Affirmation à vérifier : Avec la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie le 8 décembre 2024, certains hommes politiques liés à l'extrême droite ont proposé d'expulser et de rapatrier les réfugiés syriens, tandis que plusieurs pays européens – France, Allemagne, Norvège, Danemark, Pays-Bas, Belgique, Suède, Grèce et Italie – ont annoncé la suspension de l'examen des demandes d'asile des citoyens syriens. Est-ce légalement faisable ?
Contexte : La fin du régime dictatorial d'Al-Assad et la prise du pouvoir par le Commandement général, l'exécutif dirigé par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham (HTC), ont mis fin à la guerre civile qui a débuté avec le soulèvement de mars 2011. Le changement de régime aurait marqué, pour certains défenseurs de l’expulsion des réfugiés, un retour à la normale dans le pays. Les conditions dans lesquelles les citoyens syriens peuvent demander l'asile en Europe ne seraient donc plus réunies, et les pays européens pourraient donc légitimement refuser de traiter les demandes d'asile et ainsi renvoyer les réfugiés syriens dans leur pays.
Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), il y avait environ 1,2 million de réfugiés et près de 124 000 demandeurs d'asile d’origine syrienne dans l'Union européenne au premier semestre 2024. En Italie, on compte aujourd’hui 3 500 réfugiés syriens et un peu plus de 250 demandeurs d'asile.
Dans le langage courant, les termes “réfugiés”, “demandeurs d'asile” et “apatrides” sont utilisés de manière interchangeable, mais ces trois définitions recouvrent des réalités très différentes. Pour résumer :
Définitions |
Les demandeurs d'asile sont des personnes qui ont quitté leur pays par crainte de persécution ou de violation de leurs droits et qui recherchent une protection juridique dans un autre pays. Le statut de réfugié, quant à lui, est l'un des types de protection juridique qui peut être accordé à un demandeur d'asile, à condition qu'il remplisse certaines conditions. La protection subsidiaire, quant à elle, est un autre statut, moins protecteur, destiné aux demandeurs qui ne remplissent pas les conditions requises pour obtenir le statut de réfugié. Le statut d'apatride, quant à lui, concerne une personne privée de nationalité, avec toutes les conséquences que cela implique. |
Qu’on ne s’y trompe pas ; tout réfugié syrien, au sens juridique du terme, est bel et bien reconnu par l'Etat, qui lui fournit une protection et un permis de séjour. Dans le cas des suspensions d’examen de demandes d’asile, ce ne sont toutefois pas les réfugiés syriens qui sont visés, mais les demandeurs d'asile, c'est-à-dire les personnes qui ont demandé une protection internationale et attendent une réponse.
La décision de suspendre ces demandes, comme dans le cas de la volonté du gouvernement italien, concerne ce dernier groupe de personnes.
Italie
Filippo Ungaro, porte-parole du HCR en Italie, précise dans un entretien avec Internazionale que “certains Etats ont suspendu la prise de décision concernant les demandes de protection internationale présentées par des ressortissants syriens jusqu'à ce que la situation dans le pays se soit stabilisée et que des informations fiables sur la situation en matière de sécurité et de droits humains soient disponibles pour évaluer les besoins de protection internationale des demandeurs individuels”.
Mais pour le HCR, au vu de la situation incertaine en Syrie, “il reste crucial que les personnes soient toujours en mesure de demander l'asile et qu'elles puissent le faire. De même, les demandeurs d'asile syriens qui attendent une reprise de la décision sur leur demande doivent pouvoir continuer à bénéficier des mêmes droits que tous les autres demandeurs, y compris en termes de conditions d'accueil.”
Selon le HCR, la Syrie ne peut, pour l’heure, pas être considérée comme un pays sûr et aucune pression ne peut être exercée sur les réfugiés en Europe pour qu'ils retournent dans un pays qui se trouve dans une situation humanitaire grave. Ungaro acquiesce : “Compte tenu de l'évolution rapide de la situation en Syrie et du niveau élevé d'incertitude quant aux développements à court et moyen terme, le HCR n'est actuellement pas en mesure de fournir des conseils détaillés sur les facteurs de risque pour les demandeurs d'asile syriens susceptibles d'entraîner des besoins de protection internationale. Aujourd'hui, plus de 90 % des Syriens à l'intérieur du pays ont besoin d'une assistance humanitaire.”
France
En France, les demandes d'asile sont examinées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Si celui-ci ne peut pas refuser d'examiner une demande, il peut toujours décider de suspendre temporairement les évaluations ; c'est ce qu'il a fait le 9 décembre, au lendemain de la chute du régime de Bachar al-Assad. Pour l'heure, l'Ofpra n'est pas revenu sur sa décision. En 2023, 4 465 demandes ont été déposées ; environ 2 500 en 2024. Selon l'Office, 700 sont encore en cours de traitement.
