La mine d'or de Roşia Montană.

La fièvre de l’or gagne Bucarest

La crise économique fait monter la valeur du métal jaune sur les cours mondiaux. L’Etat roumain compte bien profiter du phénomène en rouvrant, en association avec une société canadienne, la mine de Roşia Montană. Un projet controversé.

Publié le 15 septembre 2011 à 15:26
Nadia Shira Cohen  | La mine d'or de Roşia Montană.

On dit que chaque maison de mineur du village Roşia Montană [en Transylvanie] recelait un passage qui conduisait aux carrières d'or. On ne peut plus vérifier cette histoire, car Romania Gold Corporation les a toutes rachetées.

Avant de pouvoir exploiterl'or de Roşia Montană, cette joint-venture entre la société canadienne Gabriel Resources et l’entreprise publique roumaine Minivest, n'attend plus qu'un certificat environnemental.

La guerre est totale. Le noyau dur d'opposants à la réouverture de cette mine fermée en 2006, soutient que le projet rayerait de la carte le massif Cârnic, réduirait en poussière un patrimoine culturel qui date de l'antiquité, quand les Romains exploitaient l'or de la région, et que celle-ci pourrait être gravement affectée par les dangers de la technologie d’extraction au cyanure. Gold Corporation soutient pour sa part qu'elle prendra soin des sites archéologiques….

De bonnes raisons d'avoir peur

La crise financière a porté le prix de l'or à des sommets vertigineux et les analystes misent sur une croissance continue de la valeur du précieux métal. Nous assistons ainsi à une bataille classique entre la civilisation industrielle et les représentants de la civilisation postindustrielle, qui s'opposent à l'exploitation sauvage de la nature.

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La bataille se déroule sur un territoire lourdement marqué par son histoire minière, dont les effets écologiques ont laissé un héritage difficile à gérer. Les eaux des ruisseaux à proximité des mines sont rouges [à cause de la pollution au cyanure] et les collines éventrées semblent avoir été frappées par un cataclysme. Pendant l'Age d'or [appellation de la dictature Ceauşescu], réduire la pollution n'était pas une priorité du régime communiste. La qualité de vie des gens ne comptait pas. Les opposants au projet ont donc toutes les raisons d'être effrayés.

L’un des principaux problèmes du projet Roşia Montană est donc le manque de confiance qu’il suscite. Le profil des principaux actionnaires de Gabriel Resources, cotée à la Bourse de Toronto, est typique : des milliardaires avec un gros appétit pour les spéculations financières. Parmi eux, Paulson & Co. et Electrum Strategic Holdings, des fonds d'investissement spécialisés dans l'or, Newmont Mining Corp (Etats Unis), l'un des principaux producteurs d'or au monde, qui compte parmi ses actionnaires le milliardaire George Soros.

Une république bananière et des investisseurs véreux

L’Etat roumain, par la société Minvest, est le plus gros actionnaire de l'entreprise, avec 19% des actions. Mais sa participation semble sous-évaluée. Etre assis sur une montagne qui, selon les estimations, cache dans ses entrailles jusqu'à 300 tonnes d'or devrait inciter à prendre une participation plus consistante. Le contrat de la participation de l'Etat roumain au projet est maintenu secret, et la Roumanie semble être traitée comme une république bananière par des investisseurs véreux.

Ailleurs en Europe en revanche, la Suède et la Norvège exploitent activement de l'or. L'Etat suédois a émis des concessions sur ses gisements d'or et se borne à gagner de l'argent en impôts, taxes et redevances. Aucun émoi apparent ou sous-jacent. La question est traitée comme une affaire génératrice de profit, et l'industrie minière représente 0,3% du PIB du pays. Le respect des normes est soumis à un contrôle strict. Chez nous, ce genre de chose fait défaut.

L’enjeu reste la ruée vers l'or. Le projet de Roşia Montană promet d’extraire de l’or pour une valeur de plus de 16 milliards de dollars en 16 ans. Mais si l'investisseur canadien était chassé, il pourrait demander à l'Etat roumain des dédommagements ahurissants.

Roşia Montană, elle, risque de rester fantomatique, car 80% des bâtiments appartiennent désormais à Gold Corporation. Les vestiges archéologiques, situés dans des endroits difficilement accessibles, ne suffisent pas à attirer les touristes. La population locale n'a pas beaucoup d'opportunités sur le marché du travail ni les fonds pour investir dans le tourisme. Les quelques auberges de la région sont loin d'être rentables, et la bourgade n'est devenue attractive qu’avec toute cette controverse...

Budget

Comment Bucarest compte gagner de l’argent

"Le président Traian Băsescu a annoncé que la mise en œuvre de ce projet est plus nécessaire que jamais, car le pays doit doubler ses réserves d’or et que cela serait générateur d'emplois", [rapporte Evenimentul Zilei](http://www.evz.ro/detalii/stiri/rosia-montana-castigul-romaniei-intre-mit-si-realitate-942886.html  ). Le quotidien passe en revue les multiples modalités par lesquelles l’Etat roumain gagnerait de l’argent de ce projet qui nécessite un investissement canadien d’1 milliard de dollars (environ 700 millions d'euros). A côté des 1,8 milliard de dollars (environ 1,2 milliard d'euros) gagnés directement (dividendes, taxes, impôts), le projet engendrera des emplois et une activité économique à hauteur de 2,5 milliards de dollars supplémentaires (1,7 milliard d'euros). "Mais que fait-on des potentiels conflits d’intérêts entre l’Etat-actionnaire et l’Etat en tant qu'autorité chargée de s'assurer que la société en question respecte les règles ?", s'interroge Evenimentul Zilei.

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