Antonio Tajani : “Remettre l’industrie au cœur de la relance”

Publié le 19 mai 2013 à 14:57

Antonio Tajani est commissaire européen à l'Industrie, un secteur mis à dure épreuve par la crise, et sur lequel misent plusieurs Etats membres pour se redresser. En marge du Festival international de journalisme de Pérouse, en Italie, il nous a livré les recettes de l’UE pour relancer l’économie européenne et sa vision de la crise qui affecte l’Union et sa relation avec les citoyens, ainsi que de l’avenir de l’Europe.

Monsieur Tajani, en ce moment, la crise bat son plein en Europe et le chômage a atteint des records dans plusieurs pays. La compétitivité des entreprises européennes — à l'exception notable de celles allemandes — ainsi que la faiblesse de la demande interne sont mise en cause par plusieurs experts. Comment peut-on inverser cette tendance ?

Avec une politique qui puisse [[permettre aux entreprises de recommencer à produire]]. Cela passe avant tout par une simplification de l'accès au crédit et aux paiements qui leurs sont dus. C'est pour cela que la Commission a proposé la nouvelle directive sur les retards de paiement, qui a déjà été adoptée par 18 pays membres.
Cette directive, ainsi qu’une interprétation souple du Pacte de stabilité qui permette le paiement des dettes contractées par les administrations, devrait remettre en circulation en Europe plus de 180 milliards d'euros, enclenchant le cercle vertueux de la production et de la consommation.
Il faut aussi donner plus de pouvoirs à la Banque centrale européenne (BCE) : elle devrait avoir le même rôle que la Federal reserve américaine. Son président Mario Draghi est sur la même longueur d'onde et souhaite une BCE capable de gouverner la monnaie dans l'intérêt des citoyens.

Les écarts de salaires entre pays européens crée des différences de compétitivité entre les entreprises de ces pays et fausse selon certains la concurrence au sein de l'UE. L'UE compte-t-elle intervenir vers une harmonisation dans ce secteur ?

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Ce ne sont pas les écarts de salaires entre pays qui menacent la compétitivité : c'est la pression fiscale sur les entreprises, qui est excessive dans certains pays. C'est sur ce versant-là que l'on peut intervenir. [[Les Etats doivent alléger la pression fiscale]], payer les entreprises et faciliter l'accès au crédit. Au final, cela se traduit par de meilleures conditions pour tous travailleurs.

2012 a été une année noire pour l'industrie automobile européenne, et 2013 devrait être du même ordre — à l'exception notable du groupe Volkswagen. Que fait l'UE ?

Nous avons lancé un plan d'action en trois volets : premièrement, le doublement des fonds pour la recherche et l'innovation dans le secteur automobile dans le prochain budget ; deuxièmement, une politique commerciale "non naïve", c'et à dire qui protège les intérêts de l'industrie automobile dans le cadre des accords commerciaux. Le troisième volet est une simplification des règles existantes et élaboration de nouvelles règles ou propositions uniquement dans des cas exceptionnels, comme en matière de sécurité routière. Le but étant de ne pas alourdir le fardeau normatif — et financier — sur les épaules des entrepreneurs.

Est-ce que cela a un sens de soutenir un secteur comme l'automobile, alors que de plus en plus de villes veulent réduire le nombre de véhicules en circulation ?

Ce qui n'a pas de sens de vouloir réduire la production de voitures. Il s'agit de le faire de manière intelligente : le doublement du financement à la recherche et à l'innovation ne concerne que les automobiles "vertes" — électriques et à hydrogène, ainsi que les moins polluantes.
Les prévisions indiquent qu'il y aura 2,5 milliards de véhicules dans le monde en 2050, par rapport à 1,7 milliards aujourd'hui. Il y a donc une marge pour l'exportation et l'internationalisation. Fiat par exemple a des installations au Brésil et leur bons résultats permettent à la marque de maintenir ses usines en Italie.

Quand ces propositions seront-elles examinées par le Conseil ?

Fin juin doit se tenir un conseil compétitivité, ensuite, il y a un Conseil industrie, plus axé sur l'activité industrielle, au début de l'année. Un troisième centré sur la défense est prévu pour la fin de l'année. Après des années pendant lesquelles l'industrie a été mise dans un coin, les dirigeants politiques s'étant entichés à tort de la finance, [[l'Europe est en train de remettre l'industrie au centre de l'économie]]. Au point que nous nous sommes fixés comme objectif que le secteur manufacturier représente 20% de l'activité économique de l'UE en 2020. Aujourd'hui, nous sommes, en moyenne, en-deçà de 16%.

