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Violence, discours haineux et politique conservatrice : vivre dans une société foncièrement transphobe

La montée en puissance du conservatisme – souvent teinté de religion – s’accompagne d’une multiplication des discours haineux et des attaques à l’encontre des personnes LGBT+. Les personnes transgenres et intersexes font tout particulièrement les frais de cette panique morale.

Publié le 21 octobre 2025

En avril 2025, une décision de la Cour suprême anglaise a déterminé que la définition juridique d'une femme reposait sur le sexe biologique, provoquant une vague de discriminations et faisant peser la menace de nouvelles restrictions pour les personnes transgenres. 

Plus récemment, les tentatives de la part des conservateurs de connecter le meurtre du commentateur américain d’extrême droite Charlie Kirk aux personnes transgenres – sans preuve tangible – met en lumière la gymnastique intellectuelle à laquelle s’adonnent certains réactionnaires pour justifier l’offensive en cours sur les droits humains des minorités de genre. 

Des côtes anglaises au pays de l’Oncle Sam, cette multiplication des attaques envers les personnes transgenres et intersexes est accompagnée par une couverture médiatique souvent insuffisante et caricaturale, sinon complice.

La violence, elle, est bien réelle

Sur un total de 98 272 personnes LGBT+ résidant dans l’UE, 36 % déclarent avoir été discriminés sur base de leur identité sexuelle ou de genre en 2023, selon des chiffres de l’Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA) publié en 2024. 

Les taux de discriminations sont particulièrement élevés pour les femmes transgenres (64 %), les hommes transgenres (63 %), les personnes intersexes (56 %) et les personnes non-binaires diverses de genre (51 %).

En France, “la transphobie se classe dans le ‘top 3’ des LGBTIphobies recensées par [l’organisation] SOS homophobie”, selon le rapport publié en 2025 par cette dernière. En 2025, celle-ci a recensé 371 cas de transphobie sur 1624 actes LGBTphobes (23 %) dans le pays. Les actes les plus récurrents impliquent du rejet (57 %), des insultes (26 %), de la discrimination (14 %), du harcèlement (13 %) et des menaces (10 %). Les agressions physiques représentent 8 % des manifestations.

En Espagne, une série d’agressions transphobes commises ces derniers mois révèlent l’accroissement de l’hostilité envers les personnes transgenres. En juin 2025, une femme transgenre a été agressée par cinq personnes dans le quartier de Sant Antoni de Barcelone. Elles l'ont frappée, traînée sur le sol et ont filmé l'agression pour la partager sur les réseaux sociaux, ce qui a conduit à leur arrestation.

La Fédération nationale espagnole des personnes lesbiennes, gays, transgenres, bisexuelles, intersexes et autres (FELGTBI+) rapporte qu'au cours de l'année dernière, une personne transgenre sur quatre a été victime d'agressions physiques ou sexuelles (26,70 %), 35,60 % ont subi du harcèlement et 37,80 % ont été victimes de discrimination. 

Les faits de violence se constatent également au niveau régional, par exemple, en Catalogne, le nombre d'agressions enregistrées en 2024 par l'Observatoire contre la LGBTIphobie a atteint des niveaux historiques : 318 incidents enregistrés par l'entité depuis le début de la collecte de données, dont 25,8 % contre des personnes transgenres. Cela représente une augmentation de 4,9 % par rapport à 2023 et de 34,1 % par rapport à 2022. 

Une étude menée par l’Institut de santé Carlos III rapporte que près de la moitié des personnes transgenres et non binaires ont été agressées physiquement à un moment donné de leur vie, laissant des séquelles psychiques graves. Selon le rapport, environ la moitié des personnes touchées ont eu des pensées suicidaires après avoir subi des violences ou de la transphobie.

