Idées Médias et démocratie

Appel pour le respect de la liberté et de l’indépendance de la presse en Europe

A l'occasion de la conférence qu'elle organise à Paris ce 6 décembre, l'Association des journalistes européens (AEJ) s'est associée à d'autres organisations pour la défense de la liberté de la presse pour lancer un appel aux institutions et aux Etats européens afin qu'ils protègent effectivement ce pilier de la démocratie. VoxEurop s'associe à l'appel.

Publié le 6 décembre 2019 à 09:36

L’Association des journalistes européens (AEJ)
Reporters sans frontières (RSF)
La Fédération européenne des journalistes (FEJ)
European Centre for Press and Media Freedom (ECPMF)
South East Europe Media Organisation (SEEMO)
Association de la presse internationale (IPA-API)

Réunis à Paris ce 6 décembre,

Constatent que, si les journalistes européens jouissent d’une situation globalement privilégiée par rapport à de nombreuses autres régions du monde, l’Europe ne constitue plus une zone complètement sûre pour la profession et pour la liberté de la presse, et qu’elle est au contraire la partie du monde où celle-ci se dégrade le plus ces dernières années.

L’érosion du “modèle européen” telle qu’évoquée par Reporters sans frontières (RSF) dans son dernier rapport sur la liberté de la presse dans le monde a vu les journalistes devenir la cible d’attaques de plus en plus virulentes, voire violentes, de la part des responsables politiques. Utilisant les réseaux sociaux pour contourner le relais parfois critique que constituent les journalistes professionnels, ils n’hésitent plus à désigner la presse comme un adversaire à part entière, et appellent leurs partisans à s’en prendre aux médias réputés hostiles et à leurs journalistes, lorsqu’ils n’entravent pas leur activité au travers du harcèlement judiciaire. Un phénomène d’autant plus évident que les sociétés tendent à se polariser, rendant le débat public de plus en plus tendu.

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Ces cinq dernières années, l’AEJ, la FEJ, RSF et les onze autres organisations partenaires de la Plateforme du Conseil de l’Europe pour la Protection du Journalisme ont relevé, dans les pays membres de l’Union européenne, 256 violations graves de la liberté de la presse, dont 60 cas d’atteinte à l’intégrité physique des journalistes (y compris 14 assassinats de journalistes, en France, en Pologne, au Danemark, au Royaume-Uni, en Bulgarie, en Slovaquie, à Malte). Sur ces 256 violations de la liberté de la presse au sein de l’Union européenne, les autorités publiques étaient la source directe de la menace dans 57 % des cas.

A cela s’ajoutent les entorses à l’Etat de droit dans plusieurs pays membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. Celles-ci affaiblissent le cadre démocratique indispensable pour l’existence d’une presse libre et indépendante, et, en s’attaquant également à l’audiovisuel public, l’empêchent de jouer pleinement son rôle essentiel notamment en période électorale. Si l’Etat de droit n’est pas respecté, la presse et la justice sont à la merci des politiques.

Enfin, nous souhaitons souligner la défiance croissante vis-à-vis des élites dont les journalistes font supposément partie, les mesures restrictives des libertés individuelles et de la liberté de la presse adoptées par les gouvernements sous couvert de lutte contre le terrorisme, et les difficultés économiques liées à la crise du secteur de la presse.

Dans ce contexte, et alors que la presse est prise à partie, la crédibilité des journalistes est mise à mal, le soutien de l’opinion publique vacille, et un sentiment d’impunité s’installe chez ceux qui font l’objet d’enquêtes journalistiques.

Aux menaces et aux insultes des dirigeants politiques s’ajoutent l’ingérence du pouvoir en place et les agressions des organisations criminelles qui opèrent en Europe et qui visent en particulier les journalistes d’investigation. Outre les cas retentissants de Daphne Caruana Galizia et de Ján Kuciak, les attaques physiques et les menaces de mort des groupes mafieux et autres organisations criminelles contre des journalistes sont fréquentes dans plusieurs pays.

