Décryptage Société civile et extrême droite | Italie

La société italienne toujours pas “apprivoisée” par le gouvernement le plus à droite depuis l’après-guerre

Le gouvernement d'extrême droite dirigé par Giorgia Meloni est marqué depuis le début par la répression – contre la migration, contre la communauté LGBTQIA+, contre les militants pour le climat, contre les manifestations de dissidence. Si son discours est devenu dominant, une importante partie de la société italienne résiste toujours.

Publié le 30 avril 2024 à 14:31

Le 25 octobre 2022, lors de son discours inaugural devant la Chambre des députés italienne, la Première ministre nouvellement élue Giorgia Meloni déclarait : "Je pourrai difficilement ne pas ressentir un élan de sympathie, même pour ceux qui descendront dans la rue pour contester les politiques de notre gouvernement".

Les manifestations, selon Meloni elle-même, ont également marqué son histoire politique. Rappelant son passé de jeune militante des organisations de jeunesse de la droite post-fasciste italienne, Meloni a réitéré : "J'ai participé et organisé tant de manifestations dans ma vie, et je pense que cela m'a appris beaucoup plus que d'autres choses".

Cependant, à l'épreuve des faits, la "sympathie" pour les manifestants et les protestataires s'est révélée être ce qu'elle est : de la propagande. En effet, le gouvernement Meloni et la majorité parlementaire menée par son parti de droite radicale – Fratelli d'Italia, FdI–  ont essayé de réprimer et de criminaliser toute dissension dès le début.


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La première mesure officielle, par exemple, a été le soi-disant "décret anti-rave" du 31 octobre 2022. Exploitant la tenue contestée d'une rave party à Modène, une ville du nord de l'Italie, l'exécutif a introduit un nouveau délit qui prévoit des peines assez élevées – de 3 à 6 ans d'emprisonnement – pour ceux qui organisent et promeuvent des "rassemblements dangereux pour l'ordre public".

Face aux critiques de l'opposition et de divers juristes, Meloni avait déclaré que "nous ne sommes plus la république bananière" et qu'en Italie "les choses peuvent se faire en respectant les règles et les lois de l'Etat italien".

À partir de ce moment-là, il y a eu une escalade de mesures du même ordre. L'un après l'autre, des décrets ont été approuvés pour contrer l'immigration et restreindre davantage la possibilité d'entrer légalement en Italie et pour entraver les navires des ONG effectuant des sauvetages en Méditerranée centrale ; le Parlement a voté des lois punitives ciblant spécifiquement les activistes climatiques et un "paquet sécurité" qui augmente considérablement les peines pour diverses infractions mineures, y compris les barrages routiers.

Ont suivi diverses propositions de députés de Fratelli d'Italia qui vont dans un sens encore plus répressif, notamment celle visant à instituer le crime de "terrorisme de rue" pour les manifestations les plus houleuses et l'amendement du crime de torture, introduit seulement en 2017 et considéré comme un obstacle au travail des forces de l'ordre.

Les actions concrètes contre la communauté LGBTQIA+ n'ont pas manqué non plus, comme l'interdiction d'enregistrer à l'état civil les enfants de couples de même sexe ordonnée par une circulaire du ministre de l'Intérieur Matteo Piantedosi. Il s'agit de ne pas pouvoir transcrire les actes de naissance des enfants de couples de même sexe conçus à l'étranger par gestation pour autrui (GPA), dont le gouvernement et la majorité veulent notamment faire un délit universel.

En résumé : le gouvernement Meloni attaque résolument tous ceux qu'il perçoit comme des "ennemis", ou qui peuvent représenter un obstacle à la réalisation de son programme politique.

Comment ces “ennemis” réagissent-ils ?

Bien qu'il n'y ait pas de mouvement de masse unifié, comme on le voit par exemple en Allemagne contre Alternative für Deutschland (AfD), l'opposition au gouvernement et à l'extrême droite s'est manifestée sous différentes formes et à différentes occasions.

"Il y a eu des protestations contre la répression du gouvernement et des protestations sur des politiques spécifiques, comme sur les questions liées au travail ou à la violence contre les femmes", a déclaré à Voxeurop Donatella Della Porta, enseignante à l’Ecole Normale Supérieure de Pise et directrice du groupe de recherche interdisciplinaire Cosmos (Centre d'études sur les mouvements sociaux). "Ce sont des initiatives qui ont toujours existé, mais avec la présence d'un exécutif comme celui de Meloni, elles ont revêtu des caractéristiques plus nettement antigouvernementales que par le passé", a-t-elle précisé.

