Le “modèle Meloni” annonce-t-il les politiques migratoires européennes de demain ?

Après un scrutin européen marqué par une omniprésence des thématiques de la migration et de la sécurité, le doute plane quant au futur des politiques de l’Union européenne en matière de gestion de la migration et de l’octroi de protections internationales. Une continuité avec la précédente législature européenne semble la plus probable.

Publié le 18 juin 2024

Les élections passent et reste comme un sentiment d'hébétude. Si la “vague brune” tant redoutée n'a finalement pas eu lieu, ces dernières élections européennes gardent un goût de tournant du siècle. Une question reste en suspens : quel avenir pour les personnes exilées en Europe, après ce renouvellement d’assemblée dont le vote aura été marqué par une omniprésence des thématiques relatives à la sécurité et à l’immigration ? Les grands discours seront-ils suivis de grands effets ?

Nouvelle donne européenne

Si on trouve autant d’analyses politiques divergentes qu’il existe de politologues, le consensus veut malgré tout que la question du contrôle de la migration ait largement pesé sur le résultat du scrutin et le passage de l’assemblée européenne vers la droite – un pronostic que nous avions déjà documenté en début d’année


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Pour le quotidien espagnol El Salto, Àngel Ferrero dresse un constat crépusculaire : “L'Union européenne a présenté son pire visage au monde lors de ces élections : un continent qui entre dans son hiver démographique, intellectuellement un marécage, sur les rives duquel vit une population en proie à la frustration et au ressentiment que l'extrême droite a su canaliser et capitaliser comme aucune autre”, résume-t-il.

Externalisation et modèle italien 

Comment l’extrême droite pourrait-elle utiliser le poids acquis au terme du scrutin européen ? Une piste de réflexion se trouve sans doute du côté de l’externalisation des frontières, un processus déjà largement entamé lors de la précédente législature. 

L'UE espérait que son pacte européen sur la migration et l'asile, approuvé en mai, couperait l'herbe sous le pied des partis d'extrême droite qui font campagne contre l'immigration, mais les parlementaires d'extrême droite nouvellement élus pourraient maintenant vouloir des restrictions plus sévères”,  rappelle finement Joanna Gill pourContext.

Les partis d'extrême droite sont susceptibles de soutenir de nouveaux accords pour traiter les demandes d'asile dans les pays non-membres de l'UE et de promouvoir le renforcement des frontières extérieures de l'Union”, souligne Gill. “Ce qui, selon les défenseurs des droits, augmente le risque de refoulements violents.”

Le Parlement européen nouvellement formé pourrait donc continuer la dynamique amorcée par les accords migratoires passés avec l’Egypte, la Tunisie, la Mauritanie ou le Liban et chercher de nouveaux alliés hors-UE. Un air de temps qui pourrait bénéficier à une personne en particulier : Giorgia Meloni, la Première ministre italienne (Fratelli d’Italia, extrême droite), dont l’accord d’externalisation avec l’Albanie devrait entrer en vigueur fin août 2024, et qui ambitionne déjà de voir l’Union européenne suivre son exemple.

"Cet accord pourrait être reproduit dans de nombreux pays et faire partie d'une solution structurelle pour l'Union européenne", s’enthousiasmait Meloni en amont du scrutin, citée ici par Alessia Peretti pour Euractiv. "Cet accord est en train de devenir un modèle. Il y a quelques semaines, une quinzaine de pays européens sur 27, soit la majorité de l'UE, ont signé un appel à la Commission, lui demandant, entre autres, de suivre le modèle italien. Même l'Allemagne, par l'intermédiaire de sa ministre de l'Intérieur (Nancy Faeser, Parti social-démocrate, centre gauche), a exprimé son intérêt pour cet accord”, a renchéri la cheffe d’Etat.

Federica Matteoni, pour le Berliner Zeitung, abonde dans ce sens : “Bien que l'objectif n'ait pas encore été atteint, le modèle de Meloni consistant à externaliser l'examen et le traitement des procédures d'asile vers des pays non-membres de l'UE ne semble plus être un tabou en Europe”. Pour elle, Giorgia Meloni pourrait voir dans la posture d’Ursula von der Leyen – actuellement favorite pour reprendre son rôle de la Commission européenne – un alignement sur la question de la gestion migratoire. Tout n’est pas encore joué cependant.

On ne sait pas encore si le plan de Meloni va aboutir. Tant en Italie qu'en Albanie, les organisations de défense des droits humains critiquent le projet”, tempère Matteoni. “L'opposition au Parlement a également critiqué les plans en les qualifiant de mesures populistes et en mettant en garde contre leur coût, qui s'élève actuellement à environ 800 millions d'euros, mais qui devrait augmenter. Des politiciens de l'opposition ont en outre évoqué le risque de création d'un ‘Guantánamo italien’”. Matteoni pointe également du doigt les carences légales du projet, le cadre réglementaire européen obligeant les procédures d'asile européennes à se dérouler sur le territoire de l'UE.

Quid du pacte sur la migration et l’asile ?

Externaliser les frontières européennes, en suivant l’exemple de l’Italie en Albanie ou du Royaume-Uni en Rwanda pourrait se révéler être le chemin le plus viable pour l’Union européenne. Toucher au pacte sur la migration et l’asile – un paquet législatif décidé après des années de discussions et devant entrer en vigueur en 2026 – semble inenvisageable à ce stade. Dalia Frantz, responsable des questions européennes pour l’association La Cimade, le résume bien dans un entretien publié par nos soins. Frantz rappelle avec justesse que l’échelon européen n’est pas le seul en jeu. “Evidemment, ce sera aussi au niveau national que l’extrême droite pourra agir.” 

En effet, alors que le Parlement européen pourrait être amené à contempler d’autres accords d’externalisation à l’avenir, certains Etats membres ont déjà pris la question en main. En Pologne, la réinstallation d’une zone tampon interdite d’accès à sa frontière avec la Biélorussie a été vertement critiqué par un groupe d’associations dans une lettre ouverte au ministre adjoint de l’Intérieur et de l’Administration Maciej Duszczyk, publiée par Krytyka Polityczna. Pendant ce temps, la Finlande se prépare – loin des yeux du public international – à acter la fermeture de sa frontière avec la Russie, dans un contexte d’augmentation de la “migration instrumentalisée”, comme le rappelle Ana P. Santos pour InfoMigrants.

Comme l’avait souligné Ciarán Lawless dans une revue de presse publiée voilà quelques semaines dans nos colonnes, un nouveau centre politique tend à se dessiner, incarnée par des personnalités marquées à gauche mais se prononçant en faveur d’une politique migratoire plus forte. 

Si droite, gauche et centre tendent à se rassembler aujourd’hui, c’est autour d’un consensus naissant – et pas près de disparaitre – concernant la nécessité d’une lutte contre la migration. Les interrogations quant aux respects des droits humains et à la justesse des moyens dégagés pour restreindre les entrées sur le sol européen semblent plus que jamais hors de propos.

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