Data Armes à feu

Combien d’armes à feu circulent réellement en Europe ?

Au moins 35 millions d'armes à feu circulent illégalement dans l'Union européenne. La plupart des décès qu'elles causent surviennent dans un cadre domestique, et sont principalement des suicides et des féminicides. L’UE souhaite aujourd’hui harmoniser un cadre légal qui diffère d'un pays à l'autre.

Publié le 27 août 2024

Le 3 juillet 2024, une pizzeria du centre-ville de Madrid a été le théâtre d’une fusillade, dans le cadre d’un règlement de compte entre les membres de différents gangs. Si un mineur a été arrêté, le fusil de chasse utilisé lors de l’attaque reste introuvable. 

D’après certaines estimations, au moins 35 millions d’armes à feu circuleraient illégalement dans l’Union européenne, soit plus de la moitié (56 %) du total des armes à feu civiles en Europe dénombrées par la Commission européenne. De plus, le système d’information Schengen (SIS) recense près de 360 000 armes à feu volées ou perdues.

En mars 2024, le Parlement européen et le Conseil de l’Europe ont conclu un accord pour mettre à jour le règlement de l’UE relatif aux importations, aux exportations et au transit d’armes à feu civiles, notamment les fusils de chasse et les armes de poing, afin de faciliter leur suivi au sein de l’UE. Le nouveau règlement, qui est une mise à jour de la législation existante, a été adopté en avril 2024 et doit être révisé par le Parlement européen.

En effet, l’accord avec le Conseil a été conclu juste avant les élections européennes de 2024, comme le confie une source officielle à El Confidencial. Après approbation, il sera publié dans le Journal officiel de l’Union européenne et entrera en vigueur. Ce règlement prévoit un système de licences électroniques (SLE) déployé à l’échelle de l’UE pour les fabricants et les distributeurs, qui remplacera les systèmes nationaux qui, pour la plupart, fonctionnent encore sur support papier. Il s’agit d’un système de licences sécurisé et crypté dédié aux autorisations, aux enregistrements, aux informations et aux décisions en matière d’importations et d’exportations d’armes à usage civil. Ce système doit être mis en place d’ici à 2026. Les Etats membres bénéficient d’un délai de quatre ans (jusqu’en 2028) pour décider soit d’adopter un système électronique, soit d’intégrer leurs systèmes numériques nationaux au SLE.

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Des licences électroniques pour endiguer le phénomène de “fuite des armes”

La Commission prévoit également de publier un rapport public annuel basé sur les données des Etats membres relatives aux importations et aux exportations d’armes à usage civil, afin de fournir des informations plus précises sur les armes qui intègrent et quittent le marché européen ainsi que sur les raisons de leur rejet. “Avec cet accord, nous avons non seulement pu harmoniser les lois européennes en matière d’importations, mais aussi, et ce grâce à la détermination du Parlement, conserver des règles strictes en matière d’exportations”, explique Bernd Lange, président de la Commission du commerce international (INTA) du Parlement européen. Ce dernier estime que la modernisation des règles permettra d’endiguer le phénomène de “fuite des armes”, qui désigne le transfert des armes vers des Etats présentant une législation moins stricte.

S’il est difficile de se procurer un pistolet en Europe, cela ne semble pas poser de problème aux terroristes”, titrait le Washington Post en février 2015, après les attaques perpétrées dans un centre commercial de Copenhague et dans les bureaux du journal Charlie Hebdo à Paris, suivies des attentats du 13 novembre quelques mois plus tard. Pour ces dernières, les terroristes étaient équipés d’un arsenal d’armes, notamment des fusils d’assaut AK-47 et des fusils Zastava M-70, des pistolets, des mitraillettes et des lance-grenades, dont les achats auraient été effectués en Belgique. Paradoxalement, la ville de Bruxelles, qui incarne pour certains l’ordre et la loi, semble également abriter un trafic d’armes important.

La Belgique est-elle le magasin d’armes préféré de l’Europe ?”, titrait à l’époque la BBC, faisant référence au fait que la Belgique était devenue un haut lieu du trafic d’armes, en raison de sa situation centrale au sein du continent européen, de la présence sur son territoire de ports stratégiques comme celui d’Anvers, et de son vaste passé de pays exportateur. La plupart des armes proviennent des Balkans occidentaux, où, après les guerres des années 1990, des milliers d’armes de guerre se sont retrouvées aux mains des citoyens. Cet arsenal a peu à peu gagné l’Europe occidentale et a été échangé facilement au sein de l’espace Schengen. Comme l’explique l’Institut flamand pour la paix (une organisation de recherche indépendante établie au sein du Parlement flamand), la suppression des contrôles aux frontières internes de l’UE depuis la fin des années 1980 ne facilite pas le contrôle du transfert des armes à feu.

