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Groenland : non au Danemark, non aux Etats-Unis … Qu’en est-il de l’Europe ?

Après que Donald Trump a répété son intention d’acquérir le Groenland, le risque de désinformation ciblant la population du Groenland n’a fait qu’augmenter. Pour savoir ce que les habitants veulent vraiment, les journalistes doivent affronter une marée de fake news.

Publié le 19 février 2025

Ayant récemment consacré une revue de presse au Groenland, je ne m’attendais pas à y revenir aussi rapidement. Cette île, qui est un peu plus grande que la France, l’Allemagne, la Pologne, l’Italie et l’Espagne réunies, ne possède qu’une population d’environ 60 000 âmes. Mais une question demeure : est-elle européenne ? D’après le Conseil nordique (chargé de la coopération entre les institutions parlementaires nordiques) : “Bien qu’elle fasse partie du continent nord-américain, l’île est géopolitiquement européenne”.

Cependant, un certain nombre d’éléments semblent justifier une nouvelle revue de presse dédiée au Groenland. Et tous sont liés à la proposition de Donald Trump, récemment réactualisée, d'acheter cette île qui reste pour l'instant une région semi-autonome du Danemark.

À la suite d’une conversation téléphonique “enflammée” entre la Première ministre danoise Mette Frederiksen et Donald Trump – au cours de laquelle le président américain a interpellé celle-ci à propos du refus du Danemark de vendre le Groenland – la réaction appropriée à adopter a fait l’objet de débats.

Frederiksen s’est rendue à Berlin, Paris et Bruxelles dans le but de promouvoir “l’unité européenne” et a lancé un “plan pour la sécurité de l’Arctique” à deux milliards d’euros. Malgré tout, le Financial Times mentionne que l’UE et L’OTAN font “vœu de silence à propos du Groenland, le Danemark [ayant] demandé à ses alliés de ne pas répondre aux menaces de Trump de s’emparer de l’île”. Par conséquent, “il n’y a eu aucun effort pour coordonner les déclarations de l’UE et de l’OTAN pour défendre le Danemark ou le Groenland”.

En 1982, les Groenlandais avaient voté en faveur de quitter les communautés européennes avec une faible marge (52 % pour, 48 % contre). Cependant, un sondage publié en décembre 2024 par le Nasiffik Centre for Foreign & Security Policy suggère que “60 % des citoyens du Groenland voteraient en faveur de rejoindre l’Union européenne, un chiffre en croissance, comparé aux 40 % de 2021” comme l’explique le New Union Post

Pour le chef du Nasiffik Centre, Rasmus Leander Nielsen, le statut du Groenland comme territoire d’outre-merfonctionne bien pour recevoir des fonds structurels ou des financements en matière d’éducation, d’énergie verte et d’industrie minière”. Néanmoins, Nielsen serait “surpris” si les citoyens du Groenland décidaient de faire avancer la relation et de revenir dans l’UE. Comme l’explique le New Union Post, lorsqu’il est question de l’élargissement de l’UE, “l’épine dans le pied de l’Islande, du Groenland et de la Norvège, c’est les quotas de pêche et la politique de l’UE en la matière”.

Quant à savoir si les Groenlandais et les Groenlandaises veulent que leur île intègre les Etats-Unis, la réponse est un non “écrasant et sans équivoque”. C’est ce que montre un nouveau sondage conduit par l’agence Verian pour Berlingske au Danemark et Sermitsiaq au Groenland (un des deux journaux nationaux de l’île). Daniel Tideman et Mia Gleerup Fallentin affirment dans Berlingske que “85 % des Groenlandais disent non à l’idée de quitter le royaume du Danemark et d’intégrer les Etats-Unis à la place. Seuls 6 % veulent quitter le royaume du Danemark au profit des Etats-Unis, et 9 % sont indécis”. Le sondage met aussi en lumière que “45 % des Groenlandais perçoivent l’intérêt que Donald Trump porte au Groenland comme une menace, et seuls 8 % accepteraient le passeport américain s’ils devaient décider tout de suite entre la citoyenneté danoise et américaine”.

