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Pourquoi l’intégration patine

Emploi, logement, école, parité : c’est essentiellement à travers ces éléments que se réalise l’intégration des immigrés en Europe. Pourtant, note l’OCDE dans un récent rapport, les défaillances sont nombreuses et compromettent parfois ce processus pourtant nécessaire. Et la France figure parmi les moins bons élèves.

Publié le 25 janvier 2019 à 09:12

"La focalisation actuelle sur le nombre de nouvelles arrivées ne doit pas effacer la présence historique de migrants installés depuis des années, et de leurs enfants", affirme l’OCDE dans un récent rapport qui dresse le bilan comparatif des politiques d’intégration menées depuis 2007 au sein de l’Union européenne. Si ces dernières semblent s’être globalement améliorées ces derniers temps, "il reste beaucoup à faire pour aider l’ensemble des immigrés à participer économiquement et socialement à leurs sociétés d’accueil", souligne le Secrétaire général de l’institution Angel Gurria, et donc pour que les immigrés accueillis puissent convenablement "trouver leurs marques", ainsi qu’est intitulé le rapport.

Et sur ce point, le président français Emmanuel Macron a raison : la politique française d’intégration est défaillante. "Les résultats français en termes d’intégration ne sont pas à la hauteur des enjeux et de ceux des autres grands pays d’immigration de l’OCDE. Les réformes récentes mettront du temps avant de porter leurs fruits et laissent certaines questions en suspens, notamment l’insertion professionnelle des primo-arrivants et l’intégration socio-économique des descendants d’immigrés", souligne Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales à l’OCDE.

Précarité dans l’emploi

Au sein de l’Union européenne (UE), près de 68 % des travailleurs natifs sont en emploi, contre seulement 64 % pour les immigrés. En France spécifiquement, le taux d’emploi des immigrés n’atteint que 57 % contre 66 % pour les natifs soit un écart de presque 10 points, nettement supérieur à celui observé entre les deux populations à l’échelle de l’Union. Les immigrés européens ont également moins bénéficié de la reprise que les natifs, en particulier dans les pays du Sud (Grèce, Espagne, Italie), où les migrations sont moins qualifiées.

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Et même pour les immigrés en emploi, la situation est loin d’être rose. "Ils ne parviennent souvent pas à traduire des niveaux d’études globalement plus élevés que ceux de la population née dans le pays en de meilleurs résultats sur le marché du travail", résume le rapport de l’OCDE. Ainsi en Europe, plus d’un tiers des immigrés diplômés de l’enseignement secondaire occupent des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. C’est 13 points de pourcentage de plus que pour les natifs, et cette part progresse depuis la crise. "La France est certes dans la moyenne, mais au regard de la part importante d’immigrés francophone – qui n’ont donc pas de barrière de la langue à surmonter – qu’elle accueille, sa performance mérite d’être nettement relativisée", souligne Jean-Christophe Dumont.

Outre une mauvaise valorisation des diplômes et des formations obtenus à l’étranger (en particulier pour les professions réglementées et techniques), ce taux de déclassement élevé révèle aussi la prédominance des réseaux dans l’obtention de postes qualifiés (objectivée, dans le cas de la France, par une étude publiée l’année dernière par Pôle emploi), qui met en difficulté les immigrés. En découle naturellement une situation financière fragilisée – au sein de l’UE, le revenu médian des immigrés est inférieur de 10 % à celui des natifs et les immigrés sont surreprésentés dans le décile de revenu le plus bas (18 %) – qui complique la capacité de cette partie de la population à vivre et se loger décemment.

Ségrégation spatiale

Dans une étude consacrée à l’évolution de la ségrégation spatiale au travers des générations d’immigrés, et publiée à l’été 2018, la chercheuse américaine Haley McAvay montre qu’entre l’enfance et l’âge adulte, 30 % des immigrés restent dans des environnements similaires en termes de taux de chômage (et 40 % en termes de composition ethnique). "La persistance de ce désavantage est encore plus marquée pour les immigrés provenant d’un pays hors de l’UE", souligne la chercheuse. Les immigrés africains ou asiatiques/turcs sont ainsi 63 % et 69 % à rester habiter dans un quartier à forte composante immigrée lors de leur passage à l’âge adulte.

Les environnements de résidence des immigrants de première puis seconde génération sont ainsi plus stables que ceux des Français natifs et, par conséquence, leur mobilité sociale réduite. Ce qui s’explique en partie par une volonté pour les nouveaux arrivants de se regrouper auprès de leurs diasporas pour bénéficier d’un réseau d’entraide. Mais pas seulement. C’est aussi symptomatique de nombreuses pratiques discriminatoires notamment dans l’attribution de logements sociaux, qui entravent leurs perspectives de mobilité sociale. « La préférence à rester dans les mêmes quartiers est élevée en France du fait de l’importance de la discrimination ressentie et des pratiques racistes », souligne ainsi Haley McAvay.

De fait, dans l’Union européenne, 16 % des immigrés de première génération ont l’impression de faire partie d’un groupe discriminé en raison de leur race, leur culture ou leur couleur, contre presque un quart en France. Ces pourcentages atteignent respectivement 20 et 29 % pour les immigrés de seconde génération présents dans l’Hexagone.

Dans le cas français, la progression des discriminations ressenties entre la première et la seconde génération tient en grande partie au caractère inégalitaire de notre système éducatif qui, loin de résorber les inégalités sociales et migratoires des élèves, tend au contraire à les accentuer. Documenté par le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco), cette faiblesse du système éducatif français est aussi fréquemment pointé du doigt par le rapport Pisa de l’OCDE.

Des populations vulnérables

Autre point d’attention des travaux de l’OCDE : le sort des femmes issues de l’immigration, qui creusent l’écart avec leurs homologues natives (en termes d’emploi notamment) alors que les hommes ont plutôt tendance à s’en rapprocher. "Dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, le taux d’emploi des hommes natifs et immigrés est équivalent (72,6 %) tandis que celui des femmes immigrées est bien inférieur au taux d’emploi des natives (57 % contre 63 %)", détaille Jean-Christophe Dumont. L’écart est encore plus important en France puisque seulement 49 % des femmes immigrées sont en emploi contre 63 % pour les femmes nées en France.

Si les pays nordiques (Finlande, Danemark, Suède…) font a priori partie des bons élèves en termes d’intégration des femmes immigrées au marché du travail – leurs taux d’emploi s’y élèvent respectivement à 52, 58 et 62 % – "il est important de rappeler que la condition des femmes natives de ces pays est également plus favorable que la moyenne avec des taux d’emploi qui dépassent les 70 %. Cela nuance donc leur performance en terme de réduction des inégalités entre les populations immigrées et natives", indique Jean-Christophe Dumont.

En France ou ailleurs, la nécessité de réduire le gender gap au sein de la population immigrée est donc une des principales recommandations de l’institution. L’OCDE a d’ailleurs insisté sur ce point dans un second rapport, publié à la mi-janvier, qui se focalise sur les groupes d’immigrés vulnérables que sont les femmes ou encore les mineurs isolés (un sujet que nous évoquions déjà en janvier 2017).

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