République tchèque et Roumanie, deux approches différentes 

Malgré la directive européenne relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes à feu, qui établit des normes minimales communes en matière d’acquisition et de détention d’armes à feu au sein du bloc, ainsi que de transfert d’armes d’un pays européen à un autre, la réglementation en la matière reste assez hétérogène au sein de l’Europe.

Ce texte vient en remplacer un autre datant de 2017, lorsque l’acquisition légale des armes les plus dangereuses, telles que les armes à feu automatiques transformées en semi-automatiques, les armes à feu semi-automatiques dotées de chargeurs de haute capacité ou de chargeurs pliables ou télescopiques, s’est intensifiée à la suite des attentats perpétrés à Paris en 2015. L’une des dernières fusillades de masse en Europe a eu lieu quatre jours avant Noël, le 21 décembre 2023, dans le bâtiment de la Faculté des arts de l’Université Charles de Prague, en République tchèque.

L’auteur de la fusillade était un étudiant de 24 ans, qui a tué son père avant de se rendre sur le campus et d’y abattre 14 autres personnes. La République tchèque possède l’une des réglementations les moins strictes de l’UE en matière de détention d’armes à feu. Tout comme aux Etats-Unis, au Mexique et au Guatemala, le droit de détenir des armes y est inscrit directement dans la Constitution. Même si la demande de détention d’une arme à feu doit être approuvée par un médecin, dans ce cas précis, l’auteur de l’attaque avait réussi à s’en procurer plusieurs légalement malgré des antécédents psychiatriques. À la suite de la fusillade, le Parlement tchèque a adopté un amendement visant à renforcer la législation en matière de détention d’armes à feu. 

La Roumanie, à l’inverse, possède la réglementation la plus stricte d’Europe en matière d’armes à feu. Pour pouvoir y détenir des armes, il faut se soumettre à un examen médical et psychologique, suivre une formation théorique et pratique et obtenir des permis d’utilisation appropriés.


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Aucune étude ne montre une corrélation statistique claire entre l’inscription du droit d’accès aux armes à feu dans la Constitution et le taux d’homicide par arme à feu à l’échelle d’un pays, tempère Katharina Krüsselmann, chercheuse experte des questions relatives à la violence armée et aux homicides à l’Université de Leiden, aux Pays-Bas. “Certaines études ont été menées sur ce sujet, mais les résultats diffèrent”, confie-t-elle au journal El Confidencial. Ce qui importe le plus, c’est l’usage que les citoyens font de ce droit et l’efficacité des lois qui réglementent l’accès aux armes à feu : “La formation, par exemple, ou le contrôle de la sécurité du stockage des armes”, explique-t-elle.

D’après Krüsselmann, la République tchèque est un excellent exemple : “Il s’agit d’un pays qui a inscrit ce droit dans sa Constitution, mais qui présente l’un des plus faibles taux d’homicide par arme à feu de toute l’Europe”. Malgré le caractère impressionnant des fusillades de masse, les décès par arme à feu sont rares en Europe et surviennent généralement dans la sphère privée, la plupart du temps avec des armes légalement acquises.

D’après les chiffres de l’Institut flamand pour la paix, en 2015 – année marquée par les attentats de Paris – près de 5 000 des quelque 7 000 décès par arme en feu en Europe étaient des suicides (75 %), suivis de 1 000 homicides (15 %) et de 700 décès ou accidents non précisés.

En raison de la létalité des armes, l’accès légal à ces dernières, notamment dans les foyers, “est lié à un risque accru de suicide”, poursuit Katharina Krüsselmann. Il en va de même pour les féminicides, ajoute-t-elle. En effet, “[ceux-ci] surviennent régulièrement dans un contexte domestique, où des conflits passionnés, parfois sous l’influence de l’alcool ou de drogues, prennent une tournure violente”. Dans de telles situations, “l’accès [à l’armement] implique l’accès à des armes incroyablement mortelles.

👉 Article original sur El Confidencial

Cet article a été produit dans le cadre du projet PULSE, une initiative européenne soutenant les collaborations journalistiques transfrontalières. György Folk (EUrologus, Hongrie), David Chytil (Deník Referendum, République tchèque), Sebastian Pricop (Hotnews.ro, Roumanie) ont contribué à cet article. Données : Ana Somavilla

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