“En France, c'est la loi qui fixe les conditions de [cessation] de la protection internationale”, explique Claudia Charles du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré·es). Ce droit est fondé sur la Convention de Genève, qui détermine le statut de réfugié et ses conditions. Elle stipule, entre autres conditions, que la cessation de ce statut est possible si “les circonstances à la suite desquelles [la personne] a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d'exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité”.
En clair, si la situation qui a provoqué le départ – crainte de persécutions en raison de son origine, de sa religion, de ses opinions, etc. – n'est plus d'actualité. Y a-t-il eu un changement fondamental dans le régime politique du pays en question ? Un système judiciaire garantissant effectivement les droits fondamentaux sur l'ensemble du territoire a-t-il été mis en place ? Si oui, une cessation du statut de réfugié est possible.
Quant à la protection subsidiaire, un statut moins protecteur que le statut de réfugié, elle peut être révoquée pour des motifs similaires. Une cessation est également possible en cas de fraude ou de crime grave, par exemple. Mais l'examen doit se faire au cas par cas, précise Claudia Charles.
Quant au retrait ou au non-renouvellement d'un titre de séjour, qui peut éventuellement conduire à l'expulsion, il est possible sous certaines conditions, notamment si la personne concernée a fait l'objet d'une condamnation pénale ou si elle représente une menace pour l'ordre public. L'expulsion proprement dite est également régie par le droit français.
Les dossiers sont nécessairement analysés au cas par cas, et ce à chaque étape. Mais compte tenu de la situation politique instable en Syrie, un retour des réfugiés syriens semble pour l'instant impossible.
Dans une déclaration publiée le 17 décembre, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés précise : “Le HCR a publié une position actualisée sur les retours en Syrie, qui met l'accent sur le principe de non-refoulement (ou de non-rapatriement forcé) et sur le droit des Syriens à accéder à l'asile. Si les risques de protection liés à la persécution par l'ancien gouvernement ont diminué, d'autres risques peuvent persister ou émerger pour les groupes particulièrement vulnérables”.
Pour Gianfranco Schiavone, président du Consortium italien de solidarité (ICS) à Trieste et expert en droit migratoire de l'Association pour les études juridiques sur l'immigration (Asgi), il faut préciser que les retours qui ont lieu ces jours-ci en Syrie (après le 9 décembre) depuis le Liban et la Turquie sont volontaires et n'ont pas d'impact direct sur la situation des Syriens dans l'Union européenne. “En Europe, nous avons des règlements spécifiques pour la protection internationale qui sont garantis”, explique-t-il. “Nous devons également évaluer les conditions matérielles des Syriens au Liban ou en Turquie par rapport à celles des Syriens en Europe”. Alors que les Syriens au Liban vivent dans la précarité et ne bénéficient parfois d’aucune protection juridique, “cette situation n'est pas comparable à celle de personnes qui vivent dans l'Union européenne depuis des années et qui s'interrogeront sur les choix à faire à l'avenir”.
Si les conditions de sécurité en Syrie venaient à changer, il est possible que certains pays européens révoquent le statut de réfugié de ceux qui l'ont déjà obtenu. Mais selon Schiavone, il s'agit d'un processus très long, qui impliquerait plusieurs étapes à exclure pour l’instant : “Le droit européen [...] prévoit la possibilité de révoquer la protection internationale en cas de besoins de protection qui ont cessé”. Pour l’heure, “il n'est pas possible d'adopter une mesure similaire pour les Syriens, étant donné les conditions d'incertitude absolue qui prévalent dans le pays. En tout état de cause, il s'agirait de mesures individuelles”.
Entre-temps, de violents combats entre HTC et les forces alaouites fidèles au régime de Bachar al-Assad ont éclaté début mars sur la côte, faisant plus de 1000 de morts – dont de nombreux civils – selon l'Observatoire syrien des droits humains (une ONG basée à Londres), et incitant le gouvernement intérimaire à imposer un couvre-feu dans les villes de Lattaquié, Tartous et Homs. Dans ce contexte, il est d'autant plus difficile que la Syrie obtienne prochainement le statut de pays sûr.
Cet article a été rédigé avec le soutien de l’EMIF (European Media and Information Fund). Le contenu soutenu par le Fonds européen pour les médias et l’information relève de la seule responsabilité de son ou ses auteurs et ne reflète pas nécessairement les positions de l’EMIF et des partenaires du Fonds, de la Fondation Calouste Gulbenkian et de l’Institut universitaire européen.
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