Actualité Corruption et football

Si la FIFA était un pays, les Etats-Unis devraient y intervenir

L’association internationale de football est tellement corrompue que, si c’était un pays, elle serait classée dans la première moitié du tableau, dit la spécialiste Alina Mungiu-Pippidi, qui est favorable à une intervention immédiate du département de la Justice américain.

Publié le 9 décembre 2015 à 08:03

En parlant, le jeudi 3 décembre, de nouvelles mises en examen pour corruption de hauts représentants de la FIFA (portant le nombre total d’individus et entités mis en cause à 41), la procureure générale américaine Loretta E. Lynch a déclaré : "Le ministère de la justice est déterminé à mettre fin à la corruption rampante dont nous avons établi l’existence dans les instances dirigeantes internationales du football – non pas seulement en raison de l’ampleur des manigances ou de l’impudence et de l’envergure des opérations nécessaires pour faire fonctionner une telle corruption mais aussi en raison de l’affront aux principes internationaux qu’une telle attitude suppose." Autrement dit, il est devenu impossible dans le monde d’aujourd’hui de défier l’intégrité publique d’une manière aussi ouverte et scandaleuse que la FIFA l’a fait pendant de nombreuses années. La Journée internationale de lutte contre la corruption, ce 9 décembre, représente une bonne occasion pour s’interroger ce que cela signifie.

Par exemple, si les fonctionnaires de la FIFA ont systématiquement accordé les droits de retransmission et choisi les pays-hôtes des tournois en favorisant l’une des parties, en échange de pots-de-vin ou d’autres avantages, alors la corruption était la règle, et non l’exception, dans le fonctionnement de la FIFA. Les autorités américaines prétendent que, pendant des décennies, l’organisation de football "utilisait son pouvoir d’instance dirigeante des fédérations de football à travers le monde pour créer un réseau de corruption et d’avidité qui compromet l’intégrité du beau jeu." Tout le monde le savait. La voix des adversaires était systématiquement étouffée, bottée en touche ou marginalisée.

Est-ce une surprise ? Après tout, l’intégrité publique moyenne des 209 pays dont les associations de football sont représentées au sein de la FIFA s’élève à 5, sur une échelle où la Nouvelle Zélande atteint un score de 10 et la Somalie 1 (ironie du sort, c’est ce pays africain qui a officiellement proposé la candidature de Blatter à la présidence de la FIFA en 2010). Plus préoccupant encore, le nombre de pays où l’intégrité est vraiment assurée (qui ont une note supérieure à 7) ne s’élève qu’à 44, et ceux qui ont plus de 5 sont 94. Si la fédération internationale de football était un Etat, elle ne serait certainement pas classée dans la première moitié, mais elle se situerait à un niveau similaire à celui du Brésil dont les fonctionnaires semblent très corrompus et qui se place à la 121e position, avec un score de 4,2.

Et ce n’est qu’un classement de la corruption perçue, le plus objectif qui existe à ce jour car il compile les avis de toute la population. Mais que se passerait-t-il si l’on mettait en place un indice de corruption évaluant uniquement les pratiques pendant les appels d’offre, comme nous l’avons fait pour les 28 pays de l’UE, en montrant que les institutions de l’Union européenne arriveraient derrière le Portugal (qui est 15e dans l’Union européenne et représente le dernier des pays qui rentre dans la catégorie des États intègres, avec une note de 7 exactement) ? Après tout, le Brésil est réputé, depuis des années, comme étant un pays combattant la corruption – on ne peut pas en dire autant de la FIFA. Enfin, ne demandez pas où se placerait l’ONU si c’était un pays – il s’agit d’une organisation dont certains dirigeants peuvent être arrêtés pour corruption, malgré une épuration récente importante.

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Il semblerait qu’il reste du chemin à parcourir pour en arriver à la situation enviable où la corruption est une déviation de la norme. Ce que combattent les militants anti-corruption aux quatre coins du monde s’apparente à un ordre social vicieux où il faut savoir qui est capable de prédire quelle part des ressources publiques reviendra à untel. Ce sont en tout cas les conclusions auxquelles j’arrive dans mon dernier livre A Quest for Good Governance ("À la recherche de la bonne gouvernance"), où je précise que nous devons nous battre pour établir les normes d’intégrité publique avant de punir ceux qui la violent. Il s’agit simplement de comprendre quelle est la pratique la plus courante.

