Actualité Transport ferroviaire
La gare de Berney Arms, près de Norfolk (Royaume-Uni).

À quelle distance est la gare la plus proche ?

On n’a jamais autant voyagé en train qu’en 2019. Mais est-il facile pour les Européens de se rendre à pied à la gare pour prendre un train jusqu’à la capitale de leur pays ? Au moment où que les Européens s'apprêtent à prendre d'assaut les gares pour la pause de fin d'année, EDJNet a simulé plus de 40 millions de trajets vers plus de 20 000 gares pour tenter de répondre à cette question.

Publié le 20 décembre 2019 à 15:58
La gare de Berney Arms, près de Norfolk (Royaume-Uni).

Il semblerait que les Européens n’aient jamais autant voyagé en train. Selon les dernières statistiques d’Eurostat, au cours du deuxième trimestre de cette année, au moins 2,4 milliards de passagers ont pris le train dans un pays de l’Union européenne, et ce nombre ne cesse de croître. Certains médias expliquent cette augmentation soudaine des déplacements en train par le “flygskam” — ce terme, qui signifie littéralement la “honte de voler”, désigne le fait de dénoncer et de boycotter les déplacements en avion pour des raisons environnementales. Il existe bien sûr des différences entre les pays à ne pas négliger, mais depuis de nombreuses années la tendance générale est à la hausse du nombre de passagers dans les trains européens et 2019 ne semble pas faire exception.

En 2012, des chercheurs du Transportation Research Group dirigé par le professeur John Preston de l’Université de Southampton ont publié une liste de 37 barrières qui incitent à ne pas prendre le train. Certains obstacles sont faciles à identifier et s’appliquent à tous les voyageurs tandis que d’autres sont plus flous et dépendent davantage des préférences individuelles des voyageurs.

L’une des principales barrières est ce que nous appelons l’accessibilité, c’est-à-dire la proximité d’une gare avec le lieu d’habitation ou de travail. Si la gare est éloignée ou si le train ne permet pas de vous emmener à votre lieu de destination, vous n’allez tout simplement pas choisir cette option. Mais la question de l’accessibilité ne se limite pas à cela. Les chercheurs ont montré qu’il existe deux types de distances qui nous influencent lorsque nous choisissons un mode de transport : la distance physique et la distance psychologique.

Dans cet article, nous utiliserons deux unités différentes pour évoquer la distance : les kilomètres et les pas. En d’autres termes, nous nous concentrerons sur la distance physique. Nous essaierons d’étudier à la fois les personnes qui vivent à proximité et celles qui vivent loin d’une gare et nous montrerons ce que ces deux groupes ont en commun et ce qui les différencie. Néanmoins, nous sommes conscients que les distances ne sont pas uniquement des valeurs numériques. La distance pour se rendre jusqu’à une gare dépend de facteurs tels que les handicaps moteurs, l’accessibilité des espaces publics ou encore la météo, pour n’en nommer que quelques-uns. Elle peut aussi être fonction du temps de parcours — si la totalité de votre voyage dure 5 heures, 20 minutes de marche jusqu’à la gare ne semblent pas excessives. S’il s’agit d’un trajet de 20 minutes, une marche de 10 minutes peut paraître déraisonnable.

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Un kilomètre peut représenter une grande distance pour certains tandis qu’il s’agit d’une promenade pour d’autres. Pour avancer dans notre analyse, nous établirons cependant que les personnes pouvant atteindre une gare en moins de 1 000 pas (soit environ 800 mètres) sont “extrêmement bien connectées” au réseau ferré, celles qui vivent à 5 000 pas sont “très bien connectées" et celles qui sont à moins de 10 000 pas sont seulement "bien connectées”. Si vous habitez à plus de 30 000 pas d’une gare, soit plus de 24 kilomètres, nous considérerons que vous êtes “mal connecté”.

