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La place du marché de Cieszyn (Pologne). © Marek and Ewa Wojciechowscy

Cieszyn : et au milieu passe une frontière

Difficile de fêter son anniversaire lorsque l’histoire vous a séparés. Malgré les tensions entre Polonais et Tchèques dans cette région à cheval entre les deux pays, la vie à Cieszyn et Český Těšín se joue de la frontière qui passe entre elles.

Publié le 5 février 2010 à 11:30
La place du marché de Cieszyn (Pologne). © Marek and Ewa Wojciechowscy

La ville polonaise de Cieszyn a entamé les célébrations du 1 200ème anniversaire de sa naissance. Un peu à la dernière minute, début décembre 2009, sa voisine tchèque Český Těšín a annoncé qu’elle voulait se joindre aux cérémonies. Pourtant, sur la rive ouest de l’Olza, la ville n'avait jamais manifesté un enthousiasme débordant pour faire la fête ensemble. Et pour cause, Český Těšín va fêter en grande pompe le 90ème anniversaire de sa création en 1920, quand une frontière a partagé la ville en deux. Beaucoup de Polonais de Zaolzie [littéralement des "terres au delà du fleuve Olza"] sont outrés par cet anniversaire, et à Cieszyn, la réticence à l’égard de l'anniversaire tchèque est bien visible.

D’après une légende, répandue sur les deux rives de l’Olza, les trois fils d’un souverain slave, Bolko, Leszko et Cieszko, se sont réunis ici en 810, et ont fondé la ville de Cieszyn. A l’automne 1918 [lors de la disparition de l’Autriche-Hongrie et la création de la Pologne et de la Tchécoslovaquie], le Conseil national de la principauté de Cieszyn a officiellement pris le pouvoir au nom du gouvernement polonais. Un accord de division de la Silésie de Cieszyn [sous-région historique], en deux parties (polonaise et tchèque) fut signé en respectant les données linguistiques du recensement de 1910 (123 000 Polonais, 32 000 Tchèques, 22 000 Allemands y vivaient alors).

La partie la plus riche attribuée à la Tchécoslovaquie

Les Polonais étaient convaincus que la question était réglée. C’est pourquoi ils ont envoyé un régiment d'infanterie local sur le front de la Galicie orientale contre les Ukrainiens. Les légions tchécoslovaques en ont profité. La guerre a été brève, mais sanglante, et le cessez-le-feu imposé sous la pression de l'Entente. L'avenir de la Silésie de Cieszyn a été arbitrairement décidé en juillet 1920 par la Conférence des ambassadeurs à Paris. La partie la plus riche et la plus industrialisée, avec les mines, les aciéries et la ligne de chemin de fer reliant la Tchéquie à la Slovaquie a été attribuée à la Tchécoslovaquie.

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Les événements sanglants de 1919 ont été érigés en monuments. Celui de Tomáš Masaryk, le père de la Tchécoslovaquie indépendante, et son président de 1918 à 1935 fut détruit en octobre 1938 lors de l'intervention de l'armée polonaise en Zaolzie. Les autorités ont récemment annoncé sa reconstruction. Annonce qui a bouleversé beaucoup de Polonais pour lesquels la politique de Masaryk a contribué à la division de la Silésie de Cieszyn. "Mais c'est une fête tchèque et c’est leur héros, qu'est-ce que cela peut nous faire ?", pointe Zygmunt Stopa, président de l'association pour l’éducation et la culture polonaises en République tchèque.

Du côté polonais, en 1934, on a dévoilé un monument commémorant les batailles victorieuses des légions polonaises. Le monument a été détruit par les Allemands en septembre 1939. Il a retrouvé sa place il y a quelques années. "Je sais que du côté tchèque, on a plutôt grincé les dents", dit Bogdan Ficek, maire de Cieszyn. Dans la déclaration relative aux célébrations communes des 1 200 ans de Cieszyn, adoptée début décembre lors d’une session conjointe des conseils municipaux, on lit: "Nous ne pouvons pas changer l'histoire, ni l’oublier, mais nous pouvons assurer un avenir commun aux prochaines générations. Nous pensons que dans les affaires de nos deux villes, on doit faire un pas en avant, même si cela peut déplaire à certains", explique Bogdan Ficek.

Le commerce de Cieszyn doit aux Tchèques et aux Slovaques près de 70% de son chiffre d'affaires. Les Tchèques profitent d’un taux de change avantageux de leur couronne contre le zloty. Sur le marché de Cieszyn, les produits en osier font un tabac, de même que les arbres de Noël artificiels. Les plaids, les chaussures, les légumes et les sucreries ont aussi la cote. Des touristes tchèques chargés à bloc prennent souvent le taxi polonais pour rejoindre leur voiture laissée de l’autre côté, ou pour se rendre à la gare. Avant le pont, le chauffeur cache l’enseigne taxi, puis continue sa course comme un automobiliste ordinaire, car au milieu passe bel et bien la frontière. "Si on appliquait strictement les règles, une ambulance polonaise devrait s'arrêter au milieu du pont et attendre qu’une ambulance tchèque prenne en charge le patient", explique le maire de Cieszyn. Et vice versa.

Ces violations officieuses de la frontière concernent aussi la coopération de la police et des gardes municipaux à la poursuite des criminels en fuite. Aujourd'hui, personne n’imagine non plus que la toute jeune chanteuse Ewa Farna, de Zaolzie, ne puisse chanter de part et d'autre de l’Olza. Chantant en polonais et en tchèque, elle est la meilleure ambassadrice de la "polonitude" en Zaolzie. Elle est aussi l’idole de la jeunesse transfrontalière polonaise et tchèque. Au final tout le monde est, comme on dit en silésien et en polonais, "stela" et "Stąd" ("d’ici").

Minorités

Une coexistence pas si pacifique

Les autorités tchèques se sont engagées à mettre fin aux atteintes aux droits dont est victime la minorité polonaise résidant dans la région frontalière de Silésie de Cieszyn, rapporte le quotidien Gazeta Wyborcza. Le gouvernement tchèque a pris cet engagement lors de la récente visite du président polonais, Lech Kaczynski, à Prague. Les 40 000 Polonais vivant dans la région de Cieszyn ont, en effet, exprimé leurs doléances suite à des actes de vandalisme perpétrés par des extrémistes tchèques sur des panneaux et enseignes rédigés en polonais. Sur les 31 villes autorisées, en vertu de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, à pratiquer l’affichage bilingue, seule la moitié a décidé d’exercer ce droit et bon nombre y ont finalement renoncé.

L’installation sur la façade d’une maison de Smilovice d’une plaque commémorant le lieu de naissance de l’actuel président du parlement européen, Jerzy Buzek, a même créé des tensions. "Les Tchèques ne sont pas encore habitués, il leur faut juste un peu de temps", a déclaré Josef Szymeczek, président du Congrès des Polonais de République tchèque. Selon lui, le cas le plus préoccupant est celui de la ville de Trinec, où vivent 6 000 Polonais. Les autorités locales ont tenté de faire fermer une école polonaise et refusent ne serait-ce que d’aborder la question de l’affichage bilingue. D’après les Polonais de République tchèque, l’animosité contre eux provient essentiellement des jeunes. Sur Internet, un groupe baptisé "Je déteste les Polonais" compte près de mille adhérents. "Il est évident que les relations tchéco-polonaises sont bien meilleures au niveau gouvernemental que local", conclut le journal.

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