son soutien au sein de l’Assemblée nationale s'est considérablement réduit, tandis que le RN est loin d'être vaincu.”

À défaut d’être nommé le nouveau Premier ministre, le président du RN Jordan Bardella est devenu le président des nouveaux Patriotes pour l'Europe (PfE) de Viktor Orbán (Fidesz), l'un des trois groupes rivaux d'extrême droite au Parlement européen. Dans une analyse publiée dans le quotidien britannique le Guardian, Cas Mudde avance que ce nouveau groupe n’est qu’une “nouvelle victoire en demi-teinte pour l’extrême droite [...]. Jusqu'à présent, M. Orbán n'a pas réussi à convaincre ses alliés régionaux, tels que le Premier ministre slovaque, Robert Fico, ou l'ex-Premier ministre slovène, Janez Janša.”

Cas Mudde rappelle les nombreuses raisons pour lesquelles l'extrême droite peine à collaborer au niveau international : “Les conflits entre personnalités, la volatilité des partis, l'extrémisme idéologique et les considérations stratégiques. Cependant, ces facteurs sont dynamiques et ont évolué au fur et à mesure que l'extrême droite [passait] lentement mais sûrement de la marge au courant principal de la politique européenne. [...] En fin de compte, la création des Patriotes pour l'Europe (et, dans une moindre mesure, l'Europe des nations souveraines, encore plus récente) [créé au Parlement européen le 10 juillet 2024] contribuera à l'intégration de l'extrême droite dans l'UE.”

Quelle est la part de responsabilité du mode de scrutin dans l’ascension de l’extrême droite ? Les journalistes français Fabien Escalona et Donatien Huet répondent dans Mediapart pour la situation française. “Le risque serait de se rassurer en se disant que le mode de scrutin à deux tours a fait son œuvre : le RN finit à 143 député·es, contre les 190 que lui aurait promis un scrutin proportionnel le 30 juin. [...] Quelle que soit la formule gouvernementale qui sera trouvée cet été, il faut espérer que la question institutionnelle, au cœur du malaise français, soit à son agenda”, analysent-ils. Et de mettre en garde : “Si un effet protecteur a existé cette fois-ci, son érosion dans le futur pourrait cependant se transformer en ‘jackpot électoral’ pour un RN ayant achevé sa normalisation. De plus, le fait que le mode de scrutin à deux tours ne permette plus de fabriquer une majorité absolue rend son intérêt moins évident pour les forces politiques qui voudraient le conserver afin d’en profiter.


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Si la polarisation du paysage politique croît en Europe et dans les pays occidentaux, la situation dans l’ancienne république soviétique de Géorgie éclaire de façon éclatante le phénomène”, analyse la politologue italienne Nathalie Tocci dans le Guardian.

Face aux manifestations, Rêve géorgien, le parti au pouvoir, a fait tomber le masque”. Tocci s’interroge sur les chances de survie de la démocratie en Géorgie. “Dans un discours hyperbolique prononcé en avril, le magnat milliardaire Bidzina Ivanichvili qui dirige en coulisses le parti, avait lancé une attaque en règle contre l'Occident libéral, émaillée de théories du complot sur un prétendu ‘parti de la guerre mondiale’ dirigé par des francs-maçons, des traîtres, des agents étrangers et bien d'autres encore. Rêve géorgien ne prétend pas vouloir abandonner la voie de l'UE et de l'OTAN. Au contraire, il se targue d'avoir permis à la Géorgie d'être reconnue comme candidate à l'adhésion à l'UE”, poursuit-elle. “Pour sa part, l'UE a mis trop de temps à prendre ses distances avec le gouvernement de Tbilissi, qui a effrontément dépoussiéré la loi russe – reportée après les premières manifestations de l'année dernière – quelques semaines seulement après que la Géorgie a obtenu le statut de candidat en décembre.”

L’UE vient de suspendre officiellement le processus d'adhésion de la Géorgie et de geler une aide financière de trois millions d'euros destinée au ministère de la Défense. Au même moment, elle a décidé – à juste titre, estime Nathalie Tocci – de faire avancer les négociations d'adhésion de l'Ukraine et de la Moldavie.Mais il faut faire plus”, insiste-t-elle, alors que “l’opposition a une histoire forte à raconter : celle de l’Europe et de la liberté contre la Russie et la répression”. Selon elle, une victoire électorale en octobre prochain représenterait le “seul moyen pour la Géorgie d'éviter de sombrer plus profondément dans un marécage autoritaire post-soviétique. Les manifestations massives contre la loi russe, tant en 2023 que cette année, nous montrent que l’opposition dispose d'un argumentaire convaincant, capable de mobiliser les gens et de remettre la Géorgie sur la voie de la démocratie et de l'UE.” “La petite Géorgie est un microcosme de la lutte pour la démocratie libérale en Occident”, conclut-elle.  


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