Pour planter le décor, imaginons que vous vous rendiez à l’extrême nord du comté de Västerbotten, dans le nord de la Suède, l’un des pays les plus riches de l’Union européenne. Vous allez dans le nord (mais c’est encore loin du véritable grand nord, comme le diraient les gens qui y vivent). Avançons rapidement (sinon nous allons y passer la journée) et vous voilà arrivé dans la commune de Storuman. Située autour du lac du même nom, elle n’aurait peut-être pas été la principale ville de la région sans la gare qui y a été construite au début du XXe siècle. Il est donc quelque peu paradoxal que les habitants de Storuman soient plus éloignés d’une gare leur permettant de rejoindre la capitale (c’est-à-dire une gare nationale) que n’importe quel autre habitant de la partie continentale de la Suède.

La gare de Storuman est toujours en service : il y passe chaque été des trains voyageant le long de l’Inlandsbanan. Or, l’Inlandsbanan n’est plus utilisé comme transport public depuis 1992. De nos jours, il est principalement fréquenté par les touristes qui souhaitent visiter l’intérieur des terres. En Europe, il existe de nombreuses gares comme celle de Storuman. Et si la gare de Storuman est toujours ouverte, bien que par intermittence, d’autres n’ont pas eu autant de chance.

Etant donné que nous analysons l’accessibilité, nous inclurons uniquement les gares pertinentes, c’est-à-dire celles qui peuvent réellement être utilisées pour voyager. Habiter près d’une gare telle que celle de Storuman, c’est bien, mais puisque l’on ne peut voyager à partir de cette gare, nous n’en tiendrons pas compte. Décidons donc qu’une gare ferroviaire pertinente est une gare à partir de laquelle on peut voyager en train jusqu’à la capitale de son pays. Nous prenons en compte les trajets avec correspondance sauf s’ils incluent un autre mode de transport tel que le bus, le tramway ou le taxi.

Nous avons analysé l’accessibilité de 410 millions de personnes dans 16 pays européens et plus de 22 000 gares. Nos estimations montrent que la plupart des habitants de ces pays résident à une distance comprise entre 2 (République tchèque) et 12 km (Croatie) de la gare ferroviaire la plus proche.

Il y a évidemment des pays où l’accessibilité est meilleure que dans d’autres. Mais la conclusion générale de nos estimations est que les gares sont facilement accessibles à la majorité des habitants des pays étudiés. Sur l’ensemble des 410 millions de personnes prises en compte dans nos analyses, 350 millions peuvent atteindre une gare en 10 000 pas ou moins. La grande majorité des personnes de notre base de données sont “bien connectées” (nous ne tenons pas compte ici de la qualité des services).

En République tchèque, au Royaume-Uni, en Belgique et en Allemagne, 9 personnes sur 10 ont moins de 10 000 pas à faire pour atteindre une gare d’où ils peuvent prendre le train jusqu’à la capitale. Si on enlève la Belgique et la remplace par l’Autriche et le Danemark, on obtient une liste de pays où plus de 2 habitants sur 10 vivent à moins de 1000 pas d’une gare : ces personnes sont “extrêmement bien connectées” au réseau ferroviaire.

D’après nos analyses, le nombre de personnes “mal connectées” (c’est-à-dire les personnes ayant au moins 30 000 pas à faire pour atteindre une gare) est très faible. Dans 6 des 16 pays que nous avons examinés, il est même presque nul. En proportion par rapport au nombre d’habitants, les personnes “mal connectées” se trouvent principalement en Croatie, Finlande, Bulgarie, Suède et au Portugal.

Sur le graphique précédent, vous avez probablement remarqué les pays que nous avons mentionnés, à la fois pour leur bonne et mauvaise accessibilité. Regardez de plus près et vous verrez autre chose (graphique suivant) : il semble y avoir au sein de chaque pays un émiettement des différentes catégories.

Vous souvenez-vous des habitants de Storuman ? Ils apparaissent en haut du graphique pour la Suède. Les différences les plus importantes peuvent être observées dans des pays comme la Finlande, la Suède, la Croatie, le Portugal, l’Italie et le Royaume-Uni. Mais même dans un endroit comme la République tchèque, il y a des personnes qui vivent plus loin d’une gare que d’autres. C’est un truisme mais cela vaut la peine d’être souligné et cela nous amène à notre dernière question.

Arrêtons-nous ici une seconde. 410 millions de personnes, cela représente beaucoup de monde. Environ 73 millions d’entre elles vivent à la campagne, et certains pays sont plus ruraux que d’autres.

