Idées L’UE et le monde

Pas d’Europe de la défense sans véritable diplomatie européenne

Les tensions internationales sont à leur paroxysme, que ce soit au Moyen-Orient, en Asie ou en Afrique, en Europe même. Pour faire face à ces nombreux défis, il faut une diplomatie européenne où les pays de l’Union parlent d’une seule voix. Si ce but est atteint, l’objectif de la création d’une Europe de la défense sera enfin réalisable !

Publié le 2 février 2016 à 09:23

Personne ne comprend la politique étrangère actuelle de l’Union Européenne. Personne ne sait où elle va. La position de L’Union européenne est peu compréhensible envers la Turquie. Encore plus floue vis-à-vis de la Russie. Et on ne parle même pas de l’intervention en Syrie et en Irak contre l’État Islamique où chaque pays intervient sans vraiment y mettre les moyens ou en ne s’engageant pas vraiment. Pourtant, l’année 2016 s’annonce décisive pour l’Europe et une politique étrangère est indispensable pour faire face aux multiples “problèmes” du monde. La situation se dégrade au Moyen-Orient, certains pays d’Afrique sont encore très instables, la Russie joue le jeu de l’allié des autocraties du Proche-Orient, les libertés sont toujours bafouées en Chine (en témoigne l’expulsion de la correspondante de l’Obs le 31 décembre). Les tensions sont multiples et les “Grands” de ce Monde doivent jouer leur rôle.

L’Union Européenne représente la plus grande force économique sur le plan international, devant les Etats-Unis. Elle a l’obligation de peser dans les conflits internationaux, de manière pacifique en premier lieu, pour préserver les valeurs auxquelles elle attache beaucoup d’importance : solidarité, paix et respect des libertés individuelles mais aussi pour préserver ses intérêts et sa sécurité. Si d’un côté, l’Union européenne se doit d’accueillir les réfugiés, elle se doit aussi de faire pression pour la résolution des conflits dans les pays d’où viennent ces réfugiés. On ne peut pas accepter aujourd’hui que des centaines de personnes meurent tous les jours.

On ne peut pas accepter que des milliers d’innocents fuient leur pays à cause des agissements de dictateurs ou d’organisations terroristes. On ne peut pas accepter qu’un pays annexe une partie du territoire d’un pays qui est un candidat potentiel à une adhésion à l’Union européenne. Pourtant rien n’est fait puisque les États membres s’entêtent à faire primer leurs intérêts propres avant ceux de l’Europe. Si seulement cela marchait, on pourrait considérer qu’une Europe unie sur le front diplomatique serait inutile.

Mais ce n’est évidemment pas le cas. Suivre la politique étrangère des Etats-Unis n’est pas obligatoirement synonyme de succès (l’Histoire nous le montre), tout comme suivre aveuglément l’OTAN ou encore la jouer “solo”. C’est un échec et il est facile de le reconnaitre. L’Union européenne n’a aucun poids diplomatique et ne peut donc remédier à cet échec et à l’inévitable perte d’influence des Etats membres face à la crise économique et à la mondialisation. L’Union européenne pourrait pourtant être la solution à ces revers. Mais à cause d’un budget ridicule, à cause de la mauvaise volonté des Etats membres, à cause d’un poids militaire inexistant, elle ne parvient pas à s’imposer.

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Ce manque de présence diplomatique est terrible. Il nous pousse à trouver des accords honteux, complètement en défaveur de nos intérêts et en contradiction avec nos valeurs. L’accord avec la Turquie en est le symbole. Donner trois milliards d’euros à un pays qui sombre dans la dérive autoritaire et dans le soutien à des organisations qui déstabilisent des pays entiers (la Turquie soutient les milices opposées au pouvoir “officiel” en Libye)est insensé. On ne fait que se débarrasser du problème sans le résoudre. Et que dire des réfugiés, qui ne demandent qu’à venir en Europe et à qui on force de rester dans un pays où le gouvernement fait la guerre aux journalistes d’opposition et à la minorité kurde.

Est-ce vraiment l’Europe que nous voulons ? Une Europe lente, une Europe qui condamne à moitié les pays autocratiques, une Europe immobile. Voulons-nous vraiment une Europe dont les États membres se mettent presque à rêver le retour des dictateurs, ou autocrates, qu’ils ont eux-mêmes mis au pouvoir dans l’après-guerre ?

