L’élection était initialement prévue pour l'été, mais le gouvernement d'Alexandre Loukachenko a décidé de l'anticiper au mois de janvier 2025. Politologues et commentateurs avancent deux explications. Premièrement, car le climat hivernal est susceptible de réduire la probabilité de manifestations. Après la violente répression des mobilisations qui ont suivi l'élection présidentielle de 2020 – que Loukachenko n'a pas remportée – les chances d'un ralliement massif lors de réunions publiques sont de toute façon minces. Mais Loukachenko est un dictateur en proie à une paranoïa avancée, et préfère donc ne prendre aucun risque.
La deuxième explication suppose que le président biélorusse souhaite voir son mandat renouvelé en vue des négociations à venir pour mettre fin à la guerre menée par la Russie en Ukraine. Loukachenko ne cache pas son souhait de participer à ces discussions. Il comprend qu'elles détermineront la place de la Biélorussie dans la réalité de l'après-guerre – et donc son propre avenir. Pour lui, cette élection sera une tentative de remise à zéro et de clôture du chapitre ouvert par les élections de 2020 et des conflits qui les ont accompagnées, explique Artiom Shrajbman, analyste politique biélorusse respecté, dans une interview accordée à New.org.pl.
Les préparatifs des élections sont visibles partout dans le pays. Cinq candidats sont en lice, mais presque personne ne se soucie de quatre d'entre eux, puisqu'un seul compte vraiment. La signature de la pétition officielle en faveur du “candidat principal” était obligatoire, non seulement dans les administrations, mais aussi dans les entreprises privées. Des listes ont été établies pour noter le nom de celles et ceux qui ont refusé de signer leur soutien à Loukachenko.
Parallèlement, le régime de Loukachenko envoie vers l’Occident d’attirants signaux qui pourraient être interprétés comme une invitation au dégel des relations ou à l’ouverture. C'est le cas de Viktor Babariko, candidat aux élections présidentielles de 2020, et de Maria Kolesnikova, sa plus proche collaboratrice. Après l'arrestation de Babariko, Kolesnikova a continué à soutenir la campagne de Svetlana Tikhanovskaïa – la véritable gagnante du scrutin – jusqu'en juin 2021. Babariko et Kolesnikova purgent tous deux de longues peines dans des prisons biélorusses et, pendant deux ans, aucun contact avec eux n’a pu être établi.
On s'inquiétait de leur santé et même de leur survie. En novembre 2024, le régime a permis à Kolesnikova de voir son père, qui a ensuite parlé aux médias. En janvier 2025, des images de Babariko emprisonné ont été publiées par Roman Protassevitch, autrefois cofondateur du média d'opposition Nexta et aujourd'hui propagandiste du régime après avoir été enlevé et brisé par les services de sécurité biélorusses.
Entre-temps, Loukachenko a signé plusieurs amnisties et permis de libérer des dizaines de personnes qui purgeaient des peines politiques plus courtes. Lors d'une réunion avec des étudiants, le procureur général, Andrej Szwed, a affirmé que toutes les personnes soupçonnées d'activités terroristes ou extrémistes (lire : politiques ou sociales) avaient déjà été jugées ou que leur procès était en cours. En d'autres termes, il n'y a plus personne à réprimer. Son annonce a fait sensation, tant il semblait indiquer que la période de terreur politique touchait à sa fin.
Etat agité
Une illusion, bien sûr. Le régime de Minsk ne va pas abandonner ses méthodes répressives du jour au lendemain : ce sont elles qui lui permettent de tenir. Dans le cadre de la préparation des élections, le gouvernement a modifié les règles relatives à la garde des enfants, ce qui lui permet de confisquer la progéniture des parents trop actifs politiquement. Quant aux anciens prisonniers politiques, ils sont convoqués par les services de sécurité pour des “entretiens préventifs”.