Dans les zones urbaines, au moins 8 personnes sur 10 peuvent atteindre une gare en moins de 10 000 pas dans tous les pays que nous avons analysés. Elles sont “bien connectées”. Au Danemark, 99 % des personnes qui vivent dans l’une des deux zones urbaines du pays peuvent rejoindre une gare en moins de 5 000 pas. Elles sont “très bien connectées”. Cela contraste avec nos estimations concernant les zones rurales : la République’ tchèque et la Belgique sont les seuls Etats membres où 8 individus sur 10 sont “bien connectés”.

Environ 7,7 millions de personnes habitent à plus de 30 000 pas d’une gare leur permettant de rejoindre la capitale de leur pays. Plus de 4 millions d’entre elles vivent dans des zones rurales. Elles sont "mal connectées". 6 % de la population rurale de l’Europe sont “mal connectés”, alors que ce problème ne concerne que 0,3 % de la population des zones urbaines et un peu moins de 2 % des habitants des zones intermédiaires.

Lire et écrire de telles statistiques nous conduit facilement à des conclusions aberrantes. A raison de 10 000 pas par jour, marcher du centre de Storuman jusqu’à Lycksele, la gare ferroviaire la plus proche, prend au moins 15 jours ; il est beaucoup plus rapide de se rendre directement à l’aéroport.

Et Storuman n’est pas le seul endroit où l’on trouve des distances extrêmes. Prenons par exemple le village de Nuorgam dans la partie la plus septentrionale de la Finlande. Si l’un des 200 habitants se rend à Helsinki, il doit d’abord parcourir plus de 400 kilomètres jusqu’à la petite ville de Kolari. Il pourrait plutôt choisir de parcourir la moitié de cette distance puis de prendre l’avion depuis Ivalon lentoasema, l’aéroport le plus au nord de l’Union européenne.

Nous trouvons une situation similaire dans la ville croate de Dubrovnik. Les habitants devraient-ils prendre un avion pour Zagreb ou parcourir plus de 150 kilomètres jusqu’à Split pour y aller en train? Et voyager en Bosnie-Herzégovine ? Cela n’est plus possible, car la liaison ferroviaire Sarajevo-Zagreb a été suspendue en 2016.

Il ne faut pas oublier les habitants de Storuman, Nuorgam ou Dubrovnik. Ils font partie de ces millions de personnes qui vivent dans des endroits où l’accessibilité ferroviaire est faible, principalement dans les régions rurales. Ces régions sont souvent désavantagées en termes d’accès à d’autres services publics, tels que les maternités ou les établissements d’enseignement secondaire et supérieur. Et cela ne risque pas de changer de sitôt. Au cours des dernières années, des lignes entières de chemin de fer ou des sections de lignes ont été fermées (comme dans la péninsule du Péloponnèse en Grèce et à Trás-os-Montes au Portugal). Dans d’autres cas, leur fermeture est envisagée (comme c’est le cas dans de nombreuses zones rurales en France).

Pour les habitants des régions concernées, les trains peuvent tout simplement ne pas être une option. Mais ce sont des cas particuliers qui sortent des données. Nos données montrent que pour l’essentiel les réseaux ferroviaires des 16 pays que nous avons examinés desservent la grande majorité des citoyens qu’ils sont censés atteindre. Les chemins de fer ont un grand potentiel et, pour la majorité des gens qui vivent dans les pays, l’accessibilité en termes de distance physique n’est pas un obstacle susceptible de les empêcher de prendre le train. Si la fermeture des lignes continue, cela pourrait bien sûr changer.

Maintenant, l’accessibilité n’est pas tout. Notre analyse ne prend pas en compte la qualité des voies ou des trains. Et, comme nous l’avons dit plus haut, il y a au moins 37 barrières plus ou moins lourdes qui nous empêchent de choisir le train.

