De l'archipel des rivalités étatiques dans l'UE, à l'âge des transitions citoyennes : Diem25.

Coup de théâtre au Volksbühne de Berlin le 9 février 2016 avec la naissance de Democracy in Europe Movement 25. Au programme, relance économique, sociale, démocratique à grands pas. 28 bonnes volontés citoyennes éparses peuvent enfin agir en citoyenneté européenne.

Publié le 21 mars 2016

On ne peut plus présenter la figure de proue de DiEM25, Yanis Varoufakis, comme seulement un économiste iconoclaste et globe-trotter. Formé à Athènes, en Grande-Bretagne, au Texas ou en Australie, il emprunte aussi bien à Smith que Marx ou Hayek leurs idées fortes mais non des recettes périmées depuis longtemps. Leurs époques ne présentent avec notre réalité qu'un lien historique, mais en aucun cas porteur de solution de type copier-coller. Les différents capitalismes nationaux sont inclus dans deux phénomènes majeurs transformateurs, la construction du projet européen et la globalisation au gré de puissances qui échappent à nos petits États nostalgiques. L'UE n'a toujours pas la maturité d'être un État moderne, à soi comme au monde.

Yanis Varoufakis, citoyen européen de 2016, apporte dans « Le minotaure planétaire » des clés pour comprendre pourquoi la géopolitique mondiale est l'échiquier où les flux financiers spéculatifs se jouent des lois de 200 États chacun toujours de moins en moins maître de sa propre régulation légale casanière. Des géants s'imposent, comme les USA ou la RPC, et des confetti attendent leurs fins prochaines comme les Maldives (réchauffement climatique) ou Nauru (malédiction du phosphate). L'UE totalement privée de capacités décisionnelles sérieuses n'est pas un pouvoir capable de défendre ses intérêts vitaux, au bout de 70 ans d'efforts de coopération intergouvernementale au gré des seules bonnes volontés. Les USA jouissent du privilège exorbitant et systémique mondial de s'être placés en position de recycler les excédents de richesse du reste du monde, à chaque fois qu'ils en ont besoin. Et comme ils prennent en permanence d'immenses risques financiers, creusant régulièrement leurs déficits, ils en ont souvent besoin, et ça marche d'autant mieux pour eux que nos vieux États valident cette situation. Les USA ont l'outil pour cela, un État fédéral de taille suffisante à imposer son hégémonie monétaire, à son profit. Évidemment la Chine possède aussi une structure d’État fédéral lui permettant de jouer le tout premier rôle géopolitique mondial, via sa politique économique qui n'a rien d'un capitalisme selon Friedman ou Greenspan. L'UE, un non-État, n'a pas le dixième des outils décisionnels des pouvoirs nord-américain ou chinois, et nous assistons aux éternelles chamailleries entre nos chefs d'États membres pour savoir qui imposera sa doctrine de « bonne gouvernance commune » à tous les autres. Bagarre compréhensible dans une école primaire où des chefs de bandes se disputent le terrain de jeu à la récréation, ce phénomène entretenu est mortifère quand les vies de 510 millions de personnes sont en jeu. Ce n'est pas un comportement adulte responsable.

L'intérêt général européen, dans l'UE, n'existe pas, ou plutôt n'existe plus. C'est le deuxième apport, de clarté, de Yanis Varoufakis au citoyen européen. Ministre des finances de la Grèce durant le premier semestre 2015, siégeant au sein de l'Eurogroupe, il a pu constater la formidable carence structurelle de l'UE comme machine de pouvoir. Non seulement cet Eurogroupe n'a pas d'existence légale, alors qu'il décide de vie ou de mort pour des peuples européens entiers, mais il s'est interdit de devenir un vrai Ministère des finances de l'Eurozone à la faveur de la crise financière de 2007/2008, ce qu'il aurait dû être depuis longtemps. Inviter le FMI à siéger là en permanence y interdit toute forme de pensée politique autonome, typiquement européenne. Certains ont imposé le FMI comme juge des guerres intestines, pour imposer leurs vues à leurs partenaires, et de fait l'ordre du jour de l'Eurogroupe...c'est le FMI qui l'impose. Depuis sa démission comme Ministre des finances, le 7 juillet 2015, par refus de trahir le résultat du courageux référendum grec de 62% de « Non à l'austérité », laquelle rajoute de la crise à la crise, il témoigne sur son blog, fait le tour des universités et médias indépendants de l'Europe entière pour révéler comment on décide derrière les murs capitonnés à Bruxelles. Ce qui révèle comment fonctionne le pouvoir suprême au dessus de nos États, pouvoir créé par et pour nos propres gouvernements comme une arène de gladiateurs, bien plus qu'une Olympe de sagesse politique. Des milliers de citoyens européens convaincus depuis ¼ de siècle de l'incompétence néolibérale de l'UE, renforcée de traité en traité depuis Maastricht, reçoivent d'un acteur politique de tout premier plan la confirmation explicite de leurs intuitions. Des dizaines d'interviews et vidéos montrent l'ampleur du désastre institutionnel : on décide toujours à Bruxelles, au final, en vertu du dogme néolibéral propice à maintenir le mythe d'un archipel viable de petits États souverains, dans un monde de géants politiques. C'est l'archipel du goulag néolibéral dont nous sommes captifs, pour 95% d'entre nous.

