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Pour une Union européenne de la santé

Solidarité, coordination, synergies, mise en commun des ressources... : la pandémie de Covid-19 a poussé l'UE à accélérer le processus de création d'une véritable union européenne de la santé, comme le prévoient par ailleurs les traités européens, explique le représentant de New Europeans à Rome.

Publié le 16 novembre 2020 à 08:24

La pandémie de Covid-19 a tout bouleversé, y compris en Europe. Avant que ce cauchemar ne prenne fin (et nous n'en sommes malheureusement pas encore là), nous devons tirer les leçons de cette expérience dramatique et construire quelque chose de neuf et de positif. Tel était le sens du message de l'appel pour une Union européenne de la santé que nous avons lancé le 9 mai dernier, à l'occasion du soixante-dixième anniversaire de la déclaration Schuman, avec le groupe des “New Europeans” du Britannique Roger Casale, ancien député européen travailliste.

Nous sommes heureux que cette idée ait été reprise par la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans son discours sur l'état de l'Union, le 16 septembre dernier, et également dans la perspective d'un Sommet mondial de la santé qui sera organisé en 2021 par la Présidence italienne du G20.

Partons de la redécouverte de la santé comme étant un 'bien public mondial', la base sur laquelle construire un contrat social renouvelé.

Nous sommes également très heureux que, tandis que les États membres s'efforcent de faire face à la deuxième vague de la pandémie, la Commission européenne élabore au moins une stratégie coordonnée pour assurer la meilleure efficacité possible des futurs vaccins. Nous ne sortirons de cette tragédie que si nous sommes unis et déterminés.

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Après tout, c'est comme avec l'œuf de Colomb. Il n'y avait rien de particulièrement original à réfléchir, lors du confinement qui a radicalement transformé nos vies, au fait que l'Union européenne ne pourrait résister qu’à travers un nouveau modèle, qui parte de la base, plutôt que de mettre en place d’illusoires murs, quotas ou droits de douane pour lutter contre les invasions de virus, de migrants ou de produits bon marché. Ce nouveau modèle devrait être basé sur les besoins que nous partageons tous, les valeurs dans lesquelles nous nous reconnaissons et les synergies que nous pouvons créer en travaillant ensemble.

Un modèle pour l'Europe

Les médecins avaient suggéré le modèle "One Health" proposé par l'OMS comme une approche qui nous permettrait de lier étroitement les perspectives d'une réforme de la santé à l’échelle continentale à la transformation plus générale de notre société, imposée par le changement climatique et la recherche d'un développement durable, vert, équitable et numérique. Il ne faut pas choisir entre santé et climat, solidarité et innovation, réformes sectorielles et changement de paradigme global. Un projet "gagnant-gagnant" ? Yes, we can !

Il s'agit d'un ensemble global de visions d’avenir et de synergies. Mais il faut l'expliquer et l'assimiler, "primum vivere, deinde philosophari". Le défi consiste alors, à partir de notre instinct de survie renforcé par la pandémie, de tenter de vaincre le malaise, souvent existentiel, complexe et qui peut nous atomiser. Ce malaise nous afflige et nous rend souvent esclaves de charlatans qui s'adressent directement à nos émotions avec d’hypocrites messages simplistes.

Partons au contraire de la redécouverte de la santé comme étant un "bien public mondial", la base sur laquelle construire un contrat social renouvelé, où le "demos" européen pourra redécouvrir son identité commune, qui, depuis le plan Beveridge, se fonde sur un système de santé universel, parce que "personne ne doit être laissé de côté" face à la maladie et autres aléas.

Il y a là un changement fondamental, sur lequel nous devons être aussi clairs que possible : une éventuelle future Union européenne de la santé devrait être fondée sur la réforme des traités signés par des États-nations souverains mais, plus encore que d'autres initiatives, elle devrait avoir au coeur de son projet les droits et devoirs des citoyens européens en tant qu’individus, indépendamment de leur nationalité.

D'où l'appel lancé à Ursula von der Leyen : il n'est pas possible de parler d'Union européenne de la santé uniquement entre gouvernements et parlements, cette question doit devenir l'un des principaux piliers de la conférence annoncée sur l'avenir de l'Europe, en tant que forme généralisée de consultation et de planification d'un avenir commun.  

Cet appel propose justement de relever les défis posés par la pandémie et de tirer les leçons de l'expérience acquise dans différents domaines : la santé, bien sûr, mais aussi l'économie, la subsidiarité, l'éducation, la citoyenneté et les relations extérieures. Seule l’articulation de ces réflexions et des plans d'action qui en découlent pourra donner lieu à la relance du "projet européen" que le Coronavirus semble provoquer, grâce à une incroyable "hétérogénéité des objectifs" (alors que nous semblions démunis et en ordre dispersé face aux difficultés, maintenant nous semblons plus soudés et déterminés à ne pas répéter des expériences similaires).  

En matière de santé, nous avions pourtant tous les instruments, au début de l’épidémie, pour donner à l'Union un rôle moteur. Au lieu de cela, nous avons écrit des pages sombres et humiliantes d'égoïsme, d'hypocrisie et de désorganisation, qui n'ont certainement pas fait honneur aux liens solennellement inscrits dans les traités européens. Il suffit de lire l'article 168 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui stipule expressément que "l'action de l'Union, qui complète les politiques nationales, porte sur l'amélioration de la santé publique et la prévention des maladies et affections humaines et des causes de danger pour la santé physique et mentale". Cette action comprend la lutte contre les grands fléaux sanitaires, en encourageant la recherche sur leurs causes, leur propagation et leur prévention, ainsi que l'information et l'éducation en matière de santé, et la surveillance, l'alerte précoce et la lutte contre les menaces transfrontalières graves pour la santé". On ne peut être plus clair ! Si la Covid-19 n'est pas un "grand fléau", que nous faut-il de plus ?