Les politiques étrangères actuelles des Etats membres ne sont pas forcément dénuées de bon sens ni d’efficacité. Intervenir au Mali pour sauver le pays de l’AQMI n’était pas injustifié. Mais une diplomatie efficace n’est pas que représentée par une intervention militaire. L’efficacité diplomatique se manifeste aussi par des sanctions économiques (face à la Russie), la négociation d’accords (avec l’Iran), la sauvegarde de l’Humanité et de notre planète (la COP21). Mais rien n’est mis au profit de l’Union européenne. Les réussites, qui sont importantes évidemment, ne sont que l’empilement des politiques étrangères des États membres plus ou moins communes, qui se transforment en succès quand il y a urgence à trouver un accord.

La crédibilité de la diplomatie européenne est donc mise à mal. Mais on peut la restaurer. Tout d’abord, il faut accorder les politiques étrangères des Etats membres. L’accord à 28 paraît difficile, mais une diplomatie commune entre les dix plus grands pays de l’Union européenne sera déjà un bon début. Si l’on parle d’une seule voix, les effets seront immédiats. Ensuite, il faudrait accorder plus de visibilité aux véritables acteurs de la diplomatie européenne (et ne pas tirer la couverture à soi).

Ainsi, Federica Mogherini abat un travail formidable et franchement pas simple, mais personne ne la connait et elle n’est pas considérée comme une interlocutrice privilégiée par les autres pays, qui n’ont d’ailleurs aucun intérêt à voir émerger une véritable diplomatie Européenne. Enfin, si la diplomatie paraît inefficace, pouvoir établir des sanctions à la hauteur du poids économique de l’Union Européenne serait idéal.

Une véritable diplomatie européenne serait avantageuse pour tous : une entraide face aux dépendances de certains pays (en matière énergétique notamment) et donc la possibilité d’y remédier (l’Allemagne est dépendante du gaz Russe, ce qui diminue son poids diplomatique. La France est dépendante de l’uranium du Niger…). De plus, une politique étrangère commune aux États membres les emmènerait sur la voie d’une plus forte coopération et donc d’une intégration plus aboutie. Et le plus important reste à venir. Une diplomatie européenne permettrait la constitution d’une Europe de la défense. Si les pays Européens défendent des intérêts communs, ils devront aussi assurer leur défense.

Une Europe de la défense n’est pas synonyme de repli sur soi, ni de dérive militariste. Non, ce n’est qu’une simple protection des intérêts européens et une marque d’indépendance. Face à une Europe faible, la Russie a pu jouer son jeu en décrédibilisant complètement les chefs d’Etat européens, mais qu’aurait elle fait si l’Europe avait unanimement rejeté les ingérences Russes, si l’Europe avait aidé l’Ukraine à se défendre ? Peut-être que les accords de Minsk auraient été suivis des faits.

Qu’aurait fait la Russie face aux forces armées de l’Union Européenne capable d’être forte de plus d’un million et demi d’hommes ? Ce sont des formidables moyens de pression qui sont à la disposition de l’Union européenne, et les utiliser sans avoir d’intentions belliqueuses pourrait régler des conflits internationaux. Une Europe de la défense permettrait de faire des économies considérables sur le plan des interventions militaires et dans la recherche militaire. Une Europe de la défense permettrait d’éviter des dérives autoritaires de certains États, membres ou pas de l’Union européenne. Une Europe de la défense permettrait d’assurer la protection des frontières européennes et de Schengen.

Une diplomatie européenne unie et logique serait donc bénéfique, à la fois pour donner à l’Union européenne la place qu’elle mérite sur le plan international mais aussi pour mener à bien d’autres objectifs essentiellement liés à une politique étrangère commune. Malgré l’existence d’organisations concurrentes auxquelles participent les États membres de l’Union européenne et la pression de grandes puissances qui ne voient pas d’un bon œil une diplomatie de l’Union européenne efficace et cohérente, une politique étrangère de l'UE permettrait de faire évoluer la coopération des Etats membres au stade supérieur (notamment sur l’échange d’informations des services de renseignement de chaque pays). Néanmoins, il faudra le faire vite. Le Monde n’attendra pas. La survie de l’Union européenne et de Schengen non plus.

Alors agissons ! Unissons-nous sous la bannière européenne ! Les intérêts des différents pays européens sont les mêmes ! Nous partageons les mêmes valeurs. Si les pays ont décidé de ne pas suivre cette voie c’est parce qu’ils sont dépendants d’autres Etats (ce qu’une intégration européenne plus aboutie peut résoudre) ou qu’ils préfèrent suivre des objectifs personnels pour ne pas voir l’inévitable : l’érosion de leur influence.

Photo : Passage de commandement à l’Eurocorps, à Strasbourg, en 2013. Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons.

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