Entre l’Ukraine et la Russie, qui a vraiment gagné les élections européennes ?

Comment les résultats des élections européennes sont-ils perçus par les médias officiels et indépendants en Russie et en Ukraine ? Paulina Siegień se penche sur la question dans sa revue de presse.

Publié le 19 juin 2024

Les élections européennes ont été suivies avec beaucoup d’attention par la Russie et l’Ukraine. Pour cette revue de presse, j’ai consulté non seulement les sources indépendantes russes, mais aussi le média gouvernemental Rossiïskaïa Gazeta, car je voulais connaître l’interprétation des résultats du Kremlin. Voici un lien vers ce journal – ne vous sentez pas obligé de cliquer dessus, cela dit. 

Vous y apprendrez que “les résultats du vote ont été un signal d’alarme pour le régime de Kiev qui a montré que la politique pro-ukrainienne russophobe des gouvernements de plusieurs pays, en particulier de la France et de l’Allemagne, avait échoué ; les forces ne souhaitant pas maintenir leur soutien militaire à Kiev et favorables à la reprise de relations étroites avec Moscou ont progressé.” 

Autrement dit, du point de vue russe, le but de ces élections européennes était de permettre aux Européens de choisir entre soutenir la Russie ou l’Ukraine dans la guerre. Une vision plutôt réductrice de la situation, mais l’auteur du texte ne manque pas d’ajouter que “de plus en plus d’Européens se tournent vers des partis radicaux dans l’espoir qu’ils puissent enfin résoudre leurs problèmes.” 

De quels problèmes s’agit-il ? “De nombreux électeurs ont été affectés par la hausse des prix des biens et des services, sont préoccupés par l’immigration et le coût de la transition écologique, et sont particulièrement sensibles aux tensions géopolitiques, y compris en ce qui concerne le conflit en Ukraine et le transfert de deniers publics à Kiev”, explique l’auteur de l’article. Là encore, c’est plutôt vrai, mais le Kremlin laisse entendre que les Européens ne dormiront pas sur leurs deux oreilles tant que leur pays soutiendra l’Ukraine. Traduction : ils souhaiteraient, soi-disant, que la guerre se termine au plus vite en satisfaisant toutes les exigences de la Russie.

Ces fantasmes sont typiques de la vision du monde officielle de la Russie, qui est convaincue que l’Europe ne peut pas se débrouiller sans elle et que les Européens sont prêts à échanger l’indépendance et la souveraineté de l’Ukraine contre la reprise des livraisons de gaz.

D’un autre côté, il convient d’être clair : Poutine peut bel et bien se réjouir des bons résultats de l’Alternativ für Deutschland (AfD, extrême droite) et du Rassemblement national (RN, extrême droite) en France. L’AfD est un parti ouvertement anti-européen et prorusse, et la dirigeante du RN Marine Le Pen coopère depuis longtemps avec la Russie – souvenons-nous qu’elle a volontiers accepté des crédits bancaires russes à des conditions avantageuses. Certes, Le Pen a changé de discours après l’invasion de l’Ukraine – ne serait-ce que pour satisfaire l’électorat français – mais les inquiétudes relatives aux relations de la dirigeante du RN et de son cercle rapproché avec le Kremlin persistent.

Les résultats des élections européennes ont également été commentés par les Ukrainiens. Serhiy Sydorenko, journaliste pour European Pravda – un magazine en ligne consacré à l’Europe, l’Ukraine et les perspectives d’intégration, qui jouit d’une très bonne réputation – est optimiste quant à la nouvelle orientation idéologique du nouveau Parlement, observant que "droite ne veut pas toujours dire mauvais".


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En dehors de l’extrême droite, qui est arrivée deuxième en Allemagne (AfD) et première en France, la droite européenne est également composée de conservateurs “traditionnels” chez qui la position pro-ukrainienne prédomine généralement. Sydorenko cite l’exemple de Giorgia Meloni (FdI, extrême droite), qui est clairement devenue une défenseuse de la cause ukrainienne (même si on pourrait discuter de sa classification de Meloni comme “conservatrice traditionnelle”). Il souligne toutefois que sur la question particulière du soutien à l’Ukraine, “le revanchisme de la droite au sein du Parlement n’est certainement pas une mauvaise chose”. Selon lui, plus de 500 députés européens de la nouvelle législature ont une position explicitement pro-ukrainienne.

Le journaliste de European Pravda perçoit toutefois ce qui a dominé les discussions à la suite des élections au Parlement européen. reconnaît la réalité de la plupart des commentaires post-électoraux, qui se sont concentrés sur l'impact politique des résultats dans les différents pays. Après tout, c'est au niveau national que de nombreuses questions importantes seront décidées, y compris la fourniture d'armes et d'autres formes de soutien à l'Ukraine.

Bien évidemment, tous les regards étaient tournés vers la France, où la victoire de l’extrême droite face au parti présidentiel (ayant obtenu le double du score de ce dernier) a poussé le président Emmanuel Macron (Renaissance, centre droit) à dissoudre l’Assemblée nationale et à convoquer des élections législatives anticipées. Ni la France, ni l’Europe ne se sont remises du choc de cette décision, véritable séisme politique dont les conséquences seront connues dans quelques semaines.

Par ailleurs, en Belgique, les élections européennes ont eu lieu en même temps que les élections fédérales, au terme desquels la formation de l’ex-Premier ministre Alexander de Croo (Open VLD, centre droit) a essuyé une lourde défaite, le meilleur résultat ayant été obtenu par la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA, droite), qui a créé la surprise en battant de quelques points de pourcentage le Vlaams Belang (VB, extrême droite). La composition du gouvernement belge prendra sans doute quelques mois, il faudra donc attendre pour s’exprimer concrètement sur les orientations du pays en matière d’affaires étrangères.

Si la situation en Belgique constitue assurément un défi pour l’Ukraine selon Sydorenko, celle en France représente un vrai malheur. En effet, Marine Le Pen, dont la victoire aux prochaines élections est attendue par tous, ne sera peut-être plus aussi ouvertement pro-Poutine qu’elle l’a été, mais sa façon de gouverner pourrait être similaire à celle de Viktor Orbán (Fidesz, extrême droite) en Hongrie. Le nouveau gouvernement pourrait bien inciter le président Macron (qui conserverait théoriquement le contrôle de la politique étrangère française) à ne plus soutenir l'Ukraine et à adopter une position de neutralité plus confortable. Un tel résultat serait extrêmement bien accueilli en Russie, d'autant plus que Macron a assumé ces derniers mois le rôle de leader le plus courageux de l'UE sur la question de la guerre – ne serait-ce que dans son discours.

Le président français a, par exemple, brisé le tabou de l’intervention des forces armées des pays de l’OTAN aux côtés de l’Ukraine, bien évidemment à la demande et avec l’accord des autorités de Kiev. Le Kremlin a réagi à ces déclarations en lançant une campagne de désinformation contre la France. Quant à savoir l’impact qu’aurait une victoire de l’extrême droite sur la politique étrangère française, le mystère reste entier.

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