Il convient également de rappeler que la clause de solidarité prévue à l'article 222, paragraphe 1, point b), du TFUE ("L'Union mobilise tous les instruments dont elle dispose, y compris les moyens militaires mis à sa disposition par les États membres, afin de fournir une assistance à un État membre sur son territoire, à la demande de ses autorités politiques, en cas de catastrophe naturelle ou d'origine humaine") a été mise en oeuvre pour activer la coordination européenne de l’envoi de fournitures d'urgence à la Chine, alors que, lorsque le représentant permanent italien auprès de l'Union européenne a invoqué cette clause pour recevoir en urgence des masques et des respirateurs, le même mécanisme a aussitôt semblé se bloquer. L’Union européenne a fait la sourde oreille et répondu aux demandes de l'Italie par des tracasseries administratives, alors qu’elle avait généreusement distribué les mêmes produits d’urgence à l'autre bout du monde.... 

Les outils indispensables

Heureusement, le vent a tourné, à 180 degrés. Le discours de Pâques du président allemand Frank-Walter Steinmeier était magnifique : "L'Allemagne ne peut sortir forte et en bonne santé de cette crise si nos voisins ne sont pas eux aussi forts et en bonne santé. Ce drapeau bleu n'est pas là par hasard. Trente ans après l'unité allemande, soixante-quinze ans après la fin de la guerre, nous, Allemands, ne sommes pas seulement appelés à être solidaires, nous sommes obligés de l'être ! […] Après cette crise, nous serons une autre société. Nous ne voulons pas devenir une société craintive et méfiante. Nous pouvons, au contraire, être une société plus confiante, plus respectueuse et plus optimiste". Pour dire les choses simplement, la pandémie de coronavirus n'est la faute de personne, nous ne pouvons pas continuer à dresser les fourmis et les cigales les unes contre les autres, nous sommes tous dans le même bateau et nous ne devons pas le laisser chavirer.

Nous devons le faire “quoi qu’il en coûte”, comme avait dit Mario Draghi en 2012 pour défendre l'euro. Cependant, quatre années s’étaient alors écoulées entre la crise de Lehman Brothers et la déclaration du gouverneur de la Banque centrale européenne. Heureusement, quelques mois seulement ont suffi à Angela Merkel pour se rappeler le dicton selon lequel "il faut agir vite quand la glace fond". Même si l’urgence est un concept très extensible à Bruxelles, une direction semble cependant avoir été prise. Peut-être parviendra-t-on à rendre permanents les instruments de type Fonds de relance, pour permettre une politique économique européenne explicite, sans la contrainte désormais imposée à la Banque centrale européenne. Nous verrons bien.

En matière de santé, nous avions pourtant tous les instruments, au début de l’épidémie, pour donner à l'Union un rôle moteur. Au lieu de cela, nous avons écrit des pages sombres et humiliantes d'égoïsme, d'hypocrisie et de désorganisation, qui n'ont certainement pas fait honneur aux liens solennellement inscrits dans les traités européens.

Mais la réponse européenne aux défis mondiaux en matière de santé n'est pas seulement une question d'argent. Elle exige également une gouvernance adéquate. C’est alors que la subsidiarité entre en jeu, non seulement pour garantir aux autorités locales une latitude dans la gestion optimale des territoires, mais aussi pour mettre en place une direction et coordination supranationale de tâches qui, autrement, échapperaient à tout contrôle. La complexité peut être vaincue s’il existe une volonté réelle.

Il est par ailleurs impossible de ne pas aborder le sujet de l'éducation, surtout dans une perspective intergénérationnelle. Premièrement, l'éducation scientifique et technologique devra être renforcée, afin de fournir des outils pour lutter contre les périls qui nous menacent, pour combler la fracture numérique et éviter les plus incroyables négationnismes. Mais on ne devra pas négliger l'éducation civique, car sans une conscience claire de l'interrelation entre droits et devoirs, il sera impossible pour nos sociétés de surmonter la pandémie et les pièges mortels qu’elle nous tend.

La citoyenneté est le concept-clé de la construction par la base, individu par individu, de cette Union européenne que nous voulons ; une Union basée sur le respect des droits et des devoirs, où les libertés fondamentales et l'État de droit sont garantis, conditions indispensables à notre santé physique et mentale.

Fermes et rigoureux dans l'exigence du respect de ces enjeux, nous devons également avoir une vision claire – qui est pourtant loin d'être encourageante - d'un reste du monde où la démocratie semble souvent mise à mal par des poussées autoritaires, populistes et souverainistes, toutes promptes à se décharger sur les autres de leurs propres problèmes. L'Europe peut-elle au contraire tenter de s'ériger en phare pour ceux qui, partout, pensent différemment et trouvent dans la terrible pandémie une raison de plus pour promouvoir solidarité, vision d’avenir et volonté de travailler ensemble dans le respect mutuel ?

Nous aimerions parler de tout cela en 2021 lors du sommet mondial sur la santé organisé par le G20, et avant cela, lors de la conférence sur l'avenir de l'Europe, qui doit commencer sous la présidence allemande avant la fin de l'année.

En préparation de ces événements, le 5 novembre, New Europeans a tenu une conversation en ligne avec des citoyens et des militants pour la santé publique dans le cadre de la série "Tuesday Conversations with Povl Hennignsen".  Vous pouvez visionner ces échanges ici.

Contactez les New Europeans (bureau@neweuropeans.net) si vous souhaitez en savoir plus sur l'appel pour une conférence internationale sur les enseignements tirés de la pandémie de Covid-19 et sur l'Union européenne de la santé (#EuropeanHealthUnion).

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