Les escaliers principaux du Parlement européen, à Strasbourg.

Remodeler l’ADN de l’Europe

Que cela signifie solidarité économique ou unité politique, "plus d'Europe" est le maître-mot pour sortir de la crise. Mais comment atteindre ce but sans élargir le fossé entre les besoins de l'UE et ce que les sociétés européennes sont prêtes à accepter ?

Publié le 6 juillet 2012 à 11:08
Les escaliers principaux du Parlement européen, à Strasbourg.

Le dernier sommet de l'Union européenne a été un champ de bataille pour définir qui et sur quelle base doit porter la responsabilité du sauvetage de la monnaie commune, évalué aujourd'hui en milliards d'euros. Les discussions sur le pacte de croissance, le soutien aux banques, et sur le relâchement du corset d'austérité se résumaient au fond à la question de savoir jusqu'où la riche Allemagne devra mettre les mains à la poche.

Mais l'argent n'est pas tout. L'enjeu essentiel va au-delà des simples calculs financiers. La question essentielle, sorte d’ADN européen, est la suivante : comment sauver l'UE d'une dépression économique et d'une désintégration politique, sans porter préjudice à ses fondements démocratiques ? Après deux années de crise, on sait désormais que les Grecs, ou les Espagnols, pourtant systématiquement montrés du doigt, ne sont pas les seuls responsables du mal qui ronge l'Union, et qui relève avant tout d'une conception erronée de l'union économique et monétaire.

Premièrement, l'UE possède une monnaie commune, sans avoir mis en place une politique budgétaire commune. C'est aux Etats de décider de leur budget, des impôts et des dettes encourues. Ni les réformes en faveur d'une coordination renforcée (notamment à travers le six-pack [les six actes législatifs destinés à rendre la gouvernance économique plus rigoureuse dans l’UE] ou le pacte

budgétaire ), ni les décisions du sommet de Bruxelles ne changent rien à ce problème. Deuxièmement, ce qui fait défaut c'est un espace politique européen. Même si bon nombre de décisions importantes sont prises à l'échelle européenne, la vraie politique, impliquant les partis politiques, les électeurs et les médias se joue, au niveau national.

Nos politiques commencent à réaliser l'épuisement de l'actuel modèle d'intégration. La politique des petits pas, comme la suppression des barrières douanières, l'intégration des marchés, la mise en place de règles communes, ou la coordination d'actions vers une "Union sans cesse plus étroite", ne parvient plus à masquer les fissures visibles sur les fondements d'une Europe commune.

Le fédéralisme technocratique

*“Plus d'Europe”***, disent les politiques. Mais tandis que certains entendent par là plus d’argent allemand pour les banques espagnoles menacées de faillite, et pour les budgets troués de l'Italie ou de la Grèce, d'autres y voient un appel pour transférer la souveraineté des nations à l'échelle de l'UE. Le paradoxe de la situation actuelle tient au fait que ces deux revendications, en grande partie justifiées, demeurent néanmoins difficilement conciliables avec les principes de la démocratie.**

Pendant la crise, la nature du système politique de l'UE a profondément changé. Les souverains traditionnels - les nations européennes - ont vu s'imposer un autre et puissant souverain : les marchés.

Tout conflit entre ces deux protagonistes a été généralement réglé en faveur du dernier. Dans le passé, les politiques brandissaient des promesses électorales. Aujourd'hui, l'action politique est déterminée par les “attentes du marché”, les pays plus faibles tels la Grèce ou l'Italie ont dû accepter sans mot dire des réformes imposées par Bruxelles, comme étant le prix à payer pour une aide financière. Quant aux pays plus riches, comme l'Allemagne, ils ont octroyé cette aide sans se soucier de l'opinion publique et des procédures parlementaires. Dans les deux cas, on a tordu le cou à la démocratie.

Le Parlement européen a été dépourvu de tout rôle dans les procédures de sauvetage, et son président a même été écarté du groupe de sages chargé des propositions de la réforme de l'UE. Cet abandon du champ politique par le parlementarisme au profit des arrangements entre les chefs de gouvernement, c'est un “fédéralisme technocratique”, selon la formule de Jürgen Habermas.

Lors du dernier sommet européen, les dirigeants européens ont déclaré vouloir engager des pas supplémentaires vers une union budgétaire et politique. On a malheureusement moins évoqué l'important discours du Président du Parlement européen, Martin Schulz, rappelant qu'aucun objectif n’est plus important que la démocratie. Pourtant le dilemme de savoir comment sauver l'Union, sans saper la démocratie, est bien réel.

Les propositions d'engagement vers “une vraie union économique et monétaire”, inscrites dans le rapport de Herman Van Rompuy, impliquent un transfert significatif des pouvoirs des Etats membres à l'UE. L'union bancaire dont il est beaucoup question aujourd'hui représente bien plus qu'une simple solution technique.

La mise en place d'une instance commune de supervision des banques ou d'une garantie européenne sur les dépôts bancaires va forcément accroître l'ingérence des institutions européennes dans la politique budgétaire des Etats membres. Même les Allemands, clairement hostiles à une union de transfert (il faut comprendre par là : payer pour les faiblards), se résignent à croire que seules des mesures aussi drastiques peuvent restaurer la confiance des marchés en la zone euro.

Quant au souverain original - le demos européen - le rapport n'explique pas comment le satisfaire. La question de savoir comment résoudre, à long terme, le dilemme démocratique de l'UE, ressemble à la quadrature du cercle.

Le conflit des souverains

C'est sur un raisonnement très logique que Wolfgang Schäuble appuie sa vision d'une union politique. Si les compétences essentielles, auparavant réservées aux Etats souverains sont transférées vers Bruxelles, ce transfert devrait s’accompagner de la consolidation des structures parlementaires au niveau communautaire. Ainsi Schäuble préconise l'établissement d’une deuxième chambre du Parlement européen, composée de représentants des parlements nationaux, et l'élection du président de l'Union européenne au suffrage universel.

C'est seulement dans une union disposant à la fois de mécanismes permettant une ingérence accrue dans les politiques des Etats membres, et de mécanismes de légitimation de cette ingérence, que l'Allemagne serait prête à payer plus (par exemple à travers des euro-obligations). Sauf que les Européens ne sont guère prêts à aller aussi loin dans le renoncement à leur souveraineté nationale.

Le décalage entre ce dont l'UE a besoin, et ce que les sociétés européennes sont prêtes à lui octroyer n'a jamais été aussi grand. Le déficit démocratique dans l'Union européenne n'est pas un phénomène nouveau. Mais aujourd'hui, ce problème est devenu urgent. La plus grosse erreur serait de nier l'existence du conflit entre les deux souverains de la politique européenne - le marché et le démos - et de prétendre que “plus d'Europe” est un baume sans effets secondaires. Parler aujourd'hui d'une fédération européenne, sans soulever le problème de l'avenir de la démocratie européenne, ne serait pas l'expression d'un euro-optimisme, mais plutôt d'une euronaïveté.

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