A Rome, le sauvetage n’est plus tabou

En dépit des annonces rassurantes du gouvernement, le Trésor italien étudie déjà les modalités d’un plan d’aide. Son objectif : trouver une solution indolore, qui éviterait d’assimiler la troisième économie de la zone euro à la Grèce.

Publié le 15 juin 2012 à 15:18

Après l’Espagne, l’Italie. C’est l’idée que se sont faite les marchés financiers, et pas qu’eux d’ailleurs. “Nous avons imaginé trois scénario différents, dont celui d’un éventuel rééchelonnement de la dette publique en circulation”, a révélé à Linkiesta un fonctionnaire du Trésor italien, sous couvert d’anonymat. L’objectif, c’est d’“être prêts à tout, même au pire cas de figure”. Et donc aussi à l’arrivée de la troïka (Fond monétaire international, Banque centrale européenne, Commission européenne) qui soit viendrait contrôler les comptes publics, soit interviendrait à travers les financements. “Il n’y a pas encore de chiffrage précis, mais c’est certainement plus que ce qui a été dépensé pour la Grèce, l’Irlande, le Portugal ensemble” affirme le fonctionnaire. En clair, plus de 350 milliards d’euros.

L’Italie n’a pas demandé d’aide, mais si elle le faisait, l’Europe serait prête”. La déclaration de Maria Fekter, ministre autrichien des Finances, a rallumé ces jours-ci la querelle sur la prochaine victime de la crise européenne. Les commentaires d’Ed Parker, directeur de l’agence de notation Fitch, qui a souligné combien l’Italie est, en matière de risques financiers, bien différente de la péninsule ibérique — “Nous ne croyons pas qu’un sauvetage sera nécessaire.” — n’a pas servi à grand’chose.

Trois scénarios

Le Trésor a prévu trois scénarios, comme nous l’explique notre interlocuteur. Le premier, le plus optimiste, laisse entrevoir une lueur d’espoir pour l’Italie : union bancaire européenne, Fonds communautaire de garantie sur les dépôts bancaires, eurobonds et, par la suite, union fiscale complète. Voilà les étapes qui pourraient tranquilliser la situation de la zone euro. Si tout devait se dérouler selon ce scénario, l’Italie pourrait être sauvée. Certes, les obstacles sont nombreux. L’éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro, une aggravation de la crise espagnole ou une nouvelle dégradation de la note de l’Italie ne sont pas pris en compte dans ce scénario, qui s’appuie sur une vison figée de la situation, arrêtée à ce qu’elle était fin avril, c’est-à-dire quand le rendement des titres de la dette italienne à dix ans tournait autour de 5,5% [il a depuis dépassé 6%].

Le scénario le plus intéressant est le deuxième : “Si fin septembre le rendement des titres de la dette à dix ans reste proche de 6% ou supérieur, les difficultés — déjà sérieuses — que rencontre l’Italie pour se refinancer pourraient devenir insurmontables”, explique le fonctionnaire du Trésor. Dans ce cas, la troïka viendrait rendre visite à l’Italie, de même qu’elle s’est déjà rendue en Grèce, en Irlande et au Portugal. En même temps, l’aide financière commencerait à arriver afin de pourvoir aux besoins essentiels de l’Italie, celle-ci ayant de fait un accès réduit — voire plus d’accès du tout — aux marchés obligataires. Cela veut dire que, en gros, près de 770 milliards d’euros devraient être mis à la disposition de l’Italie, afin de couvrir les financements indispensables au budget italien entre 2013 et 2016.

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Cependant, un doute demeure. L’Italie a-t-elle besoin de restructurer sa dette, qui atteint presque les 2 000 milliards d’euros? La réponse est apportée par le scénario le plus extrême, le troisième. Il prévoit, entre autres choses, la sortie de la Grèce de la zone euro qui pourrait provoquer une hausse des taux d’intérêts de la dette italienne à dix ans à des niveaux supérieurs à 11, voire 12%. A ce moment-là, une restructuration de la dette italienne devient possible. Mais si ce devait être le cas, l’hypothèse de travail du Trésor est celle d’un report des échéances pour le paiement des titres émis au lieu d’une intervention invasive et désordonnée comme celle menée en Grèce en mars et avril dernier.

Eviter le pire

Comme pour l'Espagne, personne ne veut entendre parler de solution à la grecque. Cependant, toutes proportions gardées, c’est précisément de cela qu’il s'agit dans les discussions avec le FMI. Le plan d’action ne prévoit, pour le moment, aucune demande de soutien. “Cela nous serait fatal, en ce moment. Les sommets européens de la fin juin seront une date importante pour comprendre où va l’Europe”, affirme notre interlocuteur. Et, comme c’était à prévoir, il n’existe pas de chiffrage précis du volume d’une éventuelle intervention. “Comme chacun sait, l’Italie est trop grande pour être sauvée et trop grande pour faire faillite. Mais on sait aussi que tous les efforts possibles doivent être faits pour éviter le pire”, nous a dit un analyste du département “Fixed Income” du Crédit Suisse.

Les moyens pour limiter une éventuelle hémorragie italienne sont pour moitié européens, pour moitié internationaux. D’un côté, nous avons le Fonds européen de stabilisation financière (FESF), le Mécanisme européen de stabilisation financière (MESF) le Mécanisme européen de stabilité (MES) qui pourraient apporter un peu moins de 700 milliards d’euros. De l’autre, nous avons le FMI qui s’est dit prêt à porter à environ 335 milliards d’euros sa dotation pour aider à sortir de la crise européenne. On arrive à un total de presque 1 000 milliards d’euros.

Le soutien financier à l’Italie pourrait donc être multilatéral et structuré sur divers niveaux. Il dépendra en grande partie des actions que l’Europe réussira à mettre en route dans les trois prochaines semaines. Politiquement et économiquement, ces décisions pourraient avoir pour effet de mettre KO les investisseurs financiers, mais on ignore quels seraient alors les effets collatéraux. Comme le fait remarquer le fonctionnaire du Trésor : “Si on continue sur cette voie, la question n’est pas : est-ce que l’Italie sera sauvée ? Mais quand le sera-t-elle ?

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