Notes

Cette analyse porte sur les pays suivants : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, le Danemark, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Slovénie, la Suède, la Tchéquie et le Royaume-Uni. Les raisons de ce choix se trouvent dans la section Méthodologie. Les gares du nouveau réseau léger danois Letbanen n'ont pas été prises en compte, car elle n'étaient pas intégrées au réseau européen des gares au moment où nous livrions cet article.*

Cet article est le résultat d’un projet collaboratif au sein du Réseau européen de data-journalisme (EDJNet). Recherche et texte de J ++ (lien), coordonnés et édités par OBC Transeuropa. Contributions de Der Spiegel (Allemagne), VoxEurop (France), BiQdata (Pologne) et LocalFocus (Pays-Bas).

Le pourquoi et le comment

Méthodologie

Cet article tente de répondre à une question apparemment simple : dans quelle mesure les citoyens européens peuvent-ils facilement prendre le train et qu’est-ce qui explique les différences au sein des pays ? Pour essayer de répondre à cette question, nous avons examiné deux critères objectifs : la distance jusqu’aux gares et la proportion de personnes bien connectées au réseau ferroviaire (moins de 10 000 pas jusqu’à une gare) par rapport à celles qui sont mal connectées (plus de 30 000 pas jusqu’à une gare).

L’éloignement de la gare la plus proche nous indique la distance à parcourir tandis que l’autre mesure nous donne une idée du nombre de personnes qui doivent prendre une voiture, un autobus ou un taxi pour se rendre à la gare. La limite de 30 000 pas est arbitraire, mais basée sur l’hypothèse que vous n’êtes pas susceptible de parcourir cette distance juste pour prendre le train.

Nous n’avons trouvé aucune source, officielle ou non, contenant des données pour les pays européens sur les distances jusqu’aux gares ou des chiffres sur le nombre de personnes vivant à proximité d’une gare. Cela signifie que nous avons dû rassembler ces données nous-mêmes.

Problèmes d'ordre général liés à la qualité de nos données

Nous n’avons trouvé aucune source internationale ou régionale ouverte, privée ou autre, contenant une liste exhaustive des gares à travers l’Europe. Si vous êtes intéressé par ce sujet, vous disposez, comme nous l’avons vu plus haut, de quatre alternatives : HAFAS (HaCon Fahrplan-Auskunfts-System), RINF (Registre européen des infrastructures), les autorités nationales ou l’une des listes issues de contributions participatives du public disponibles en ligne.

HAFAS est un système de réservation développé par Hannover Consulting, filiale privée de Siemens. L’avantage de HAFAS est que bon nombre de grands transporteurs dans les pays européens l’utilisent sur leurs sites de réservation. L’inconvénient est qu’il est privé et que la société ne publie pas sa liste de gares - vous devez créer la vôtre. Faire cela n’était pas une option viable pour nous, et comme nous l’avons réalisé, la qualité des données dans HAFAS est inégale. Non seulement les gares de régions entières sont absentes dans certains cas, mais l’emplacement de la gare est parfois complètement décalé.

Le registre européen des infrastructures est tenu par l’Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer et chaque État-membre (ainsi que la Norvège et la Suisse) est censé déclarer les gares sur son territoire (et autres informations relatives aux chemins de fer) dans la base de données. Le RINF est, à notre connaissance, la liste officielle la plus complète des gares dans toute l’Europe. Nous avons déterminé que le RINF était la meilleure solution pour trouver commodément les données individuelles des États. Avec le recul, nous avons remarqué que la couverture des chemins de fer privés dans le RINF était lacunaire pour certains pays. Vous pouvez en savoir plus sur RINF ici: https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=uriserv:OJ.LI.2019.139.01.0312.01.ENG&toc=OJ:L:2019:139I:TOC
Les listes de contributions participatives ne sont pas une mauvaise alternative, mais comme nous avions besoin de vérifier s’il était possible de partir depuis une gare spécifique, nous devions nous appuyer sur le nom et les coordonnées correspondant à une autre source (dans notre cas HAFAS), c’est pourquoi nous avons conclu qu’une source officielle était plus appropriée.

Une autre difficulté avec nos données est que la grille de population que nous utilisons pour le nombre d’habitants en Europe date de 2011. Sans aucun doute, les populations ont augmenté et les pays ont continué à s’urbaniser depuis, mais ce sont les derniers chiffres disponibles.

Davantage de détails sur la méthodologie, ainsi que des questions-réponses sur cette enquêteici.

Cet article est publié en partenariat avec the European Data Journalism Network

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