Décryptage La société civile face à l’extrême droite | Slovaquie

En Slovaquie, l’extrême droite met la société civile à l’épreuve

S’inspirant du modèle hongrois, la coalition nationaliste populiste au pouvoir en Slovaquie prévoit d’introduire des réglementations controversées concernant les ONGs, suscitant des craintes quant au manque de transparence, à l’oppression bureaucratique et la répression de la société civile.

Publié le 4 juin 2024 à 15:48
Slovakia Emanuele Del Rosso

“Je ne donne pas un centime aux étrangers !, c’était le slogan placardé à travers la Slovaquie par le parti d’extrême droite Republika à l’approche des élections de 2023. Si celui-ci n’avait pas suffi à Republika pour entrer au Parlement, il avait tout de même fini par être récupéré – partiellement – par le gouvernement.

Comme prévu dans son programme de campagne, la coalition au pouvoir, dirigée par Robert Fico (SMER-SD, populiste de gauche), a annoncé des changements législatifs concernant les organisations non gouvernementales. Pour mieux les comprendre, il faut se pencher sur le projet d’amendement publié en mars 2024 et élaboré par le Parti national slovaque (SNS, extrême droite), la formation minoritaire ultranationaliste de la coalition.

Parmi les changements majeurs introduits par ce projet d’amendement, on trouve le catalogage comme “organisation soutenue par l’étranger” de toute ONG dont les bénéfices annuels ne venant pas de Slovaquie dépassent les 5 000 euros (à l’exception de celles recevant uniquement des fonds de l’UE) ; l’obligation pour les ONGs de publier les noms de tous leurs donateurs, particuliers ou professionnels ; et un projet de loi visant à les dissoudre pour irrégularités administratives même si elles font appel.


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Inspiration hongroise

Le texte a été vivement condamné par la société civile slovaque. Selon Marcel Zajac, président du Conseil gouvernemental pour les ONGs : “Cette loi est un bâton destiné à battre les citoyens, elle fait une distinction fondamentale entre différentes formes de capital privé, stigmatise la société civile et implique également une augmentation intolérable de la bureaucratie.”

Selon ses rédacteurs en revanche, le projet d’amendement est en faveur de l’intérêt public, car il accroîtrait la transparence du secteur tertiaire. La tenue d’un débat sur la façon de renforcer la transparence semble définitivement nécessaire. La proposition du SNS comprend néanmoins de nombreux problèmes, notamment le manque de discussion avec les parties concernées et la justification avancée pour une telle loi, qui évoque davantage un prétexte pour compliquer la vie des ONGs dérangeantes.

La comparaison entre le projet d’amendement et une loi hongroise similaire témoigne de l’influence saisissante de Viktor Orbán, Premier ministre hongrois et “illibéral” autoproclamé. Selon la Plateforme civique pour la démocratie, les deux textes de loi sont “très similaires, voire presque identiques”. L’amendement du SNS étant en effet le plus ferme des deux en matière de pouvoir donné au ministère de l’Intérieur pour dissoudre certains types d’organisations sans contrôle judiciaire.

La Cour de justice de l’Union européenne a pour sa part fermement contesté le projet de loi hongrois. Elle le considère comme contraire à la juridiction européenne, précisément à cause des moyens disproportionnés utilisés pour atteindre son objectif de rendre le secteur tertiaire plus transparent.

“Démocratie sociale” et société civile

Le SMER-SD de Robert Fico et le HLAS-SD (une formation de la coalition aux valeurs similaires) ont été récemment exclus du Parti socialiste européen (PSE, centre gauche). En cause, la rhétorique de Fico et sa coopération avec le SNS.

En réponse à cela, le SMER-SD a utilisé sa défense habituelle : selon le parti, le refus de la “démocratie sociale slovaque” de suivre un agenda progressiste sur les questions de genre et de minorités sexuelles serait la vraie raison derrière la suspension. Cependant, et tout particulièrement dans le cas de SMER-SD, une trahison plus profonde des valeurs sociales-démocrates traditionnelles est à l'œuvre. C’est ce qui ressort de la rhétorique hasardeuse employée par le parti à l’égard de la société civile.

Les organisations bénévoles ne sont en effet pas les seules à être attaquées. Des personnes ayant exprimé leur désaccord envers la ministre de la Culture Martina Šimkovičova ont par exemple été qualifiées de “spirituellement dépourvues” par le Premier ministre. Une collecte visant à financer l’achat de munitions pour l’Ukraine a également fait l’objet d’une remarque de mauvais goût de la part de Fico.

