Alors que les yeux du monde sont tournés vers les conflits à Gaza et en Ukraine, rares sont ceux qui semblent prêter attention ou prendre des mesures contre les atrocités actuelles au Soudan, où une escalade de la violence a fait au moins 1 000 morts en seulement deux jours début novembre, alors que l'on craint un nouvel nettoyage ethnique après celui de 2003-2008.
Alors que les drapeaux ukrainiens et palestiniens sont omniprésents lors des rassemblements à Bruxelles et dans d’autres capitales européennes, les drapeaux soudanais (qui partage les mêmes couleurs et le même dessin que le drapeau palestinien) sont absents dans les rues ou sur les réseaux sociaux.
Nos gouvernements, nos institutions et nos sociétés civiles semblent beaucoup moins engagés lorsqu’il s’agit de graves violations des droits humains en Afrique, signe d’une politique de deux poids, deux mesures.
Pendant ce temps, des témoins oculaires tirent la sonnette d'alarme sur les massacres, les villages incendiés et les agressions des Forces de Soutien Rapide (FSR) ciblant les dirigeants et les membres de la tribu non-arabe Masalit à Ardamata, minoritaires au Soudan, mais majoritaires dans l'ouest du Darfour. Environ 100 abris y ont été rasés. Il s’agit de l'un des nombreux camps de personnes déplacées à l'intérieur du pays (PDI), forcées de quitter leurs foyers lors du génocide bien documenté au Darfour en 2003-2008. La région fait la taille de la France et compte six millions d'habitants issus de près de 100 tribus différentes.
L'UE s'est limitée à condamner la “campagne de nettoyage ethnique visant à éradiquer la communauté non-arabe Masalit du Darfour occidental” menée par les SFR le 12 novembre, mettant en garde contre le danger d'un nouveau génocide au Darfour.
Mi-septembre, une augmentation des arrivées de bateaux en Italie a été signalée en raison d'un nombre croissant de personnes en provenance de Tunisie. Il s’agissait, entre autres, des réfugiés soudanais – victimes d’une crise de déplacement dont le taux de croissance est à l’heure actuelle inégalé dans le monde – ciblant d’abord les pays voisins, comme la Libye et le Tchad. Cette tendance devrait s’accélérer malgré les récents efforts de l’UE pour renforcer les contrôles aux frontières avec la Tunisie, la Libye et l’Égypte.
Entre 2003 et 2008, le gouvernement soudanais dirigé par l’homme fort Omar Al-Bachir a soutenu les milices arabes janjawids pour réprimer les groupes rebelles protestant contre la marginalisation au Darfour, parmi lesquels les Masalit. Quelque 300 000 personnes ont été tuées et 2,5 millions ont dû fuir leurs villages.
Alors que le pays aspirait à une transition démocratique en 2019 avec le renversement d'Omar Al-Bachir, inculpé par la Cour pénale internationale pour génocide et crimes contre l'humanité, un coup d'Etat mené par le général Abdel Fattah Al-Bourhane et son général adjoint de l'époque Mohammed Hamdan Daglo a évincé le Premier ministre civil Abdalla Hamdok, favorable à la démilitarisation du processus électoral dans le pays.
Cette dernière escalade de violence a commencé à la mi-avril, lorsque Daglo a mobilisé les paramilitaires des SFR, majoritairement constitués des milices janjawids, contre le gouvernement de facto d'Al-Bourhane.
Après les premiers combats à Khartoum, les SFR ont pris le contrôle de la majeure partie du Darfour, où elles ciblent les Masalit. C’est à cette tribu qu’appartenait le gouverneur du Darfour occidental, Khamis Abdallah Abakar, exécuté en juin dernier par les SFR à Al-Geneina.
En conséquence, les Etats-Unis ont sanctionné le frère de Mohammed Hamdan Daglo, Abdul Rahim Daglo, commandant en second des SFR, ainsi que le commandant local des SFR, Abdul Rahman Juma. L'organisme des Nations Unies chargé des droits de l'homme a reçu des informations faisant état d'au moins 13 charniers à Al-Geneina.
Malgré les pourparlers de paix arbitrés par les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite à Djeddah en octobre dernier, un cessez-le-feu n'a pas pu être établi. Selon le secrétaire général adjoint de l'ONU, Martin Griffiths, au moins 9 000 personnes ont été tuées "dans l'un des pires cauchemars humanitaires de l'histoire récente" depuis le début des combats en avril, et 5,6 millions de personnes ont été déplacées (dont 1,2 million cherchant refuge au Tchad et autres pays voisins) et 25 millions de personnes (la moitié de la population du Soudan) ont besoin d'une aide humanitaire.
Compte tenu du nombre croissant de personnes déplacées, l’insécurité alimentaire sera exacerbée par la limitation des activités agricoles et la perspective d’une mauvaise saison des récoltes.
Bordé par la Libye, le Tchad, la République centrafricaine, le Soudan du Sud, l'Erythrée et l'Égypte, le Soudan se trouve à proximité immédiate du voisinage européen et la guerre en cours, dans le troisième plus grand pays d'Afrique en termes de superficie, pourrait avoir pour l'UE et au-delà des répercussions plus graves que l'effondrement de la Libye.
Il y a un risque sérieux d’effets de contagion dans les pays voisins, ce qui pourrait alimenter les tensions régionales.
Etant donné que le Soudan a autrefois accueilli le chef d’Al-Qaïda, Oussama ben Laden, le danger d’une résurgence islamiste dans le pays ne doit pas non plus être sous-estimé. On craint également que cet affrontement ne se transforme en conflit par procuration, avec un possible implication de l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes dans deux camps opposés.
Les financements actuels sont loin de répondre aux besoins humanitaires, avec seulement un tiers des promesses d’aide étant honorées.
L’urgence humanitaire et les réalités géopolitiques au Soudan et dans sa région exigent de l’UE et des autres acteurs de la scène internationale d’intervenir plus activement dans le conflit. Nous ne pouvons plus être de simples témoins d’un autre génocide qui se déroule à nos portes ou traiter de manière sélective les conflits à proximité. La vie des Soudanais serait-elle moins importante que celle des Ukrainiens ou des Gazaouis ?
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Depuis les années 1980 et la financiarisation de l’économie, les acteurs de la finance nous ont appris que toute faille dans la loi cache une opportunité de gain à court terme. Les journalistes récompensés Stefano Valentino et Giorgio Michalopoulos décortiquent pour Voxeurop les dessous de la finance verte.
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