Au début du mois de janvier, Julie Schneider, toujours pour Berlingske, a décortiqué un autre sondage. Réalisé par l'agence américaine Patriot Polling, celui-ci suggère que 57 % des Groenlandais seraient en fait favorables à l'adhésion aux Etats-Unis. Schneider constate que cette enquête a été citée 356 fois entre le 12 et le 15 janvier par des médias et des agences de presse de langue russe ou affiliés à l'Etat russe, tels que Sputnik, Ria Novosti et Tass. Pour José Torreblanca, membre du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR) sollicité par Schneider, la Russie essaie d'utiliser le Groenland pour creuser un fossé entre les Etats-Unis, l'Europe et l'OTAN.

La chaîne publique danoise DR avertit que “le risque de désinformation ciblant le Groenland n’a fait qu’augmenter” depuis que Trump a renouvelé son intérêt pour l’île. Des faux articles prétendument publiés par la chaîne publique groenlandaise ; un faux profil Facebook du Premier ministre du Groenland Múte Bourup Egede ; une fausse story affirmant que le politicien écologiste danois, Karsten Hønge, cherche l’aide de la Russie pour éviter l’indépendance du Groenland : ces exemples ne représentent qu’une infime partie de la désinformation qui cible l’île ces dernières semaines. 

Dans leur article, Thomas Prakash, Frederik Gatzwiller et Alexzander Lundquist Thomsen mettent en évidence le fait qu’il y a un mois à peine, un rapport avait conclu qu’aucune influence étrangère n’avait cours sur l’île. L’augmentation récente de la désinformation coïncide également avec l’approche des prochaines élections législatives au Groenland. Ces dernières se tiendront d’ici le 6 avril. Les trois journalistes écrivent : “La dernière fois, environ 27 000 votants s’étaient déplacés, il suffira donc de quelques voix pour influencer le résultat”.

Signe Ravn-Højgaard, sociologue à l'université du Groenland, pose son diagnostic : “Au Groenland, le problème est qu'il n'y a que deux organes de presse avec relativement peu de journalistes. Ceux-ci couvrant toutes sortes de sujets dans toutes sortes de formats, il n'y a pas assez de journalistes pour vérifier les faits et creuser les affirmations, ce qui signifie que la désinformation [peut] prospérer au Groenland”.

Selon l'eurodéputé danois Morten Løkkegaard (Renew Europe), si les Groenlandais et les Groenlandaises veulent vraiment repousser les avances de Trump, l'adhésion à l'Union européenne pourrait leur offrir la protection dont ils et elles ont besoin. 

En s'adressant à Seb Starcevic dans Politico Europe, Løkkegaard souligne une conséquence inattendue de la candidature de Donald Trump : le Groenland pourrait envisager plus sérieusement de relancer le dialogue concernant un rapprochement avec l'Europe. “Si vous voulez du changement politique, cela pourrait être le déclencheur nécessaire pour que les Groenlandais portent un regard neuf sur ce qui se passe en Europe”. Løkkegaard soutient également que le Groenland est “un candidat naturel pour l'adhésion à l'UE, de part sa démocratie et son système de protection sociale solides”.

Bien entendu, un troisième sondage, tout aussi important que ceux mentionnés dans cet article, existe : celui mesurant l'attitude des Groenlandais à l'égard d'une indépendance totale. Dans un article très intéressant publié dans The Atlantic, Mark Leibovich mentionne que la dernière enquête fiable en la matière a été réalisée en 2019 par l'Université de Copenhague. Celle-ci révélait qu’à l’époque, 68 % des habitants souhaitaient que leur île soit complètement indépendante dans un futur indéterminé. Seuls 39 % voteraient en faveur de l'indépendance si le vote avait lieu le lendemain du sondage, précise Lisa Munck Seidelin dans TV 2

Cela semble se refléter dans la composition politique du pays. Leibovich écrit notamment que “le parlement est composé de 31 membres qui, d'après ce que je peux observer, représentent 31 nuances d'indépendantisme groenlandais”. Comme l'ont répété la députée au parlement danois pour le Groenland Aaja Chemnitz Larsen et le Premier ministre Múte Bourup Egede : “Nous ne voulons pas être danois, nous ne voulons pas être américains. Nous voulons être groenlandais”.

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