Si nous saluons les efforts menés jusqu’à présent par l’Union européenne et le Conseil de l’Europe en matière de respect de l’Etat de droit et de liberté de la presse, nous estimons que cela ne suffit pas à garantir un environnement sain et sûr pour que cette liberté puisse pleinement s’exercer. Pour cela, nous demandons aux responsables politiques des pays européens, ainsi qu'aux institutions de l’Union européenne :

  • De s’attaquer au harcèlement judiciaire et aux “procédures bâillon” (‘SLAPP, strategic lawsuit against public participation) en adoptant des mesures législatives qui protègent effectivement les journalistes contre ces procédures, qui n'ont pour seul but que de limiter leur liberté d'expression, et en assurant un environnement favorable et sûr dans lequel les journalistes puissent travailler ;
  • De mettre fin à l’application de sanctions pénales exorbitantes, notamment des peines de prison, dans les procès en diffamation dans tous les Etats européens ;
  • De veiller à ce que les mesures de protection de la liberté et du pluralisme de la presse soient effectivement appliquées par l’Union européenne, également vis-à-vis des pays candidats à l’adhésion, en attribuant expressément ces compétences à un membre de la Commission européenne ;
  • De veiller au pluralisme et à l’indépendance de l’audiovisuel public afin qu’il puisse jouer pleinement son rôle d’information au service des citoyens de manière inclusive et pluraliste, en mettant en place des garde-fous efficaces contre les interférences politiques, notamment en ce qui concerne les nominations à des postes éditoriaux ;
  • De créer un mécanisme efficace d’alerte rapide contre toute violation de la liberté de la presse sur le modèle de la “Plateforme pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes” du Conseil de l’Europe ;
  • De garantir l’intégrité de l’espace public face à la diffusion des fausses informations, tout en préservant pleinement la liberté d'informer et la liberté d'expression
  • D'imposer des garanties démocratiques dans l'espace numérique de la communication et de l'information, pour assurer que la liberté d'opinion et d'expression soit effective, ainsi que le promeut l’initiative “Information & Démocratie” lancée par Reporters sans frontières ;
  • De soutenir la “Journalism Trust Initiative”, également lancée par RSF, qui vise à favoriser la liberté, l'indépendance, le pluralisme et la fiabilité de l'information, ainsi que les autres initiatives et projets semblables émanant des autres organisations reconnues par la communauté journalistique ;
  • De mettre en place dès la fin de l’enseignement primaire et dans le cycle secondaire des programmes d’éducation aux médias et à l’information ;
  • Que le Parlement européen examine périodiquement le respect de la liberté de la presse dans tous les Etats-membres de l’UE, ainsi que dans les Etats candidats à l’adhésion, en particulier pendant les campagnes électorales ;
    D’élargir les pouvoirs du médiateur européen pour qu’il puisse vérifier le respect de la Charte européenne des droits fondamentaux non-seulement par les institutions européennes mais aussi par tous ses Etats-membres ;
  • Que les pays membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe mettent en œuvre sans tarder la Recommandation 2016/4 du Comité des Ministres des Etats membres du Conseil de l’Europe “sur la protection du journalisme et la sécurité des journalistes et autres acteurs des médias” ;
  • Que les pays membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe fassent en sorte que les Nations Unies : 1. adoptent la “Convention internationale pour la sécurité et l’indépendance des journalistes et des autres professionnels des médias” proposée par la Fédération Internationale des Journalistes, afin que les crimes et les agressions contre les journalistes dans le monde entier ne restent plus impunis, et 2. créent le mandat de représentant spécial du Secrétaire Général des nations unies pour la sécurité des journalistes réclamé par une coalition de plus de 100 organisations et médias.

Une presse libre et indépendante est la meilleure garante du bon fonctionnement des institutions démocratiques, et un rempart contre les dérives autoritaires et les manipulations de l’opinion publique. Il est de l’intérêt de tous qu’elle le demeure et du devoir des autorités de faire en sorte que ce soit le cas.

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