“Les macarons de médaille qui ornent les bouteilles de vin sont souvent utilisés pour attirer le client, en particulier sur les marchés à l’exportation. Didier Chopin, qui avait obtenu une récompense pour du vrai champagne en 2022, a continué à apposer les mêmes médailles sur des bouteilles de faux champagne produites l'année suivante”, explique Ludivine Jeanmingin, ancienne responsable de la maison de champagne aujourd’hui décriée, qui a tiré la sonnette d'alarme.
Le 2 septembre 2025, un tribunal de Reims a condamné le vigneron Didier Chopin à quatre ans d'emprisonnement (18 mois de prison, dont deux ans et demi avec sursis) pour avoir produit jusqu'à 1,8 million de bouteilles de faux champagne. Il a été reconnu coupable de fraude et d’usurpation d'appellation. Le vigneron et son épouse, qui elle a été condamnée à deux ans de prison avec sursis, se sont vu imposer une amende de 100 000 euros chacun. Sa société a écopé d’une amende de 300 000 euros.
En février 2025, dans une autre affaire très médiatisée, un tribunal bordelais a infligé une amende de 100 000 euros à Ginestet, un négociant en vins, pour fraude à la consommation. Ginestet avait exporté 250 000 bouteilles de vin faussement étiquetées au Japon, indiquant à tort que ses crus avaient remporté 66 médailles.

Dans ces deux cas de fraude, des médailles décernées dans le cadre du concours de vins Gilbert & Gaillard (G&G) – dont les macarons ornent souvent les bouteilles de vin vendues en supermarché – ont été utilisées abusivement. Pas moins de 24 000 vins reçoivent une médaille en France chaque année. Ironie du sort, c’est aujourd’hui la médaille G&G qui attire tous les regards, mais pour de mauvaises raisons.
G&G a déclaré publiquement avoir effectivement décerné une médaille d'or au champagne produit par Didier Chopin en 2022 – mais pour un breuvage qui n’avait rien à voir avec le faux champagne écoulé par le vigneron. Didier Chopin est néanmoins parvenu à tromper le consommateur en apposant des étiquettes sur de fausses bouteilles, ce qui suggère que les contrôles sont inefficaces et insuffisants.
Des opérations sous couverture visant le concours de vins G&G, menées par Patti Chiari, une émission de la chaîne publique suisse RSI, ou encore le programme télévisé belge On N'est Pas des Pigeons, soulèvent une question : la pression commerciale influencent-elles les méthodes de notation lors des concours ? Dans les deux cas, des vins bon marché vendus en supermarché et arborant de fausses étiquettes ont remporté une médaille d'or.
L’ampleur de la fraude et le manque de contrôle préoccupent certains experts du secteur. Un consultant en vin et producteur bourguignon chevronné, qui a participé à plusieurs concours en France en tant que juge et contribué au Guide Hachette des Vins, déclare sous couvert d’anonymat que “ce qui importe, ce n’est pas tant le concours, ce sont les médailles”. Et de lister : “Qui va vérifier qu'une médaille est authentique ? Qui va contrôler après coup ? Qui va réaliser une contre-expertise sur la manière dont une médaille a été attribuée lors d’un concours ? Personne !” L’absence de contre-expertise signifie que les médailles peuvent être utilisées de toutes sortes de manière. “Qui va se plaindre et dire : ‘Oui, j'ai eu une médaille, mais le vin n'était pas bon’ ?”
Armonia, une société française qui organise 15 concours de vins, a récemment engagé des poursuites à l’encontre de producteurs de vin en France et en Allemagne pour utilisation abusive d'autocollants de médailles. ”C'est effectivement arrivé”, confirme Lucille Oudard, directrice d’Armonia UK Ltd. “Impossible de tout contrôler sur chacun des marchés où nous intervenons”.
Quentin Havaux, Directeur général du Concours Mondial de Bruxelles (CMB), indique qu'au cours des cinq dernières années, deux entreprises vinicoles, l’une basée en France et l’autre en Italie, ont été épinglées pour avoir apposé, de façon trompeuse, des autocollants de médailles CMB sur des bouteilles de vin. Dans les deux cas, ce sont des consommateurs qui ont alerté les responsables du CMB.
Suite aux contrôles effectués sur les vins incriminés, il s’est avéré que le contenu des bouteilles arborant le macaron CMB n’avait jamais été primé, ajoute Havaux. Selon le concours, les entreprises vinicoles sont tenues de fournir des informations sur l'origine et le mode de stockage du vin, y compris des détails sur les cuves contenant les crus primés. Il semble en revanche illusoire de contrôler totalement l’usage des médailles sur les bouteilles de vin expédiées à l’international.
La France, épicentre européen de l’évaluation des vins avec ses 124 concours officiellement reconnus, possède la réglementation la plus stricte (ou, pour certains concours, la plus restrictive) en matière de compétition. Paradoxalement, c'est aussi le seul pays ayant récemment enregistré des cas de fraude à l'utilisation de médailles sur les bouteilles de vin.