En Irlande, une enquête financée par le gouvernement sur l'attitude de la population envers la diversité en 2023 révèle que le répondant moyen a une attitude extrêmement positive envers les personnes transgenres. À en croire les statistiques publiées par la police nationale irlandaise, les crimes haineux liés au genre seraient restés à un niveau relativement faible

Cette dernière recensait 25 cas en 2022, 38 en 2023 et 17 en 2024. Mais cette apparente situation favorable doit être nuancée car, comme le note la FRA dans son rapport, on observe une “tendance persistante au sous-signalement des crimes motivés par des préjugés”. L’Agence précise par exemple qu’en Irlande, 11 % des personnes interrogées déclarent avoir signalé les incidents de harcèlement motivés par la haine dont elles ont été victimes au cours de l'année précédant le sondage à une autorité ou à une organisation. “16 % [des personnes LGBT+ interrogées et victimes de violence] se sont rendues à la police en Irlande pour signaler des agressions physiques ou sexuelles motivées par la haine. Ce chiffre est de 11 % dans l'Europe des Vingt-Sept”.

Le rôle des médias

Anaïs Perrin-Prevelle est directrice d’OUTrans, une association féministe d'autosupport trans basée à Paris. Pour elle, la situation en France est particulière par rapport aux autres pays européens : “On remarque que les pays qui sont derrière ou à côté de nous dans [certains classements traitant de la transphobie] sont des pays où on a vu de grandes gouvernementales campagnes anti-trans”. Quelque chose qui, selon la directrice, n’a pas eu lieu dans l’Hexagone – qui, pourtant, entretient son propre climat transphobe. Une atmosphère pesante qui serait donc davantage due, selon elle, a un “bruit politico-médiatique” nourri par les personnalités politiques mais aussi par les médias.

Selon l’organisation SOS Homophobie, la surmédiatisation de la transidentité participe à la multiplication des discours de haine en France, 50 % des témoignages récoltés dans sa catégorie “Médias” relevant de la transphobie. 

Ce pourcentage peut s’expliquer par le fait que la plupart des médias évoquant la transidentité relaient la parole de militant·es transphobes notoires plutôt que de s’entretenir avec des personnes concernées”, explique le rapport. “Entre complotisme, stigmatisation et dégoût, les transphobes semblent déterminé·es à mettre les personnes trans au cœur du débat politique et social”. 

L’enracinement des idées LGBTphobes a pu être constaté lors de plusieurs épisodes étalés entre 2024 et 2025 : on se souvient de la polémique provoquée par la présence de la boxeuse algérienne Imane Khelif aux Jeux olympiques de Paris (“suspectée” à tort d’être une femme transgenre, et donc accusée ne pas avoir sa place dans la compétition). 

À l’occasion de la journée internationale de la visibilité transgenre, qui a lieu le 31 mars, l’Association des journalistes lesbiennes, gays, bi•e•s, trans et intersexes (AJL) rappelait au monde médiatique ses responsabilités. “Nous attendons de nos consoeur·frères un traitement responsable et respectueux des personnes, loin des emballements sensationnalistes, de la curiosité malsaine et de la désinformation”, annonçaient-ils. “Nous appelons de nos vœux une parole donnée aux concerné·es, trop souvent rendu·es inaudibles ou jeté·es en pâture dans des émissions qui se veulent ‘divertissantes’”. L’AJL déclarait attendre des journalistes “une immense rigueur [...], notamment dans le choix de leurs interlocuteur·ices pour leur domaine d’expertise”.


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Si Anaïs Perrin-Prevelle reconnaît l’importance du traitement médiatique, on ne peut pas, selon elle, faire l’impasse sur l’influence des réseaux sociaux pour comprendre la transphobie. Sur certaines plateformes, il n’est pas rare que les contenus transphobes soient bien plus mis en avant que les contenus représentant les personnes transgenres positivement. Ce qui, pour la directrice d’OUTrans nourrit un bruit de fond installant une peur. “J’aime beaucoup me référer à l’étymologie, et la transphobie c’est, littéralement, la peur des personnes trans. Nous vivons dans une société étymologiquement transphobe.