L'austérité seule ruisselle d'en haut sur ce continent, et la richesse fiscale est simplement dédiée à permettre aux « champions nationaux » des États d'aller investir en Malaisie ou en Chine avec l’argent des contribuables et épargnants captifs, 95% des ménages et PME d'Europe...ou s'évade légalement. Ce sont nos propres États concurrents qui organisent ce transfert fiscal massif et destructeur, au lieu d'accepter devenir les États subalternes d'un véritable État fédéral qui négocie d'égal à égal avec ceux de la Chine ou des USA. L'UE n'est pas le pilote que nous attendions, affiche de superbes valeurs et promesses pour tous, et fait le malheur de 95% d'entre nous...et donc le lit de tous les populismes xénophobes europhobes, qui n'en demandaient pas tant. La bonne nouvelle est pourtant sous-jacente : il faut et il suffit que nous nous érigions en citoyens européens plus responsables que nos pouvoirs locaux pour que nous exigions un changement de technologie politique à Bruxelles. Là est le troisième apport du citoyen européen Yanis Varoufakis. Réceptif à de nombreux messages de citoyens alertés par l'éloignement du projet d'unir sans cesse plus avant les hommes et femmes de ce continent, dérivé en celui de les exploiter le plus longtemps possible comme une simple ressource au risque de faire imploser intégralement l'UE, il a su transformer son action de témoin en celle d'organisateur du mouvement citoyen paneuropéen DiEM25. Comprenez que l'objectif est de réussir cette transformation en structure décisionnelle réellement démocratique d'ici à 2025. Le Manifesto DiEM25 propose un plan en deux phases pour sortir l'UE de l'ornière de l'incompétence intergouvernementale sans tomber dans le ravin de 28 populismes, ceux qui mènent déjà la Hongrie et la Pologne. Il faut :

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A- procéder à une relance économique massive, non plus dédiée aux banquiers spéculateurs, mais à des investissements réels profitables à fort coefficient multiplicateur,
B- doter l'Europe d'un vrai pilote démocratique, par la Constitution d'un État européen.

A) doit restaurer la confiance perdue dans l'UE, rattraper les destructions de PIB potentiel opérées dans plusieurs pays depuis le lancement de l'euro, et B) doit transformer des institutions imbéciles en celles qui assureront définitivement la sécurité politique de tous : l'Europe sera alors bien le pays de tous les citoyens européens, et non plus seulement le territoire de leurs aliénations au profit de 5% d'entre eux.

Plusieurs dizaines de milliers de citoyens européens de tous pays soutiennent déjà DiEM25, et leurs profils sont assez divers. Leurs points communs sont trois. Le premier est de ne plus croire dans les partis nationaux majoritaires, ceux qui forment le club exécutif intergouvernemental à Bruxelles, pour opérer la mise en sécurité politique continentale. Le deuxième tient à ce que les partis xénophobes recèlent tous le danger des dérives fascistes nationales locales. Ce que l'UE intergouvernementale a réussi à développer de façon homogène en son sein, même en Norvège membre de Schengen, c'est la résurrection des nationalismes xénophobes. Le troisième est que la seule solution heureuse à l'imbroglio confédéral actuel, l'impossible prise de décision intelligente dans l'intérêt de tous citoyens, comme dans la gestion des Réfugiés, passe par la société civile européenne plus mature que ses élites à inventer la voie du salut, le saut technologique politique démocratique pour l'Europe. Citoyenneté européenne active et déterminée à se doter d'un pouvoir intelligent à son service, versus tensions contestataires destructrices. Voilà le très pauvre legs de l'UE de Maastricht à ses citoyens : une situation intérieure à la Weimar qui n'a que deux issues prochaines possibles, transcender la Démocratie, ou vouloir la détruire.