Cette ressemblance entre la FIFA et un pays où la corruption des élites est supérieure à la moyenne ne s’arrête pas là. Ce fléau trouve son origine dans le pouvoir incontrôlé et le manque de surveillance qui permet aux fonctionnaires de transformer l’influence en avantages matériels. Là où de telles tendances sont observées, le pouvoir est monopolisé, même si les élections sont libres sur le papier.

La possibilité de se faire réélire à l’infini associée au manque de contre-candidats, un confort dont a bénéficié Blatter pendant des années, s’apparente à ce qui se passe en Afrique sub-saharienne ou en Asie centrale, les régions les plus corrompues du globe. Dans les pays et les organisations où le pouvoir discrétionnaire est tellement fort qu’il empêche toute opposition (aucune fédération du monde n’a eu le courage d’appuyer la candidature symbolique et ironique d’un journaliste sportif américain à la présidence de la FIFA par peur de représailles de la part des dirigeants de l’organisation), les agences de contrôle et les commissions internes sont également bâillonnées. Elles reçoivent de nombreuses pétitions, mais ne trouvent "aucune preuve" confirmant les allégations.

C’est pour cela que, dans mon livre, j’en arrive à la conclusion que les pays qui ont institué des agences ou une législation anti-corruption n’ont pas progressé plus que les pays qui ne l’ont pas fait. En fait, il semblerait même que ce soit l’inverse – à l’heure actuelle, les pays les plus corrompus ont le plus de lois et d’agences qui sont, occasionnellement, utilisés contre les opposants aux dirigeants corrompus qui contrôlent ces agences. Toutefois, la meilleure chose qu’ils pourraient faire pour lutter contre ce problème consisterait à remplacer tous ces leaders, cliques et élites qui sont au pouvoir depuis des années, alors que la corruption fleurit. Une fois qu’ils seront partis, il sera possible de limiter le nombre de mandats pour les fonctions électives, de libéraliser les conditions d’éligibilité et de mettre en œuvre toutes les autres réformes de bon sens auxquelles s’attendent les supporteurs de football des six continents de la part de la FIFA.

Mais c’est difficile car les pots-de-vin sont le fondement de l’économie politique d’un pays corrompu et il n’est pas facile de défaire un tel système. Par exemple, au Brésil, un pays où, au moins, l’intégrité et la corruption se livrent un combat, les hommes politiques corrompus se servent des régions les plus pauvres pour assurer leur réélection en échange de subventions publiques. De même la FIFA construit des stades ou accorde des faveurs aux pays pauvres, devenus ainsi clients de la clique au pouvoir, lorsqu’ils ne sont pas directement achetés, des mallettes d’espèces le jour des élections faisant l’affaire.

Les régions plus riches et plus engagées politiquement exigent l’intégrité – même avant ou pendant une Coupe du Monde, comme au Brésil – mais c’est la moyenne qui compte au final. La corruption ne dépend pas de la nationalité – après tout, M. Blatter est ressortissant suisse et son pays peut s’enorgueillir d’une note de 9,8, en se plaçant à la quatrième place – mais de la majorité des parties intégrantes. Si l’on peut acheter, intimider ou malmener la majorité, alors un pays, pas plus qu’une organisation internationale, ne pourra établir de contrôle de la corruption.

Mais au bout du compte, la FIFA est en meilleure position qu’un pays car, semble-t-il, des juridictions extérieures à son système d’impunité interne peuvent intervenir – c’est le cas des autorités suisses et américaines, car les accusés ont heureusement placé leur argent sur des comptent américains et ont ainsi enfreint la législation du pays. Les conditions de ce qui est, pour une fois, une intervention très bienvenue des Etats-Unis, ont donc été réunies.

Cet article est publié en partenariat avec ANTICORRP

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