L’actualité espagnole a également été marquée par plusieurs déclarations publiques ou décisions politiques perçues comme autant d’atteintes aux droits des personnes LGBT+. En 2023, l’Assemblée de Madrid a voté une proposition visant à modifier et à abroger une grande partie des lois LGBT+ de la communauté autonome, marquant, selon l’ONG Amnesty International, un “grave recul en matière de droits humains”.

Plusieurs personnalités espagnoles ont été visées par des remarques transphobes. En 2021, un député du parti d’extrême droite Vox a fait référence à la députée transgenre Carla Antonelli (PSOE, centre gauche) en utilisant des pronoms masculins.  

En Irlande, les déclarations critiques des questions de genre sont circonscrites, pour l’heure, aux marges de la sphère politique et ne sont du fait que d’une poignée de politiciens au sein du Dáil (Chambre basse) et du Seanad (Chambre haute) irlandais. Le Dáil a récemment réservé du temps pour des déclarations sur la Pride, et les politiciens de presque tous les grands partis politiques ont exprimé leur soutien aux personnes transgenres. 

Depuis 2022, un enseignant irlandais proteste contre sa suspension d'un établissement secondaire, malgré une décision de justice lui enjoignant de rester à l'écart de l’établissement et plusieurs séjours en prison pour avoir enfreint cette interdiction. L'enseignant affirme avoir été suspendu pour avoir refusé d'utiliser le pronom neutre préféré par un élève transgenre, mais il s'agit là d'une présentation erronée des faits. Malgré cela, l'enseignant a été utilisé par certains membres du mouvement d'extrême droite/anti-trans pour diffuser des informations incorrectes et promouvoir leur programme conservateur contre le “wokisme” supposément importé des Etats-Unis. 

La visibilité, un impératif

Je mets au défi n’importe quelle personne dans la rue de citer ne serait-ce qu’une personne trans !”, lance Anaïs Perrin-Prevelle d’OUTrans. Elle regrette le rendez-vous manqué, en France, de la visibilité des personnes transgenres : en dehors de cercles restreints, les transidentités restent, selon elle, bien trop lointaines. Pourtant, ce manque de représentation dans les médias français, la culture ou la politique participe au climat transphobe. 

L’acceptation des transidentités est également impactée par les récits médiatiques les plus courants concernant la transidentité, qui font la part belle aux souffrances ou aux procédures médicales vécues par les personnes transgenres. Anaïs Perrin-Prevelle se souvient de rencontres avec des parents d’adolescents transgenres pour qui transidentité rime avec précarisation, souffrance et insécurité. S’il est nécessaire de rappeler que les personnes trans subissent effectivement des discriminations ou de l’isolement, “il faut également lutter contre ce récit de paria de la société” auquel se résume souvent les existences trans.

Visibiliser les personnes transgenres, oui, mais dans toute leur diversité. “Il faut montrer la possibilité d’exister” soutient Anaïs, soucieuse de montrer des existences transgenres diverses, car “la visibilité n’est pas absolue, elle doit être multiple”. C’est en cela, pour elle, que les médias ont un rôle à jouer.

Pour la directrice d’OUTrans, le travail dépasse cependant le cadre du milieu médiatique. Face à l’ampleur de la tâche et au manque de personnel, elle estime que le soutien aux associations luttant contre la transphobie et pour les droits des personnes transgenres doit s'inscrire dans la durée. Elle appelle également le gouvernement à réellement appliquer les lois anti-discriminations.

🤝 Cet article a été réalisé dans le cadre du projet PULSE, une initiative européenne visant à soutenir les collaborations journalistiques transfrontalières. Conor O’Carroll (The Journal Investigates, Irlande) et Ana Somavilla (El Confidencial, Espagne) ont contribué à sa rédaction.
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