A l'Université de Lyon 2. Photo: mafate69/flickr

De la capacité anarchiste des classes étudiantes

La réforme 2007 de l’université française a provoqué de nombreuses manifestations et donné naissance à des projets d’enseignement supérieur alternatifs plus ou moins réussis. Exemple à Lyon où une faculté autogérée propose d’abolir la hiérarchie.

Publié le 13 novembre 2009 à 08:17
A l'Université de Lyon 2. Photo: mafate69/flickr

"Teachers ! Leave them kids alone !", car la hiérarchie à la fac c'est de l'histoire ancienne. Finis les enseignements unidirectionnels et les notes, finis les redoublements et la vision utilitariste des études. Ce vieux rêve soixante-huitard a été récupéré et depuis le printemps 2009, un nouveau modèle éducatif essaie de s’affirmer : celui de l’université autogérée. "Ce n’est pas officiellement anarchiste, ni le contraire d’ailleurs ; mais il s’en rapproche énormément, ne serait-ce que par le principe d’autogestion", explique Edouard Piron, 22 ans, étudiant à l’université de Lyon 2, en France.

Dans cette ville, deux projets sont nés des luttes contre la loi LRU (relative aux libertés et responsabilités des universités), dite loi d'autonomie des universités, voulue par la ministre de l’Enseignement supérieur Valérie Pécresse. "On avait l’impression que le combat n’aboutissait à rien et beaucoup d’étudiants voulaient proposer un projet alternatif à la loi et au système actuel", poursuit-il. Ainsi l’université partagée Lyon Zéro dont Edouard est un des membres et l’université autogérée (UA), émergent grâce aux actions de "deux groupes différents qui ont les mêmes objectifs, mais pas les mêmes moyens", explique Edouard. La première a un statut associatif, un cadre juridique et cherche une coopération avec l’université Lyon II, alors que la deuxième se veut totalement autogérée.

A l'école de Bakounine

A la base de ces projets il y a surtout deux concepts simples : l’absence de hiérarchie et le partage des connaissances, afin qu’elles ne soient pas "consommées et diffusées de manière unilatérale, alors qu’on voudrait que cela soit un système ‘apprenant/apprenneur’, précise Edouard. On a tous des connaissances à partager." De plus, "le problème est qu’à la fac, on étudie seulement pour trouver un emploi. Nous ne voulons pas supprimer cet objectif, mais aider les gens à apprendre pour le plaisir de connaître."

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Comme les doctrines anarchistes le prévoient, dans ces universités, la motivation se substitue à la sanction, et l’auto-évaluation aux notes, comme dans les écoles Steiner. Cependant, il existe bien certaines règles : "Au départ, elles sont nécessaires, et après, quand ça marche, on les enlève", dit l’étudiant en citant un concept de Bakounine. "Lyon Zéro" n’a pas vocation à remplacer le système traditionnel, "nous voulons montrer une autre voie, une voie complémentaire." Complémentaires, les cours le sont aussi : "Le type de cours dépend des gens qui viennent et donc, comme nous sommes alternatifs, les sujets sont nouveaux, jamais traités à la fac." Une réflexion sur le concept de temps et de vitesse, une autre sur les discriminations sexuelles, un atelier de micro-politique des groupes, de danse contemporaine ou de nomadisme : voilà quelques exemples des thèmes traités. Si la boîte à idées est vide, "nous pouvons étudier un sujet, faire une recherche collective et après en discuter ensemble."

L'université de la ligne 14

Lyon Zéro compte presque trente membres actifs. Etudiants, professeurs, chercheurs, retraités et aussi salariés. Beaucoup de gens suivent ce projet et certains sont intéressés par les ateliers. En France, d’autres expériences similaires ont vu le jour, le plus souvent sans suite. Au début du mouvement de protestation contre la loi d’autonomie des universités, en novembre 2007, à l’université Paris 3, une "Unité de formation et de recherche" (UFR) autogérée a été créée. En 2008, c’est au tour de l’UFR "Zéro" de Paris 8. En 2009, alors qu’en Italie, les chercheurs italiens décidaient de faire cours dans les rues et sur les places, la ligne 14 du métro parisien est investie par des étudiants et des chercheurs qui créent "l’université Paris 14" (la création de Paris 13, la dernière fac parisienne inaugurée, remontant à 1971). Comme la ligne 14, l’université "n’a ni chauffeur, ni président, ni instances dirigeantes. Elle est autonome, autogérée, critique, nomade et ouverte à tous". Pour l’instant, son emploi du temps est vide, mais cela ne veut pas dire que le rêve est fini : "Nous ne sommes pas morts, estime Guillaume Lachenal, chercheur et membre de Paris 14, nous avons ralenti à cause de l’absence de grève générale en ce moment."

Andrea Giambartolomei

EN ALLEMAGNE

Des protestations trop radicales pour servir le mouvement

Le 12 novembre, de nombreux amphithéâtres allemands (à Berlin, Hambourg, Munich, Heidelberg) ont été occupés par des étudiants revendiquant de meilleures conditions d'études, l'abandon des frais de scolarité et la démocratisation des universités. Un mouvement identique à celui des étudiants autrichiens qui occupent l'Audimax de Vienne depuis 3 semaines. La ministre de l'Education fédérale a demandé à ses homologues des Länder de mettre en place la dernière réforme des universités et d’assouplir le programme de licence [appelé bachelor dans le système de Bologne] jugé trop dense. Pour la Süddeutsche Zeitung, ces occupations spectaculaires sont contre-productives et ne font pas l’unanimité parmi les étudiants. Entre ceux qui veulent étudier tranquillement et ceux qui sont mécontents mais qui rejettent "les activistes à l’habitus de révolutionnaire professionnel", le mouvement reste fragile. Le quotidien appelle la masse des étudiants à s'émanciper à la fois "d’une organisation des études insuffisante et des revendications d'insatiables radicaux".

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