La communauté Voxeurop Coup de théâtre

L’UE et les provinciaux têtus

Publié le 14 novembre 2013 à 16:04

Le décor est planté : la scène du théâtre privé du palais Béhague qui abrite l’ambassade de Roumanie en France. Les acteurs sont triés sur le volet : Jean Quatremer, auteur du blog Coulisses de Bruxelles, Cristian Tudor Popescu, un des plus journalistes roumains les plus lus, Luca Niculescu, rédacteur en chef de RFI Roumanie et correspondant de Libération en Roumanie, et Véronique Auger, réalisatrice de l’émission Avenue de l’Europe, sur France 3. Le ton est donné : ce sera une tragi-comédie où certaines vérités qui fâchent vont être révélées.

La première tirade commence : ”Voici 10 idées largement acceptées comme des évidences par la pensée dominante de la Commission européenne et des élites bruxelloises, mais qui le sont beaucoup moins chez les Européens ordinaires" :

  • 1) Le libre commerce est toujours meilleur que le protectionnisme.
  • 2) La libre circulation des travailleurs et des services prime sur la protection des travailleurs dans leur propre pays.
  • 3) Il faut plus d’immigration pour maintenir la croissance et financer les retraites et les prestations sociales.
  • 4) Mieux vaut taxer la consommation et le CO2 que le travail et les hauts revenus.
  • 5) La véritable libre concurrence est plus importante que la création de champions nationaux ou européens.
  • 6) La méthode communautaire est toujours plus légitime et efficace que l’intergouvernemental.
  • 7) Pour combattre le chômage, il faut réduire la protection des travailleurs contre le licenciement.
  • 8) La souveraineté nationale est une idée dépassée, non seulement en Europe mais dans le monde.
  • 9) Ce n’est pas la Commission européenne qui décide, ce sont les États membres.
  • 10) Le libéralisme doit prévaloir en tout, sauf dans l’agriculture…

Dans un français impeccable, Paul Taylor, chef du bureau parisien de l’agence Reuters, égraine ce décalogue, au final d’une matinée de débats organisée le 13 novembre par l’ambassade de Roumanie, autour du thème “Communiquer l’Europe”.
Faux débat ou vraie mise en scène ? Ceux qui pensent que la façon dont Bruxelles communique avec les citoyens n’est pas la plus heureuse sont nombreux. Ni utile, ni facile, ni compréhensible, elle a laissé croire aux 500 millions d’Européens que la capitale de l’Union est une citadelle qui protège tous les Etats membres, et que l’œil de Sauron - pardon, de Barroso - veille sur tous… Pourtant, à quelques mois des élections européennes, il semblerait que les citoyens-électeurs se sentent plus inutiles que jamais.

Véronique Auger présente le point de vue français : “L’économie, comme l’Europe, sont de l’arabe pour la plupart des Français”. ”Faute de mieux, les Roumains, qui n’ont pas une bonne image de leurs propres institutions, ont confiance en l’UE”, renchérit Luca Niculescu. Paul Taylor explique que les Allemands ont un proverbe qui résume bien la chose : ”Hast du einen Opa, schick ihn nach Europa“ (Si tu as un grand-père, envoie-le en Europe).

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Le chœur des acteurs s’accorde sur le fait que les citoyens européens ne connaissent pas les députés qui les représentent, et que l’UE n’est pas très connue parmi ses sujets… Ou bien alors de façon caricaturale : ”Aux yeux des Roumains, l’UE est une vache, plus grosse que la vache nationale, qui rit tout le temps et quoi qu’il arrive. Elle doit donner du lait. Si elle ne le fait pas, elle est vue comme une idiote. Pendant ce temps, en attendant que l’UE devienne un État providentiel, substitut de l’État communiste, nous restons des provinciaux têtus…”, constate amèrement Cristian Tudor Popescu.

Jean Quatremer prend la parole pour asséner une vérité douloureuse :

Aujourd’hui en Europe, aucune institution ne rend de comptes à personne. Dans une possible république fédérale, tout le monde devra en rendre. Pour l’instant, tout le monde est indépendant et personne n’est responsable…

Le fédéralisme de Quatremer est bien connu… Donc pas de commentaire. Mais n’empêche que son astuce afin de convaincre les Européens à se rendre aux urnes, tient la route : ”Il faut dire d’emblée que la tête de liste du parti qui gagnera l’élection sera proposé au poste de président de la Commission. Ainsi les gens sauront que leur vote compte”, suggère-t-il.
Le rideau retombe sur la scène du palais Béhague. Les éclats de rire résonnent d’une certaine tristesse. La réalité fait place au théâtre : l’UE n’a pas encore 500 millions de fans. Un ancien slogan de l’Union lançait : “Ensemble depuis 1957“. Paul Taylor estime qu’il est temps de le remplacer et de proclamer que “le meilleur reste à venir”.
PS. Le décalogue est toujours là, sans réponse.

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