La Biélorussie est en proie à une certaine agitation. Des “marches de l'unité” aux couleurs nationales vertes et rouges sont organisées. Des blogueurs populaires pro-régime et des TikTokers ont organisé une flashmob et entonnent le slogan “Nado !” (“C'est nécessaire !”), en référence à une déclaration de Loukachenko (“Si le peuple dit que c'est nécessaire, alors je me présenterai à nouveau à la présidence”). Sur le site indépendant CityDog.io, des Biélorusses vivant au pays (cette fois, il ne sera pas possible de voter à l'étranger) ont fait part de leurs sentiments à l'égard du scrutin à venir. Voici le témoignage d’Angelina, de Minsk :
“Les élections sont annoncées à tout bout de champ, ce qui est assez amusant compte tenu de l'inutilité évidente de l'événement. Ces derniers mois, une propagande 'discrète' est apparue dans ma boîte aux lettres, c'est-à-dire des journaux décrivant à quel point notre vie est merveilleuse, avec la suggestion suivante : 'Votez pour qu'elle le reste'. Franchement, je ne comprends pas pourquoi on dépense de l'argent pour cela. Est-ce que quelqu'un pense vraiment que la mauvaise personne sera élue par hasard ?”
“La plupart des gens sont devenus aussi indifférents que possible. Ceux que je connais n'ont discuté de l'élection que pour savoir s'il était judicieux de voter contre tous les candidats ou si cela 'légitimait' ce qui se passait. Personnellement, je ne crois pas que le fait de voter à une élection légitime quoi que ce soit en soi, alors si quelqu'un veut aller exprimer son opinion, c'est très bien. Mais je ne m'attends pas à ce que cela ait un quelconque impact.”
"Je ne pense pas que quiconque attende quoi que ce soit des élections. Il y a un léger espoir qu'il y ait une sorte de dégel par la suite, mais il est difficile de l’envisager à l’avenir.”
Et qu'est-ce que Loukachenko a à dire à propos de tout cela ? Il est probablement effrayé, et certainement plein de ressentiments. Lors d'un discours prononcé en janvier, il a déclaré d'une voix visiblement affaiblie : “Les fugitifs et d'autres personnes attendent la mort du président. Ils disent : ‘Il va mourir, sa voix n'est plus la même, il parle difficilement’. Eh bien, vous ne vivrez pas pour voir cela.”
Que se passe-t-il d'autre en Europe de l'Est ?
Depuis le 1er janvier, la Transnistrie est à court de gaz – et donc de chauffage. La région séparatiste de la Moldavie a également connu des coupures d'électricité pendant des heures. La crise énergétique a été indirectement déclenchée par la décision de l'Ukraine d'annuler son contrat avec Gazprom pour le transit du gaz russe à la fin de l'année. La Russie dispose d'autres voies d'approvisionnement vers la Transnistrie, une dépendance illégale qu'elle a créée à l’issue de la guerre du Dniestr, en 1992. Elle a toutefois choisi de ne pas s’en servir, ce qui a provoqué une grave crise humanitaire dans cet Etat paria.
Le Kremlin a donc orchestré la situation actuelle, qu'il semble avoir planifiée en plusieurs phases. Son but ultime ? Nuire au gouvernement moldave pro-européen à quelques mois des élections législatives. Après tout, la Moldavie, de l'autre côté du fleuve, a acheté de l'électricité produite en Transnistrie à partir du gaz russe gratuit (sic !). En 2022, le gouvernement de Chișinău s'est assuré d'un approvisionnement alternatif en électricité en provenance d'Europe, afin que la Moldavie ne soit pas menacée par une pénurie d'électricité. Problème : l'électricité européenne est plusieurs fois plus chère. Les Moldaves risquent de ne pas apprécier la perspective de nouvelles hausses de tarifs. Le Kremlin entend ainsi déstabiliser la Moldavie et enflammer sa politique intérieure.
Le gouvernement populiste slovaque de Robert Fico ne cesse de s'ouvrir à Poutine. Le va-et-vient des délégations officielles de Bratislava à Moscou est incessant, et la rhétorique du gouvernement et du nouveau président slovaque Peter Pellegrini à l'égard de l'Ukraine se fait de plus en plus belliqueuse.
Dans ces moments-là, l'attitude de Simon Omanik, étudiant arrivé troisième à l'Olympiade européenne de mathématiques, apporte un peu de réconfort. Invité au palais présidentiel pour une cérémonie de remise des prix, Omanik est arrivé avec un ruban jaune et bleu au revers de sa veste et a refusé de serrer la main de Pellegrini. Si vous ne l'avez pas encore vue, regardez la scène ici.
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Depuis les années 1980 et la financiarisation de l’économie, les acteurs de la finance nous ont appris que toute faille dans la loi cache une opportunité de gain à court terme. Les journalistes récompensés Stefano Valentino et Giorgio Michalopoulos décortiquent pour Voxeurop les dessous de la finance verte.
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