Le siège de la banque UBS à Zurich (Suisse). (AFP)

L'Italie règle ses comptes avec la Suisse

La récente mesure du gouvernement de Silvio Berlusconi, visant à combattre l'évasion fiscale dans la Confédération suisse, est à l'origine de tensions entre les deux pays. Rome accuse les banques helvétiques d'être responsables des fraudes.

Publié le 12 novembre 2009 à 11:16
Le siège de la banque UBS à Zurich (Suisse). (AFP)

Comment sait-on qu’un homme qui rôde autour de nos banques avec suspicion est un agent en civil de la brigade financière italienne ? C’est très simple : il lit le Wall Street Journal à l’envers”. Cette blague au ton sarcastique qui circule actuellement en Suisse est une façon d’exorciser deux sentiments : l’irritation et la peur. D’un côté, l’irritation contre les Italiens : jamais Rome n’a fait rentrer des capitaux de manière plus musclée. D’un autre, la peur : les banques suisses risquent bel et bien de voir disparaître les 200 milliards d’euros contenus dans leurs coffres-forts. Mais, plus que tout, ce que la Suisse craint de perdre, c’est sa réputation de paradis fiscal sur laquelle elle a bâti une grande partie de sa fortune.

Le premier “coup” reçu par la Suisse date de la fin des années 1990, au moment du scandale des fonds en déshérence dans les banques helvétiques : l’argent des Juifs déportés dans les camps n’avait jamais été restitué à leurs héritiers. La Suisse s’était défendue de cette accusation en soutenant qu’elle avait essayé de retrouver la trace des héritiers, mais que cette mission s’était avérée impossible. En attendant, les banques suisses ont dû éclaircir quelque peu leurs comptes. Le mythe de l’inviolabilité du secret bancaire suisse venait d’être terni, pour la première fois de son histoire.

Les contribuables craignent une chasse aux sorcières

Le deuxième coup a été porté l’été dernier, au moment où les Etats Unis, poursuivant les fraudeurs du fisc, ont contraint l'Union des banques suisses (UBS) à fournir toute une série de données confidentielles. Le troisième coup a été envoyé au moment où l'OCDE a intégré la Suisse à la “liste grise” des paradis fiscaux. Ce déclassement a par la suite été annulé. Mais de nombreux investisseurs, devenus sceptiques, se demandent si leur argent est toujours en sécurité à Lugano et alentour. Enfin, aujourd’hui, c’est le gouvernement italien qui lance son amnistie fiscale, permettant à ceux qui ont exporté des capitaux en Suisse de les réintroduire en Italie moyennant une amende équivalente à 5% de la somme.

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En Italie, cette mesure semble avoir été acceptée malgré les protestations et les doutes du début. “Elle marche”, affirme Paolo Bernasconi, procureur général de Lugano pendant vingt ans, aujourd’hui avocat et professeur à l’université de Saint-Gall, en Suisse. “Un grand nombre d’Italiens acceptent de payer l’amende. Le 'bouclier fiscal' fonctionne : en Italie, la chasse aux sorcières terrorise les contribuables, à qui on fait croire qu’il n’y a plus de secret bancaire en Suisse”, dit-il. Il existe toutefois d’autres explications. Les deux principales raisons qui poussaient les Italiens à placer autant d’argent en Suisse sont en train de disparaître. La première - la peur du communisme – remonte à l’après-guerre, la seconde - la peur des enlèvements - date des années 1970. La semaine dernière, la brigade financière a perquisitionné 76 filiales italiennes de banques suisses. Des “Fiscovelox” [radars] ont été installés à la frontière italo-suisse pour photographier les voitures immatriculées en Italie qui entrent dans la Confédération. En outre, d’après une rumeur - fondée ou non -, des agents en civil surveilleraient la sortie des banques.

Des tensions sans précédent

D’aussi loin que je m’en souvienne, nous n’avons jamais connu de tensions aussi fortes avec l’Italie”, reconnaît Giancarlo Dillena, directeur du Corriere del Ticino. “C’est vrai”, confirme Fulvio Pelli, président du Parti libéral radical suisse. “Mais c’est la façon dont ce 'bouclier fiscal' a été présenté qui nous irrite. Une désinformation systématique a été mise en place : on fait croire que le système bancaire suisse a été totalement modifié, qu’il n’est plus sûr”. Les propos de Paolo Bernasconi, pourtant favorable à une reprise du dialogue avec l’Italie, sont très durs à l’égard des méthodes utilisées : “Jamais personne n’a photographié quiconque entrant en Suisse, même à l’époque des Brigades rouges”.

La Suisse a-t-elle peur de perdre sa richesse ? “Sa puissance ne dépend pas de l’argent des étrangers”, déclare Giancarlo Dillena. "Bien au contraire, si elle accueille l’argent des étrangers, c’est parce qu’elle est puissante. Ici, tout fonctionne mieux qu’en Italie. Ce n’est pas un hasard si de grandes entreprises comme Zegna ont établi leur siège en Suisse”. Dans le milieu des banques suisses, la peur commence pourtant à produire des effets concrets. Sans faire de tapage, certains employés suivent des stages de mise à niveau : les banquiers suisses cherchent des solutions pour offrir à leurs clients italiens des nouveaux produits afin de les pousser à investir. L’époque où il suffisait d’attendre que le client arrive avec sa valise remplie de billets est révolue. Comment cette affaire se terminera ? “Notre pays a pour régime la démocratie directe”, menace Fulvio Pelli. “Nous pourrions organiser un référendum, que l’Italie regretterait. Notre pays est petit, mais gare à ceux qui lui cherchent querelle”.

VU DE SUISSE

Une mesure au parfum électoral

"Rome a fait ses comptes", observe L'Hebdo, pour qui "selon le ministre de l'Economie italien, Giulio Tremonti, 550 milliards d’euros appartenant à des Italiens seraient placés à l’étranger, dont une grande partie en Suisse. Rome a espoir d’atteindre son objectif d’ici à la date butoir, le 15 décembre: le retour de 80 à 100 milliards d’euros éparpillés dans le monde". Mais, ajoute le magazine lausannois, "comment ne pas voir aussi derrière cette manœuvre fiscale d’autres enjeux liés à l’agenda politique italien: l’après-Berlusconi. Tremonti, 62 ans, l’un des rares à jouir d’une réputation sérieuse au gouvernement, ambitionne de s’élever dans l’Olympe romain. Se montrer agressif sur l’évasion fiscale, un thème qui permet de capitaliser politiquement en temps de crise, c’est aussi montrer la stature d’un possible successeur à Berlusconi, 73 ans, en prévision du face-à-face qui l’opposera aux prochaines législatives à l’autre leader de droite, le postfasciste Gianfranco Fini, 57 ans. Berlusconi pousse Tremonti pour couvrir ses arrières judiciaires, comme Chirac avait parié – mais perdu – sur Dominique de Villepin".

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