Un sondage réalisé par l’Institut Viavoice à Paris et publié en août 2025 révèle que 32 % des Français interrogés se méfient des médailles apposées sur les bouteilles de vin. Une autre enquête menée par l’organisation en 2022 souligne leur pertinence commerciale, sept personnes interrogées sur dix se disant influencées par les médailles lors de leur décision d'achat. Fait surprenant, 64 % des personnes interrogées déclarent ne pas connaître la signification des différents macarons.
La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) s’est refusée à tout commentaire concernant le supposé manque de contrôle dans l’attribution des médailles. Cependant, les agents de la DGCCRF sont récemment intervenus dans un cas de fraude massive à la consommation : le négociant en vins Ginestet aurait obtenu deux médailles d’or pour des vins dont certains n’étaient même pas encore produits au moment de l’attribution des récompenses.
Selon des documents judiciaires obtenus en exclusivité par Voxeurop, les agents auraient retracé l’origine de chaque assemblage de vin et procédé à des analyses en laboratoire, ce qui a permis de révéler des différences dans les niveaux d’alcool et d’acidité des vins médaillés. Ginestet a par exemple commercialisé un Bordeaux AOP 2015 rouge, “Cour de Mandelotte”, dont la médaille d’or aurait été obtenue illégalement et apposée sur plus de trois millions de bouteilles et près de 590 000 cubis de trois litres vendus au sein du réseau LIDL. Les flacons estampillés d’une médaille étaient remplis de vins qui n'avaient en fait jamais été primés. Le 4 février 2020, un tribunal bordelais a relaxé Denis Merlaut et Franck Lederer, dirigeants de Ginestet, ainsi que Sylvain Patard, rédacteur chez Gilbert & Gaillard.
Dans un entretien accordé à Voxeurop, Caroline Baret, l’une des juges ayant présidé l’affaire, explique : “Je leur [Ginestet] ai fait remarquer qu’il était incohérent d’apposer une médaille obtenue pour un vin assemblé une année donnée sur d’autres vins produits ultérieurement”.
“Grâce à notre savoir-faire de négociants en vin, nous sommes capables de produire un vin en tous points identique”, lui a répondu l’entreprise. Selon Baret, les prévenus ont été disculpés suite à des erreurs dans la procédure de citation. Ginestet et Gilbert & Gaillard n'ont pas répondu aux demandes d’interview.
Portée mondiale
Depuis 2018, Wine Tasting and Trading Limited, filiale de Gilbert & Gaillard, est implantée à Hong Kong et n’est donc pas soumise à la législation française, qui limite à un tiers le nombre de vins médaillés dans les concours, restreignant ainsi le chiffre d’affaires potentiel lié aux médailles et aux frais d’inscription.
Hong Kong constitue un centre névralgique du commerce du vin et sert de tremplin pour le marché chinois et asiatique, où les concours de vins se multiplient. Plusieurs compétitions, dont le CMB, l’International Wine and Spirit Competition (IWSC) et le Frankfurt Wine Trophy, ont désormais une portée mondiale, les pays organisateurs prenant en charge les frais. La Chine aurait ainsi déboursé 2,5 millions d'euros pour accueillir le grand concours de vins CMB, qui s’est tenu en mai 2025.
Les concours de vins, y compris l'IWSC et le CMB, réfutent cependant toute influence des pays organisateurs sur les résultats. Pourtant, le système fermé des relations B2B entre producteurs, acheteurs, experts et juges, envoyés en voyage tous frais payés en Arménie ou au Mexique, semble un peu trop complaisant. Un entre-soi qui pourrait expliquer la popularité des concours de vins auprès des entreprises vinicoles, qui se servent des médailles comme argument marketing et laissent les consommateurs dans le flou quant à leur signification et à la rigueur des contrôles.
L’image idyllique de juges dégustant des vins dans une atmosphère conviviale contraste fortement avec la réalité d’un secteur qui rapporte, chaque année, des millions à certaines entreprises, tout en offrant peu d’avantages aux consommateurs. Le concours londonien Decanter World Wine Awards – le plus important au monde – a attiré 16 775 personnes en 2025. En 2026, chaque inscription coûtera 209 € aux entreprises vinicoles, plus les frais de transport et la TVA (le cas échéant). De plus, d’après certaines sources, ces entreprises sont encouragées à promouvoir leurs vins dans le magazine Decanter. Dans le secteur vinicole, on sait bien que la publication ne tiendrait pas sans son concours de vins.
L’an dernier, les vins ont été jugés par tranches de prix, les récompenses allant d’une simple étiquette “Recommandé” à la médaille d’or, un dispositif qui favorise la commercialisation des médailles. Le taux de médailles attribuées s’est élevé à 82,2 %.
Malgré l'essor du marketing numérique, la vente de macarons de médailles demeure une source clé de revenus pour les grands concours de vins, qui se sont largement développés en Europe et bien au-delà ces dix dernières années. Selon le groupe Armonia, en France, la vente de médailles représente près de la moitié de son chiffre d’affaires. L'IWSC affirme que les revenus qu’il tire de cette activité restent stables. Deux autres concours ont indiqué que les médailles représentaient 10 % de leurs ventes.
Le CMB, qui limite les médailles à un tiers des vins inscrits selon les recommandations de l’OIV (Organisation internationale de la vigne et du vin), a affiché, en 2024, un chiffre d’affaires annuel de deux millions d’euros et un bénéfice net de 200 000 euros, généré par les frais d’inscription, les frais de transport, la vente d’autocollants de médailles et d’autres activités promotionnelles.
Dans les supermarchés, il y a fort à parier que les clients pressés et attirés par l’éclat de l’or et de l’argent tomberont sous le charme des médailles étincelantes.
🤝 Cette enquête a reçu le soutien de Journalismfund Europe

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