Ces deux dernières années, par exemple, l'habituelle marche féministe du 25 novembre – organisée à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes par le mouvement féministe Non Una Di Meno – a également visé le gouvernement Meloni, accusé de ne rien faire pour contrer la culture patriarcale en Italie et d'avoir réduit les fonds de l'Etat pour la prévention de la violence à l'égard des femmes.


le gouvernement Meloni attaque résolument tous ceux qu’il perçoit comme des “ennemis”, ou qui peuvent représenter un obstacle à la réalisation de son programme politique


Les manifestations pour le climat, menées par des groupes tels que Ultima Generazione (un mouvement inspiré par les tactiques non violentes de Just Stop Oil), ont également critiqué l'inaction du gouvernement sur le front de la crise climatique, exigeant – entre autres – une augmentation des sources d'énergie renouvelable et l'annulation des projets de nouveaux forages pour le gaz naturel.

En réponse, l'exécutif et la majorité parlementaire ont adopté une loi spéciale contre ce que l'on appelle les "écovandales", prévoyant des peines assez lourdes (jusqu'à six ans de prison) pour les personnes qui causent des dommages au patrimoine culturel ou paysager.

Le principal mode d'action de Ultima Generazione, qui consiste à taguer avec de la peinture lavable des statues et des monuments, ainsi que des actions similaires dans les musées pour sensibiliser le public, était ainsi visé. Pour échapper à la répression croissante – faite de lois ad hoc, justement, mais aussi de dépôts de plaintes et de poursuites pénales – le mouvement a été contraint d'employer des tactiques moins radicales.

Les choses se sont toutefois mieux passées pour une série de "familles arc-en-ciel" – c'est-à-dire des couples de parents du même sexe – de Padoue, une ville du nord-est de l'Italie, qui ont mené une bataille juridique pour garantir les droits de leurs enfants. Début mars 2024, en effet, le tribunal a reconnu la validité des actes de naissance de 35 mineurs que le Parquet voulait annuler sur la base de la circulaire précitée du ministre Piantedosi.

Pour en revenir à l'extérieur des salles d'audience, qui restent néanmoins l'un des principaux champs de bataille, les manifestations les plus fréquemment organisées et les plus suivies  ont sans aucun doute été celles liées au conflit israélo-palestinien. Selon les données du ministère de l'Intérieur, il y a eu plus de 1 000 manifestations en soutien aux Palestiniens et appelant à un cessez-le-feu depuis le 7 octobre.

Pour le professeur Della Porta, "ces manifestations auraient eu lieu même s'il y avait eu un gouvernement de centre-gauche", mais la présence d'un gouvernement de droite a poussé "différents acteurs à se mettre en réseau" – des associations palestiniennes en Italie aux mouvements sociaux de gauche, en passant par les syndicats, les partis et les étudiants.

Cette dernière catégorie a toujours été en première ligne ces derniers mois, et a parfois subi une dure répression policière. Le cas le plus controversé s'est produit le 23 février 2024 à Pise, lorsqu'un cortège de lycéens – parmi lesquels plusieurs mineurs – a été violemment attaqué par des policiers.

Les vidéos montrant de jeunes étudiants – dont certains n'étaient guère plus que des adolescents – se faire matraquer par des agents en tenue anti-émeute ont profondément choqué l'opinion publique, provoquant même une intervention sévère du président de la République, Sergio Mattarella, qui, dans une note officielle, a déclaré qu'"avec les jeunes, les matraques sont l'expression d'un échec".

Dans un certain sens, dit Della Porta, avec les violences de Pise, "le point culminant de la tentative de voir jusqu'où on pouvait aller a été atteint". Celles-ci ne semblent toutefois pas près de s'éteindre, bien au contraire.

Est apparue une nouvelle génération très sensible aux questions politiques et sociales", conclut la professeure Della Porta, et plus généralement "nous ne sommes pas dans un moment de faible mobilisation". En bref, la société civile italienne "n'est pas apprivoisée" par le gouvernement le plus à droite de l'histoire républicaine.

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