Görlitz, place du marché. Photo de Sunchild dd - DR

Balade dans le (bon vieux) temps

Görlitz est la ville la plus orientale d’Allemagne. Riche en monuments historiques, elle cultive son côté rétro tout en regardant vers l’avenir avec Zgorzelec, sa jumelle polonaise, de l’autre côté du fleuve.

Publié le 21 mai 2009 à 16:11
Görlitz, place du marché. Photo de Sunchild dd - DR

Görlitz est d'abord une curiosité temporelle. Située exactement sur le 15e degré de longitude est, dans le Land de Saxe, elle indique très précisément l’heure qu’il est en Europe centrale. Pourtant, le temps ne s’y écoule pas tout à fait comme ailleurs. Cette ville - dont aucune carte ne mentionne son point d'accès à l'autoroute ni ses sites de production industrielle - dégage surtout une impression d’authenticité.

On s'y promène - comme on feuilletterait les pages d’un grand livre d’histoire - au milieu de rues bordées de maisons datant de la fondation de l’Empire, de bâtiments Renaissance – superbement restaurés – d'ouvrages baroques et de maisons Art nouveau. Comment des hommes peuvent-ils encore vivre ici, dans cette cité épargnée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, peut-on se demander, tout animé de notre bon sens moderne. Idée aussi exaltante que déplacée. Quatre mille bâtiments classés monuments historiques sauraient-ils mentir ?

L’imagination se laisse facilement séduire par l’atmosphère de la ville. L'enseigne du joaillier à l’entrée est du marché indique "Handwerkerey" ("artisanat" en ancien allemand). Outre les classiques bagues de mariage et articles d’horlogerie, il vend quelques pièces forgées, des cadrans solaires à l'ancienne et des bracelets à motifs celtiques. Au fond de la boutique, se trouvent des bancs en bois recouverts de peaux en cuir. Cette ambiance hors du temps n’a pas échappé à l’industrie du cinéma. Pour son film Inglorious Basterds, Quentin Tarantino a tourné une scène de fusillade sur le vieux marché historique. Görlitz était censée représenter Paris sous l’Occupation.

En réalité, la ville se trouve sur les bords de la rivière Neisse. Deux ponts la relient à Zgorzelec, en Pologne. Zgorzelec était autrefois un quartier de Görlitz avant de passer de l’autre côté de la frontière, en 1945. Autant dire que l’Europe est ici chez elle. Görlitz est la ville située le plus à l’Est du territoire allemand. La frontière avec la République tchèque ne se trouve qu’à quelques kilomètres au sud. Cet isolement ne fait que renforcer l’impression de vie hors du temps. De fait, ici, on est loin de presque tout.

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Même pour les habitants de Dresde, Görlitz, derrière les montagnes, paraît lointaine. Quant aux Berlinois, ils doivent d’abord prendre un tortillard jusqu’à Cottbus avant d'emprunter un train de l’Ostdeutschen Eisenbahngesellschaft (ancienne compagnie d'Allemagne de l'Est) en direction du sud et traverser les landes de "Muskauer Heide", où les loups sont réapparus il y a quelques années. Il faut donc passer par des contrées sauvages avant d’atteindre Görlitz. Au Moyen-Age, la ville se trouvait à l'emplacement d’une importante route commerciale, la Via Regia, reliant Kiev à Saint-Jacques- de-Compostelle. C’est d’ailleurs ce qui a fait sa richesse. Beaucoup de fabricants de tissus étaient établis ici.

Il y a quelques années, Görlitz et Zgorzelec ont candidaté ensemble pour devenir capitale culturelle européenne en 2010. Après le tourisme, la culture est le deuxième secteur d’avenir de la région. La situation économique de cette belle cité historique n’est pas des plus reluisantes. Le taux de chômage dépasse les 22% et la ville détient le triste record de la pauvreté infantile. En tant que maire, Michael Wieler est autant responsable de la réussite de sa ville au niveau culturel que de son échec dans le domaine social. Il évoque le projet de capitale culturelle avec enthousiasme. Son optimisme et sa soif de renouveau étaient bien réels. "Quand je suis arrivé ici, j’ai tout de suite été fasciné par les possibilités offertes par la proximité de Zgorzelec, notre jumelle polonaise. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que, vue d'extérieur, cette situation pouvait être interprétée tout autrement par les personnes concernées", explique-t-il.

Autrement dit, les habitants de Görlitz ne montrent guère d’intérêt pour leurs voisins de Zgorzelec. Pas même après l’élargissement de l’Union européenne et l’ouverture des deux ponts de la ville en 2004. Un jour, alors qu’il était question de construire une piscine à Görlitz, le maire proposa à son conseil municipal de réduire les coûts en s'associant avec Zgorzelec. Une idée qualifiée par un de ses concitoyens de "fantasme d’Allemand de l’Ouest déraciné".

Michael Wieler croit pourtant dur comme fer au pouvoir de la culture. Afin que le projet de capitale culturelle 2010 ne sombre pas au fin fond de la Neisse, il a lancé l’"Initiative Kultur 2020". L’avenir de Görlitz et de Zgorzelec (ville européenne depuis 1998) réside dans l’échange et le partage. Le maire en est convaincu. Même si, au jour le jour, cela n’est pas évident.

LOGEMENT

Les Polonais gracieusement invités à repeupler Görlitz

La ville de Görlitz voit sa population décroître à un rythme alarmant. Elle est passée de 100 000 habitants il y a vingt ans à moins de la moitié aujourd'hui. Comment faire pour que les rues de Görlitz retrouvent leur vie ? Les conseillers municipaux ont trouvé la solution : convaincre les jeunes polonais des villes avoisinantes de s'installer du côté allemand de la frontière. Pour appâter ces derniers, ils leur offrent la possibilité de venir passer gratuitement une semaine dans un appartement de luxe à Görlitz. Le programme intitulé Probewohnen (résidence à l'essai) a été lancé il y a deux semaines. Il est mené en partenariat avec l'Université Technique de Dresde et la mairie de Görlitz. Grâce aux dons de sponsors, quelques appartements ont été rénovés et meublés (appareils ménagers inclus), avant d'être mis à la disposition des jeunes polonais. Agnieszka Jarosz, originaire de Zgorzelec, ville située sur l'autre rive de la rivière Neisse est une des premières citoyennes polonaises à avoir emménager dans ce genre d'appartement. "J'ai cru que je serais logée dans un appartement miteux d'un immeuble défraichi. Mais tout était neuf, tout droit sorti de chez Ikea et l'immeuble se trouvait dans une zone calme et agréable." Anne Pfeil, qui supervise le projet pour l'Université de Dresde, explique l'intérêt du programme Probewohnen. "Les jeunes polonais découvrent Görlitz et en échange il nous font part de leurs impressions" nous dit-elle. Ces informations seront utilisées pour la politique de la ville, afin qu'elle corresponde aux besoins de ses résidents. Les prix pourraient cependant être un obstacle potentiel à l'emménagement des Polonais. Le loyer mensuel pour un appartement d'environ 80 m2 s'élève à environ 500 euros, sans compter les charges d'environ 200 euros. "Ce n'est pas bon marché, mais je ne vais pas retourner à Zgorzelec maintenant", confie Emil qui vit à Görlitz depuis maintenant deux ans avec sa femme et sa fille. C'est exactement ce genre de Polonais que visaient les initiateurs du programme Probewohnen.

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