La désindustrialisation commencée dans les années 1980 en Europe a été identifiée comme une des causes de la crise économique. Compte-t-on revenir dessus ?

[[La désindustrialisation a été une grosse erreur.]] Nous avons besoin d'une industrie plus moderne et compétitive. Pour cela, une troisième révolution industrielle est nécéssaire : après celle du charbon, puis du pétrole, l'heure est à celle des économies d'énergie et des énergies vertes, et des key-enabling technologies, celles qui, comme le biotechnologies ou les nanotechnologies, permettent à l'industrie d'atteindre l'excellence au niveau mondial.

Dans cette démarche, quels sont vos rapprts avec vos collègues au sein de la Commission ? Je pense par exemple à celle en charge de l'Environnement ou de la Recherche.

Avec Madame Hedegaard, la commissaire l'Environnement, nous sommes en parfaite syntonie. L'ambition de réduire les émissions de CO2 est juste, tant qu'elle ne devient pas contre-productive. J'estime ainsi valable l'objectif de parvenir à une réduction de 20% [des émissions d'ici 2020 par rapport à 1990], mais je ne pense pas qu'il faille augmenter cet objectif, comme le suggèrent certains, car cela représenterait un surcoût pour les entreprises européennes. Celles-ci quitteraient alors l'Europe ; nous perdrions des emplois et, au final, nous perdrions la bataille contre le réchauffement climatique, parce que ces entreprises iront polluer dans d'autres pays plus souples en matière d'émissions de CO2.

Le dernier Eurobaromètre indique une baisse inquiétante de la confiance des Européens vis à vis des institutions européennes. Comment peut-on combattre cette désaffection ?

Cette désaffection est une conséquence de la crise économique : [[l’Europe apparaît aux Européens comme celle qui exige des sacrifices. Il faut inverser la vapeur ]]et aussi interpréter les résultats électoraux dans plusieurs pays de l'Union, où un esprit anti-européen et contraire à l'euro est apparu. Pour cela, il faut changer de politique, en misant davantage sur la croissance et l'economie réelle. Stop aux sacrifices donc et faisons davantage pour aider l'industrie, les enteprises et le marché intérieur, comme l'a souligné récemment le président de la Commission, José Manuel Barroso. L'austérité a servi et sert uniquement si elle est accompagnée par des mesures de soutien de la croissance.

Sur ce point, pensez-vous que la Commission communique de manière efficace et satisfaisante ?

Il y a un effort à faire de ce côté là, afin notamment d'expliquer ce que nous faisons. Moi-même, je voyage beaucoup justement parce qu'il est important de faire savoir ce que nous faisons. Cette année, nous avons lancé par exemple une initiative qui vise à faire se rencontrer l'Europe et ses citoyens, avec des réunions avec les Européens, dans les places, les hôtels de ville, etc.

Dans un an ont lieu les élections européennes. Vous serez candidat ?

Je ne pense pas : je compte mener à terme mon mandat [qui se termine en octobre 2014].

Que pensez-vous de la proposition, lancée par plusieurs politiques et intellectuels européens, reprise à leur compte par les Socialistes et démocrates européens, de présenter comme tête de liste leur candidat à la présidence de la Commission européenne ?

[[Je suis favorable en principe à ce que le président de la Commission soit élu par les citoyens]]. La réélection de Barroso à son poste suite à la victoire du Parti populaire européen [PPE, droite] aux élections européennes de 2009 allait dans ce sens et répondait en quelque sorte à la demande de davantage de démocratie dans la désignation des instances européennes.

Qui pourrait-être le candidat du PPE ?

Dans le parti, on n'en est pas encore à parler d'un candidat. Le sujet sera abordé l'année prochaine.

Nous sommes à une période charnière de l'Union. Elle est tiraillée dans tous les sens par des poussées eurosceptiques et la tentation du repli de plusieurs pays. Comment voyez-vous son avenir ?

Je pense que nous devons continuer à avancer. Rapiécer ne sert à rien. [[Nous devons aller vers les Etats-Unis d'Europe]]. A rester au milieu du gué, on risque d'être emportés par la crue. Cela demandera du temps : les Américains ont mis un siècle pour y parvenir, en passant par une guerre civile, et peut-être avec moins de problèmes que nous. Il y a des difficultés en ce moment, mais qui songeait, il ya 20 ans, qu'il y aurait eu une monnaie unique ? Nous devons être déterminés et confiants, car nous ne pouvons penser pouvoir agir seuls au niveau global. Ce n'est certes pas pour demain matin, mais J'espère en tout cas d'être encore là pour les voir, ces Etats-Unis d'Europe.

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