Bien que le gouvernement prenne soin de distinguer les ONGs “politiques” des autres, cette distinction reste artificielle : toutes les organisations promouvant des intérêts dans l’espace public sont politiques. Il faut donc s’attendre à ce que ces intérêts entrent en contradiction avec le pouvoir politique sans représenter un danger pour autant.

Le gouvernement est par essence dans la position la plus forte et ne devrait pas imposer son autorité, à moins d’avoir eu recours à toute autre option (et uniquement dans les limites de la légitimité et de la responsabilité conférées par une élection). Les médias et la société civile, considérés comme des ennemis par le gouvernement, incarnent en réalité d’importants freins et contrepoids au pouvoir dans une démocratie représentative.

Au lieu d’accepter les critiques, la coalition au pouvoir préfère rejeter le principe démocratique fondamental du débat ouvert et raisonné. Loin d’être un “barrage contre l’extrême droite”, le gouvernement est en train d’aider l’extrémisme à devenir “mainstream”.

Sondage fantoche

Même la fusillade ayant touché le Tepláren, un bar gay de Bratislava, en 2022 n’a pas suffi à calmer la rhétorique agressive visant souvent les minorités de genre et sexuelles et venant, entre autres, de politiques du gouvernement en place. Début 2024, un “sondage” sur le profil Facebook officiel du ministère de la Culture a suscité une vague de critiques. On y demandait aux citoyens si l’Etat devait soutenir la restauration de monuments culturels ou “des événements LGBTQIA+ où l’on apprend à des mineurs à se produire dans un sex show.”


La ténacité de la société civile déterminera le cours des deux ans et demi à venir


Les incidences concrètes du classement des individus entre citoyens de classe supérieure et de classe inférieure ont été davantage évidentes pendant le mandat de l’actuelle ministre de la Culture Martina Šimkovičova. Deux projets de loi concernant d’importantes institutions relevant du ministère de la Culture sont attendus prochainement. L’un deux consisterait à transformer le Fonds pour la promotion des arts afin de lui permettre de mieux lutter, selon les termes élogieux de Fico, pour “la culture nationale, et non celle de la perversion et des transgenres.”

En outre, le SNS propose d’abolir le diffuseur public RTVS et de le remplacer par un “média d’Etat”. Le gouvernement est convaincu de la subjectivité du journalisme de RTVS, un journalisme allant même selon lui jusqu’à violer les droits humains. Cette offensive législative se heurte à la résistance des travailleurs touchés ainsi qu’à celle du secteur public en général.

En réponse à cette attaque du ministère, la communauté culturelle slovaque s’organise sur la plateforme Open Culture. En plus des pétitions, un réseau de solidarité se met en place pour rassembler les organisations et les personnes travaillant dans le domaine de la culture. Les travailleurs de RTVS se sont fait entendre lors d’une manifestation d’opposition ayant attiré environ 4 000 personnes, et les changements prévus concernant le diffuseur ont également été rejetés par plus de 85 000 signataires d’une pétition citoyenne contre le “détournement”du média par le gouvernement.

Mise à l’épreuve 

Les dernières élections législatives slovaques ont apporté un peu de soulagement. Le Parti populaire néonazi Notre Slovaquie a été évincé du Parlement et Republika, son successeur, n’y est pas entré. Une défaite surtout symbolique pour l’extrême droite : des membres de ces partis, ou des personnes s’étant présentées aux élections en leur nom, travaillent actuellement dans des ministères ou en sont tout simplement les dirigeants.

Peter Weiss, un ancien nationaliste de gauche proche du HLAS-SD faisant aujourd’hui partie des critiques de la coalition, déclare ouvertement que la feuille de vigne supposée cacher les aspects les plus controversés la coalition — le HLAS-SD et son leader, le nouvellement élu président Peter Pellegrini — a elle-même succombé à la vision populiste inspirée du SNS animant les idéologies et la politique du gouvernement.

Aucune élection ne devrait suivre les européennes du mois de juin ; le prochain scrutin, qui combinera élections régionales et locales, est prévu pour 2026. La ténacité de la société civile déterminera le cours des deux ans et demi à venir. Cette dernière pourra-t-elle défendre l’importance d’un pouvoir pluraliste et la possibilité d’une politique par le bas, face à la périlleuse promesse de paix et d’unité du gouvernement ?

Avec le soutien de Heinrich-Böll-Stiftung UE

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