Le philosophe Alain, Émile Chartier, écrivait dans les années 1920 « Le citoyen contre les pouvoirs », entendant par là qu'ils étaient dans nos pays des citoyens trop crédules, souvent illettrés dans les années 1918-1939, devant s'émanciper des manipulations électorales des notables et marchands monopolisant l'usage des pouvoirs locaux. L'association détonante réalisée en additionnant rivalités hégémoniques et idéologie néolibérale fait de l'UE une machine de pouvoir à compétence régalienne, mais dénuée de toute intelligence et projet à servir les femmes et hommes de ce continent. L'UE confédérale n'est qu'un proto-État, un australopithèque à gros muscles et cerveau minuscule focalisé sur la survie au jour le jour, comparé à un homo sapiens, ici un véritable État qui voit loin. Nous parvenons au stade où nous pouvons écrire « Nos pouvoirs contre les citoyens européens » comme constat de vieux conflits impérialistes qui ne rendent pas les armes, ignorent les vies humaines qu'ils sacrifient. Même un cynique comme Machiavel n'en reviendrait pas d'une telle imbécillité concurrentielle entre princes qui ont mis en commun leurs compétences régaliennes élémentaires, tout en s'interdisant de pouvoir gérer ce capital politique par une autorité légitime et efficace : ce n'est pas une deuxième Renaissance de l'Europe mais la ruine qui se matérialise partout. Princes étatiques qui n'hésitent pas à fouetter fiscalement et socialement, au nom de la compétitivité, chacun son peuple prisonnier pour maintenir un semblant d'autorité locale. Mais les citoyennes et citoyens européens de 2016 n'ont plus avec leurs dirigeants l'écart de capital culturel qui leur interdisait en 1916 de penser une autre Europe que celle du concert des nations à la Renan, bref, une nation européenne multiculturelle et fière de l'être, faite par et pour eux.

Nous sommes entrés dans ce que Pascal Chabot, philosophe belge, nomme fort justement « L'âge des transitions » dans un ouvrage récent. Ce qu'il nous faut entendre de lui comme celui de multiples adaptations aux multiples interactions et interdépendances sociales, politiques, économiques, culturelles, environnementales entre individu pensant et sa planète, son continent, son pays, sa région, sa commune...et tous les autres individus présents à ces endroits. Déformations et reformations élastiques ou plastiques de nos institutions et modes de représentation du sens de la vie arrivent à une certaine analogie avec le principe physique d'équilibre « action = réaction ». Un système sociétal qui prétend ne faire qu'encaisser des chocs pour les surmonter, n'est à l'évidence pas appelé à perdurer. Il implosera nécessairement par accumulation de tensions internes, car il n'aura pas su trouver à ces chocs, endogènes ou exogènes, une nouvelle utilité énergétique viable.

L'UE est très précisément un système décisionnel inapte à se servir des énergies négatives de la crise financière, de celles de crise des dettes publiques dans l'Eurozone, crise de récession économique, crise sociale et d'emploi, crise des réfugiés, crise agricole, etc. pour se reconfigurer en tant que structure de pouvoir politique désormais moins génératrice de chocs intérieurs et plus résiliente aux chocs extérieurs. Si l'architecture entière de nos pouvoirs de la Commune au Continent est à revoir, revoyons-la. Ceci est le besoin citoyen ressenti comme implicite, ou décrit ici de façon tout à fait explicite, assumée. L'utilité de penser l'âge des transitions comme Pascal Chabot, pour les détenteurs de pouvoirs tels qu'ils sont configurés, se heurte évidemment à l'angoisse de leur perte de pouvoir, car le citoyen européen moderne veut une vraie cohérence démocratique, représentative et participative, sur ce continent. Le seul souverain légitime capable de concevoir l'État européen responsable, c'est lui désormais. Les preuves d'absence de courage de nos dirigeants, de sens des responsabilités politiques historiques lors de la plus grande crise financière de tous les temps, font boule de neige depuis une décennie.

DiEM25 offre au peuple européen, hors des vieux clivages idéologiques partisans, de se constituer force souveraine constructive de paix, prospérité et démocratie durables. Le peuple suppléant l'incapacité de ses dirigeants est une situation inédite mais bien réelle sur ce continent...et c'est, après tout, un formidable espoir pour d'autres régions du monde qui aspirent elles aussi à mettre de l’État de Droit là où il n'en existe pas.

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