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“Brain rot”, anxiété et ingérence étrangère, les trois plaies des réseaux sociaux

Alors que de nombreux organes de presse disent adieu à X (ex-Twitter), il est temps de réfléchir à la relation entre les réseaux sociaux et la société européenne.

Publié le 10 décembre 2024

De nombreux médias et organisations tels que la Fédération européenne des journalistes, The Guardian, le quotidien suédois Dagens Nyheter, le média espagnol La Vanguardia et Ouest-France annoncent leur départ de X (ex-Twitter). Il est donc temps de nous pencher sur les a priori que nous portons sur les réseaux sociaux et leur impact sur la société dans son ensemble. 

Un des préjugés les plus communs, par exemple, consiste à penser que les réseaux sociaux sont la première source de mal-être mental chez les jeunes. Un article publié récemment dans The Conversation nous apporte la nuance dont nous avons grandement besoin.

Grâce aux données de l’Agence de santé publique de Suède, ainsi qu’à des études réalisées en Norvège et au Royaume-Uni, Roland Paulsen, professeur de sociologie à l’université de Lund, démontre que “l’anxiété chez les jeunes est en hausse depuis longtemps, avant même les réseaux sociaux”. À partir de ces données, Paulsen déduit que les efforts déployés en ce moment en Europe pour interdire les smartphones à l’école n’amélioreront pas la santé mentale des élèves de manière significative. “Il est important de mettre en lumière le taux croissant de dépression et d’anxiété. Cependant, il ne faut pas centrer tout l’attention sur des explications simplistes qui résument le problème à des variables techniques comme le ‘temps d’écran.’ [...] Limiter le problème à des variables isolées, dont la solution semble être de nouvelles politiques (comme l’interdiction des smartphones), c’est suivre une logique technocratique [...]. Ce qu’on risque avec cette approche, c’est d’exclure de l’analyse notre modèle global de société.

Sur France Inter, Victor Dhollande indique que le taux de dépression chez les jeunes a monté en flèche en France depuis les confinements du Covid-19. “41 % des étudiants présentent des symptômes dépressifs (ils étaient 26 % avant [la pandémie]). C'est 15 points de plus en seulement quatre ans. Sur la même période, les idées suicidaires des 18-24 ans sont passées de 21 à 29 %. Leurs angoisses sont connues : difficultés économiques, études de plus en plus sélectives et donc stressantes, chômage … [...] Ils citent presque tous le contexte géopolitique, avec les conflits internationaux et le dérèglement climatique, qui rend leur futur toujours plus incertain. Ces chiffres sont issus d’une étude de chercheurs de l’université de Bordeaux et de l’Inserm, à paraître prochainement.

Selon le directeur d’un hôpital psychiatrique de Paris interrogé par Dhollande, la situation pourrait mener à “une génération sacrifiée d’ici quelques années” sans mise en place de solutions efficaces. Le journaliste explique que “le problème, c'est que les structures de prises en charge sont surchargées. Le constat est le même à l’hôpital, dans les centres médico-psychologiques ou chez les médecins libéraux : beaucoup trop de patients et pas assez de médecins, pas assez de structures spécialisées.

Dans The Guardian, Harry Taylor rend également compte, de manière moins dramatique peut-être, d’un autre problème de santé mentale dû aux réseaux sociaux : le “brain rot”, qui pourrait être traduit par “pourrissement du cerveau”. Chaque année, les éditeurs de l’Oxford English Dictionary proposent au public de voter pour le “mot de l’année”. En 2024, c’est “brain rot” qui a eu la faveur des votants. Selon l’Oxford Press University, il a “pris une place importante en 2024 comme terme encapsulant les inquiétudes quant aux effets de la consommation excessive de contenu en ligne de basse qualité, particulièrement sur les réseaux sociaux”.

Dans The Conversation de nouveau, Filippo Menczer, professeur d’informatique à l’Université de l’Indiana, examine les “campagnes d’influence étrangères, ou les opérations d’information” qui abondent en période d’élection, ainsi que les solutions potentielles, développées avec ses collègues dans l’Observatory on Social Media (Observatoire des réseaux sociaux). Leurs recherches permettent d’estimer l’échelle de ces opérations et en décryptent les méthodes. Cependant, Menczer avoue qu’“il est difficile d’évaluer les conséquences [...] car recueillir des données et mener des expériences éthiques qui influencerait des communautés en ligne est un défi de taille. Ainsi, on ignore, par exemple, si les campagnes d’influence en ligne peuvent faire basculer une élection.

Etant donné que ces opérations reposent essentiellement sur des générateurs de contenu automatique par IA, Menczer conseille que les régulations pour les combattre se concentrent sur la “diffusion de contenu généré par IA sur les réseaux sociaux, plutôt que sur la génération de contenu par IA [elle-même]”. Les réseaux sociaux peuvent aussi prendre des mesures concrètes comme rendre plus difficile la création d’un faux compte et les publications automatiques. “Ce type de modération de contenu protègerait plutôt que d’essayer de censurer la liberté d’expression au sein de ces places publiques modernes”, écrit Menczer. “Le droit à la liberté d’expression n’est pas un droit à la visibilité, et puisque l’attention des usagers est limitée, une opération d’influence peut être une forme de censure car elle empêche la visibilité des réelles voix et opinions.

Enfin, dans le Dublin Inquirer, Shamim Malekmian enquête sur une annonce étrangement intraçable cherchant des “démarcheurs en ligne” pour les élections, apparue sur X lors de la campagne pour les élections générales en Irlande. L’enquête mène à une discussion sur les réglementations de l’UE telles que le règlement général sur la protection des données (RGPD) et le règlement sur les services numériques (Digital Services Act, DSA), créés pour lutter contre ces opérations dont le manque de transparence et de responsabilité ne fait pas de doute. 

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